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La maison Corbitt

Ce récit divulgâche le scénario “La maison Corbitt” (page 13) du jeu de rôles L'Appel de Cthulhu.

Contexte

Système et univers : Cthulhu classique 1920

MJ : Naeleh
Personnage interprété : Stephen F. Forson, professeur, 54 ans.
Accompagné par :
- Albertina, médecin
- Henry, antiquaire
- Terron, journaliste

Date : 22 Avril 2022 et 08 Juillet 2022

Ch. 1

Chapitre 1 - Réunion chez Gensen

13 Octobre 1920
Aujourd'hui j'ai rendez-vous avec mon ami Gensen, il semblait impatient de me voir pour me parler d'un événement étrange et mon aide semblait requise, ce qui me semble tout à fait normal tant mes compétences d'érudition sont étendues. D'autant plus que j'ai un petit attrait pour tout ce qui est événements bizarres; cela fait quelques années que je me suis pris d'intérêt pour cette littérature très spéciale. En effet, un après-midi, il y a environ quatre ans, je m'en souviens très bien, j'ai surpris un de mes étudiants lisant un livre tout à fait étonnant et… Oula, je ferai bien de finir mon café, Gensen va encore dire que je suis en retard sinon. Je regarde ma montre, 10h10. Hum. On dirait bien que je suis déjà en retard. Partons vite !

Habillé de saison, j'avance d'un pas rapide jusqu'au lieu dit. Vingt minutes de tram et j'y serai, je ne serai donc pas si en retard que cela pour une fois. Mais pressons-nous, je sens déjà son regard réprobateur. Il faut dire que j'ai eu une fin de journée fort chargée la veille et que plusieurs réflexions ont entretenu mon éveil pendant des heures, ce n'est tout de même pas ma faute d'être un intellectuel ! Oh, voyons les gros titres du jour.
Je prends le temps de feuilleter quelques pages, certains titres attirent mon attention plus que d'autres. Je paye d'une pièce l'enfant aux journaux et m'installe sur un banc pour terminer ma lecture, le tram ne devrait pas tarder de toute façon.
Diantre ! Je me suis trompé de rue ! Pressons, pressons, je sens que… Aïe, ma pauvre cheville, voilà une entorse qui s'ajoute au reste.

Ce n'est clairement pas ma journée, le tram vient de partir. Encore dix minutes d'attente pour le prochain. Prochain qui arrive finalement, que j'emprunte sans soucis et qui me dépose un arrêt plus proche que celui qu'il me fallait, j'avais décidé d'être responsable et d'être sûr de ne pas rater mon arrêt. Cette réussite me rend assez fier de moi.
Quoiqu'il en soit, je sonne à la résidence de Gensen et en profite pour jeter un coup d’œil à ma montre à gousset. 11h02. Il est probable que mon retard ait été remarqué…
La porte s'ouvrant sur le visage de Joeffrey, le majordome de Gensen, me confirme cette dernière pensée. Froid et peu accueillant pour un majordome, je tente un sourire et m'engouffre en tapotant ma montre. “Je sais, je sais, j'ai un peu de retard.” Sans plus de cérémonie, Jeoffrey me conduit jusqu'au salon où je découvre alors trois personnes en plus de Gensen.
Tout d'abord, il y a Albertina, une médecin que j'ai déjà eu l'occasion de croiser de nombreuses fois et dont l'intelligence est relativement développée, même si elle perd son temps à essayer de sauver des cas désespérés. C'est bien dommage que son esprit aussi brillant soit cependant aussi fermé à mes recherches. À chaque fois que je lui en parle, j'ai l'impression de m'adresser à un mur. Sourd. Son regard n'a rien d'amical ce matin.
Il y a ensuite Henry, un antiquaire avec qui je fais parfois affaire et de qui je me suis rapproché ces dernières années depuis mon vif intérêt pour les choses étranges. Il tient une boutique remplie de bibelots maudits; ce qui est ennuyeux avec Henry c'est qu'il ne cherche pas à savoir réellement le fond des choses, entretenant une sorte de flou pour ses affaires. C'est particulièrement frustrant bien qu'il fasse partie des personnes qui m'aident le plus dans mes recherches. Son regard n'a guère l'air amical non plus aujourd'hui.
Enfin, il y a Terron, un verre de whisky à la main. Oh, comme j'en ai envie maintenant ! Je ne dirais pas que c'est la raison principale de ma présence aujourd'hui mais je dois reconnaître que Gensen est une des rares personnes que je connaisse à être capable de se fournir en alcool de contrebande sans en être inquiété. Oui, donc Terron est un journaliste qui ne brille guère de ses compétences intellectuelles mais qui possède un certain instinct pour saisir les bonnes choses au bon moment. De plus, sa curiosité amène parfois à des questions intéressantes.
Juste après avoir justifié mon retard d'excuses plus pertinentes et vraies et avant même que je ne me dirige vers la bouteille de Whisky, Gensen nous amène dans son bureau sans me laisser l'occasion de me servir un verre. Quel manque de magnanimité, il devrait pourtant savoir que n'importe qui peut se perdre et avoir un peu de retard. Je les suis donc, résigné et amer devant la vision taquine de Terron m'agitant son verre avant de le boire cul-sec. Quel sacrilège. Et en même temps quelle chance. Mon gosier me semble sec à cet instant.

Gensen nous explique alors la situation. De ce que j'en comprends, une de ses propriétés voit ses occupants partir régulièrement et c'est ennuyeux pour ses profits de rentier, ce qui fais sens. Il semblerait qu'il se soit passé plusieurs choses étranges. La dernière famille en date avait loué et emménagé en 1918, soit il y a deux ans. L'année suivante, en 1919, le père se fait interner. Bon, soit, ce n'est pas courant mais ça arrive. Les gens sont fous, et la guerre n'a rien arrangé. Ce qui est étrange c'est que récemment, il y a environ un mois, la mère s'est aussi fait interner. En terme de probabilités, c'est assez phénoménal. D'autant plus que les occupants précédents étaient aussi partis précipitamment pour des soucis similaires.
Gensen souhaite donc simplement que nous enquêtions sur sa fameuse maison pour savoir s'il y a quelque chose ou s'il peut la louer de nouveau sans soucis. J'étais assez peu emballé mais le plaisir intellectuel de la découverte m'a convaincu. Je ne dirais pas que les vingt dollars par jour n'y soient pour rien dans ma décision.
Je pose deux questions pertinentes puis je laisse notre cher Terron mener l'interrogatoire en sa qualité de journaliste. Aucune question supplémentaire ne semble être posée, je me sens grandi et nous décidons donc de partir. Je parviens tout de même à obtenir un verre avant de quitter la maison, je jubile. Joeffrey m'apporte mon verre et je prends le temps de savourer cette liqueur délicieuse. Les nombreux regards forcent cependant ma consommation et je me retrouve à terminer le verre en seulement trois gorgées. Visiblement, nous sommes pressés.

Ch. 2

Chapitre 2 - Une maison dérangeante

Nous prenons la voiture de Albertina qui nous conduit jusqu'à l'adresse que je n'ai pas particulièrement mémorisée tant l'information me semblait peu pertinente : je savais que quelqu'un m'y conduirait.
Là, drôle de spectacle : la rue donne sur un ensemble de petits immeubles de bureau relativement récents entrecoupé à un seul endroit d'une maison de ville dotée d'un étage. À peine descendu de la voiture, j'en informe mes comparses : “Je pense que c'est celle-ci”. À leurs réactions, je comprends qu'ils en sont arrivé à la même conclusion seuls.
Au deuxième coup d’œil, plus attentif que le premier, un frisson me parcourt, je… sens quelque chose qui ne me met pas forcément à l'aise. Je crois que ça me rappelle certaines histoires que des étudiants m'ont raconté. Je n'y crois guère mais je dois reconnaître que quelque chose m'a… déstabilisé. Il ne s'agit pourtant que d'une maison de ville dont la façade donne directement sur le trottoir et entourée de deux petits chemins menant à l'arrière de la maison. Terron munit des clés commence à déverrouiller la porte et ses très nombreux verrous. L'idée d'aller voir le jardin rapidement me semble pertinente, j'en informe donc mes comparses en m'engageant dans la courte ruelle. “Je reviens dans une minute.” dis-je en montrant ma montre. J'ai à peine le temps de faire quelques pas que je sens Albertina qui me suit. La confiance règne et m'en offusque quelque peu. Je lui jette un regard. “Non mais vraiment, ça ne va me prendre qu'une minute.” Mes mots ne semblent guère faire leur effet, on dirait que je n'ai pas sa confiance. Enfin, leur confiance, voilà que Terron et Henry s'engouffrent à leur tour dans la ruelle. Finalement, je présume qu'ils ont simplement tous jugé mon idée meilleure que la leur, ce qui fait sens.
Nous arrivons sur un jardin mal entretenu et pas très intéressant. Un chat noir file devant nous et disparaît derrière un mur. Terron dit pour rigoler que ça porte malheur; heureusement, je suis là pour distiller mon savoir et les informer que dans certaines civilisations, c'est tout le contraire. Ce qui me frappe avec ce jardin c'est qu'il n'y a aucune porte qui donne directement dessus. Ainsi qu'aucune fenêtre au rez-de chaussée. Trois donnent depuis le premier étage cependant et à l'instar des fenêtres de la façade avant, toutes sont fermées et tous les rideaux sont tirés. Nous terminons le tour de la maison par l'autre ruelle et nous tombons sur une porte verrouillée et aucune fenêtre.

Nous revoilà devant la porte, Terron termine d'ouvrir les innombrables verrous (il y en a au moins cinq). La porte s'ouvre. L'intérieur est lugubre et puant, j'en profite pour allumer une cigarette histoire de chasser l'odeur. Nous sommes dans un long couloir dont nous ne voyons pas le bout et cinq portes semblent donner sur des pièces.
Terron, Albertina et Henry s'engagent dans la première pièce à droite. Une idée farfelue me vient et je ferme d'un coup la porte d'entrée pour les faire sursauter. Ma blague me fait rire et j'ouvre de nouveau la porte avant de les rejoindre dans le salon.
Aucun n'a rit, aucun n'a d'humour, c'est certain.
La pièce est un salon poussiéreux ornementé de nombreux objets religieux. Il y a quelques étagères que Terron fouille et un canapé sur lequel je m'installe pour observer tout cela. Albertina ouvre les rideaux épais et un peu de lumière bienvenue illumine la pièce. Les fenêtres semblent cependant… clouées. De l'intérieur. Les gens qui vivaient ici étaient clairement fous, quelle idée que de clouer une fenêtre ? Autant les verrous, ça se comprend mais les fenêtres… Enfin. Voici qu'Albertina et Henry passent dans la pièce adjacente. Je me lève et les suis. Terron commence à prendre des photographies, je prends donc la pause dans l'encadrement de la porte, un livre à la main et notre ami journaliste immortalise cet instant. Je jubile.
Cette nouvelle pièce pue particulièrement, une vaste table occupe l'espace. Sur cette table semblent disposés trois couverts et une casserole. En m'approchant, je note que la puanteur provient clairement de ce qui se trouve à l'intérieur du contenant. C'est infect, je change de pièce sans regrets en suivant les autres. Une réflexion nous prend : le couple fou possédait-il des enfants ? C'est clairement le genre de question qu'aurait dû poser Terron à mon sens mais faute de l'avoir fait, voici un mystère de plus à résoudre. Personnellement, je suis convaincu qu'il y en a au moins un puisque Gensen parlait de “père” et de “mère”. Le choix des mots à son importance et peut en révéler bien plus qu'on ne le pense.
Nous découvrons une cuisine dotée d'un escalier qui descend dans le noir. Là, je note avec crainte qu'ils envisagent de poursuivre en descendant; je me sens alors contraint de les avertir : “Vous savez, dans toutes les histoires que j'ai pu lire à ce sujet, s'aventurer dans un escalier qui descend dans le noir est toujours une mauvaise idée.”. Point positif : ça a fonctionné et nous sommes retournés dans le couloir initial.

Un nouvel escalier s'offre alors à nous, en bien meilleur état et donnant sur le premier étage. D'un accord commun, nous choisissons de poursuivre l'état des lieux du rez-de-chaussée. Nous poursuivons donc les recherches, surtout eux en vérité, puisque je réfléchis un peu à cette histoire d'escalier qui descend; je les suis simplement.
Visiblement, cette partie du bâtiment est complètement dénuée de lumière et d'ouverture, j'allume donc une bougie avec pour Albertina avant d'allumer une nouvelle cigarette. Ce lieu me dérange quelque peu, la cigarette me rassure étonnement.
La porte qui donne sur la ruelle extérieure nous apparaît et est, elle aussi, complètement verrouillée avec au moins cinq cadenas. Terron entreprend alors de les déverrouiller un par un avant d'ouvrir en grand la porte. Ce qui permet d'éclairer un peu plus la pièce et nous découvrons plusieurs manteaux, dont deux manteaux d'enfants accrochés à une patère. La question de savoir si le couple devenu fou avait des enfants est donc résolue. En dehors de cette découverte, rien ne nous semble pertinent et nous continuons donc notre progression en ouvrant une porte qui donne sur une pièce sans fenêtre et qui semble servir de débarras. Je fais mine d'avancer quand soudain je sens un souffle dans mon cou. “Très drôle, Terron, bien tenté” dis-je avant de me rendre compte que Terron se trouve juste devant moi, avec un regard interrogateur. Je me retourne. Rien. Une vague de frisson parcourt mon échine. C'était probablement que mon imagination. Ça l'était puisque que c'est la seule explication logique. Peu rassuré, je me rapproche du groupe et de la lueur émise par la bougie. Rester seul en arrière est de moins en moins attirant, surtout avec l'escalier qui descend dans le dos. Le débarras ne contient que des débris de bois provenant probablement de meubles. Je suppose qu'il s'agissait ici du bois de chauffe du ménage.
La pièce suivante est la dernière du rez-de-chaussée, elle contient aussi des objets divers et tous aussi inutiles les uns que les autres. Seule une armoire barrée d'une planche retient notre attention. C'est une chose particulière tout de même et qui ne me dit rien qui vaille. Quand je vois Terron entreprendre d'ouvrir la porte, éclairé et soutenu par Albertina, un nouveau frisson me parcourt. “Il ne vous est pas venu à l'esprit que l'armoire puisse être condamnée pour une bonne raison ?”. Le fracas résultant de l'ouverture fut une réponse décevante. Curieux et à la fois peu rassuré, je regarde le journaliste tendre la main dans la pénombre pour en ressortir trois volumes épais. Pendant un instant, je mesure le risque qu'il puisse s'agir d'objets hantés puis, rationnel (et curieux), je finis par en saisir un pour le parcourir.
Il semble s'agir de journaux d'un certain Walter Corbitt. Les premières entrées datent de… 1850 et les dernières semblent datées de 1866. Seize ans de vie résumées en trois livres. C'est passionnant. Préférant de loin la lumière du jour à celle d'une bougie, je sors dans le couloir, et me met devant la porte d'entrée toujours ouverte afin d'entreprendre la lecture du premier tome. Je parcours quelques pages assez peu intéressantes quand un bruit provenant du premier étage me fait sursauter. J'échange un regard avec mes comparses et croise celui de Henry qui semble aussi être interloqué. D'autres bruits se font entendre comme si des meubles étaient trainés sur le parquet de bois ou comme si des choses étaient jetées par terre. Des petits tremblement me parcourt et je suis heureux d'être aussi proche de la porte d'entrée. Terron lance “Y a quelqu'un ?” à la volée ce qui a pour effet d'interrompre les bruits pour nous laisser avec le seul son de la rue derrière moi. Quelques secondes s'écoulent avant que les bruits reprennent. C'est incompréhensible. Selon Henry et Albertina il pourrait s'agit des enfants du couple mais ça n'a pas de sens, voyons. Cela ferait des semaines qu'ils seraient enfermés ici ? Non, ils seraient morts de faim. De plus, ils ont certainement été pris en charge au moment de l'intervention médicale. Ça n'a pas de sens. Une idée me traverse l'esprit et je crie “Est-ce qu'on vous dérange ? Vous souhaitez que l'on s'en aille ?”. Pour toute réponse, les bruits continuent, les grattements, les grincements, les craquements. Cela devient lugubre.
Et si, plutôt que de monter nous… allions demander au voisinage s'ils n'auraient pas entendu des choses ?” Ma proposition est à la fois pertinemment intelligente et quelque peu enrobée de couardise. Monter à l'étage ne m'enchante mais alors PAS-DU-TOUT. Je suis d'ailleurs content que mes compagnons approuvent ce plan. Nous ressortons donc. Un petit débat sur le fait de refermer ou non les portes s'active et une idée germe dans mon esprit. Il est finalement décidé de laisser les portes fermées mais sans les verrouiller totalement. Cela me convient très bien mais ne me suffit pas, je laisse donc les autres sortir et, en bon dernier, je tire la porte… en la laissant entrouverte. En effet, je me dis que cela peut permettre à… la chose de potentiellement sortir avant notre retour et à d'éventuels squatteurs ou curieux de s'y aventurer à notre place. J'ai bien conscience de la question éthique qui se pose là mais je dois reconnaître que ma vie m'importe et que minimiser les dangers est une ligne de conduite. Après tout : je n'ai pas esquivé la guerre pour mourir dans une maison.

Ch. 3

Chapitre 3 - Collecte d'informations

Mes compagnons n'ont pas remarqué que j'ai laissé la porte entrouverte. Nous décidons de nous scinder en deux groupes : Terron et moi irons interroger des travailleurs dans les bureaux pendant que Henry et Albertina iront glaner des renseignements auprès du kiosque non loin.
Les premiers bureaux sont ceux d'avocats. “Des menteurs, ils ne nous apprendront rien.”, expliqué-je à mon ami journaliste qui approuvait ma sagesse. Les bureaux suivants sont ceux d'une agence d'assurances. “Des menteurs et des arnaqueurs.” Terron ne put qu'approuver une fois de plus. Les bureaux suivants appartiennent à une entreprise de plomberie, c'est parfait : d'honnêtes artisans qui suent pour nous. Je pénètre à l'intérieur, suivi de Terron.
Une jeune femme, probablement une secrétaire nous accueille. Je m'accoude à son comptoir mais Terron me coupe la parole avant même que je ne puisse prononcer un mot. Son instinct de journaliste se faisait sentir, dirait-on. Je le laisse donc parler puis pose mes questions pertinentes : avait-elle entendu des choses ? Ses réponses se révèlent particulièrement décevantes, se cantonnant au traditionnel “je n'ai rien vu, rien entendu, je ne suis qu'une pathétique secrétaire pas curieuse du tout.” Les commères ne sont plus ce qu'elles étaient. Étonnamment, elle était plus livide à la fin de notre discussion qu'au début. Je me demande si le fait de parler de fous et de bruits étranges puisse l'avoir déstabilisé. C'est sur cette réflexion que nous ressortons avec bien peu d'informations.
Nous retrouvons la médecin et l'antiquaire devant la maison, ils nous expliquent que ce ne sont pas les premiers locataires à avoir eu des comportements étranges. Durant leur monologue peu intéressant, je jette un regard discret en direction de la porte : celle-ci est toujours entrouverte. Bien.
La question de la suite de notre enquête se pose. Nous avons trois livres relativement épais à lire et peu de pistes. L'idée de retourner dans la maison alors que le jour se couche me déplait fortement et, fort heureusement, je ne suis pas le seul dans ce cas. Je propose donc de manger au restaurant pour étudier un peu tout cela et nous poser. Pour être honnête, à cet instant, je n'ai aucune envie de me retrouver seul. L'idée est acceptée.

Albertina nous conduit donc dans un restaurant et nous commandons à manger. Une discussion inintéressante anime mes trois comparses et je choisis donc de me plonger dans la lecture du premier tome de la vie de Walter Corbitt. Une heure passe. Je n'apprends pas grand chose.
Notre amie médecin retient cependant mon attention, elle s'était visiblement plongée dans la lecture d'un autre tome et a trouvé quelque chose. Je note que Henry a aussi entamé une lecture et que Terron est parti se coucher. Ah non, d'après l'antiquaire, il serait aller développer ses clichés. Ma foi, pourquoi pas. Je reporte mon attention sur Albertina qui me montre des pages qui ont retenu son attention. C'est… très… étrange. J'y vois des symboles, des dessins et des annotations et le fait de voir tout cela me met mal à l'aise, je ne sais pourquoi. Cela me rappelle une sensation que j'ai déjà pu ressentir durant mes recherches sur des pratiques cabalistiques.
La journée de demain me semble toute planifiée : j'irai faire des recherches dans mon université pour voir si je trouve des choses en lien. Henry propose de m'accompagner, ce qui ne me dérange pas. Albertina choisit pour sa part d'aller avec Terron à l'asile pour essayer d'en apprendre plus de la bouche des derniers locataires fous. Cela me semble une piste pertinente à explorer mais je suis secrètement heureux de ne pas avoir à m'y confronter moi-même.

Albertina me ramène chez moi et je m'endors difficilement. L'impression d'entendre des bruits me tend. Celle de ne percevoir que du silence aussi. Mon esprit se focalise sur les recherches à entreprendre demain et je parviens à dormir quelques heures d'un sommeil agité.

14 Octobre 1920
Je me réveille juste avant l'aube, la sécurité promise de mon université étant bien plus attirante que de rester seul dans mon lit ce matin.
Je m'habille après m'être débarbouillé, j'attrape une pomme puis quitte mon appartement. Je me surprends moi-même à arriver à l'heure pour le tram, celui-ci me conduit à l'université pendant que je repense à toute cette histoire de maison. L'étrangeté de la situation est indéniable. Les bruits n'étaient pas imaginés, hier, non, je m'en souviens très bien. Mon imagination n'aurait pas pu me jouer un tel tour. Si…? Je jette un œil au premier tome des journaux de Corbitt. Ce ne sont que des notes. Un frisson me prend. Je lève la tête et soupire de dépit en constatant que mon arrêt est passé. Je descends au suivant et remonte la rue jusqu'à franchir le portail rassurant de l'établissement de renom dans lequel j'officie.
À peine arrivé dans mon bureau, j'entreprends de rassembler quelques livres en lien avec les pratiques non-orthodoxes qui me reviennent et je commence ma lecture. À mesure que des étudiants viennent me saluer, je leur demande de faire venir untel ou unetelle et à ces derniers, je leur demande de me retrouver certains livres dont nous avions parlé ensemble. Henry me rejoint tôt et entame des recherches similaires.
Le temps passe et je m'agace contre mes étudiants ainsi que contre Henry, rien ne semble lié de près ou de loin à ce que nous avons découvert dans les pages de ce Walter Corbitt. Aucun schéma similaire. Aucun signe. Rien. Il semble pourtant s'agir d'une sorte de rituel d'invocation mais je ne trouve aucun livre en lien et aucun de mes étudiants n'est fichu de se rappeler un livre ou un article ayant traité de ce sujet. Qu'est-ce que l'on pourrait bien invoquer de toute façon ? Un esprit ? Un fantôme ? Un démon ? Tout est possible et rien n'est crédible.
Les heures s'écoulent, je crois que j'ai mangé quelque chose et que midi est passé depuis longtemps quand je relève la tête et me rend compte que Henry n'est plus là. Je suppose qu'il est aux toilettes et me replonge dans mes lectures.
De nombreuses, très nombreuses pages plus tard, je suis tiré de ma réflexion par Henry, accompagné de Terron et Albertina. Je regarde l'heure, il est près de 15h.

Albertina et Terron me font un rapport de ce qu'ils ont pu tirer de leurs entretiens avec la mère devenue folle ainsi que le père. A priori, ce dernier est complètement grillé du bulbe et semble terrifié. La mère aurait évoqué une sorte de présence, d'un homme noir au yeux rouges qui ferait souvent apparition dans la maison, au beau milieu de la nuit à les fixer sans rien dire. Elle a aussi évoqué les bruits fréquents et inquiétant provenant du premier étage alors qu'il n'y a jamais personne. Ce souvenir me glace le sang un instant et je me réchauffe les mains autour d'une tasse de café chaud. Je bois une gorgée pour faire passer ce sentiment et écoute la suite de la discussion. J'apprends alors que les deux enfants, âgés de 3 et 5 ans, aurait été accueillis par une partie de la famille, à Baltimore. Bien, même si ce ne sont que des gosses, c'est mieux qu'un orphelinat. Une autre chose qui me perturbe dans son récit c'est le fait que les clous dans les fenêtres ne soient pas de son fait à elle. Qui d'autre aurait pu le faire ? Cette question s'ajoute aux autres.
La proposition de retourner dans la maison est évoquée à une ou deux reprises mais ne m'enchante en rien. Je suggère donc d'aller voir les gosses mais ce n'est, comme je m'en doutais, pas accepté. J'appuie cependant fortement la proposition de Terron d'aller voir Georges, son collègue complotiste. Ce n'est pas une piste dont j'attends grand chose mais cela nous fera peut-être perdre un jour de plus. Et ce serait donc un jour de plus où un inconscient pourrait s'introduire dans la maison… Ou plutôt un de plus pour que la… personne…? s'en aille.
Quand je reviens à mes collègues, nous sommes dans le bureau de Georges. Je ne peux m'empêcher d'avoir un sourire supérieur sur les lèvres, un tel être me fait rire. Faibles d'esprit sont les personnes à voir des complots partout. Et vu tout ce que Terron m'a dit sur lui… il m'est actuellement difficile de le prendre au sérieux. Je tâche de rester en retrait pour ne pas lui couper l'envie de parler, ces gens sont tellement susceptibles.
Terron parvient à attiser la curiosité de Georges sans aucune difficulté. À peine évoque-t-il une “affaire étrange” et une “maison hantée” que Georges se met à déblatérer de nombreuses choses. De tout son charabia, je retiens certaines informations : a priori, un certain Matthew Thomas aurait créé un culte qui s'apparenterait à une église de la reconnaissance quelque chose. Ce culte aurait été une secte qui a finalement cessé d'exister lorsqu'une confrontation a eu lieu il y a cinquante ans, à la fameuse église qui aurait pris feu. Sept disciples seraient morts ainsi que trois officiers de la paix. Thomas aurait été arrêté mais il se serait échappé il y a trois ans. Et depuis… plus de nouvelles. C'est dommage, ce Thomas aurait pu être une piste.
Une fois dehors, nous réfléchissons à ce que tout cela implique. Nous choisissons de nous séparer en deux groupes pour aller récupérer certaines informations à la mairie dont la date de création de la maison tout en allant consulter les archives d'un journal local. J'opte pour la mairie afin d'éviter de côtoyer d'autres Terron. Albertina m'accompagne.
Nous passons une petite heure à la mairie et nous ressortons avec bien peu d'informations : la maison aurait été construite en Janvier 1835 et Walter Corbitt l'aurait acquise peu de temps après, en Mars 1835. Nous avons aussi pu acquérir une attestation du décès de Corbitt en 1866. Date qui coïncide avec les dernières entrées de son journal. Cette information me plaît. En revanche, ce qui ne me plaît pas et me glace le sang quand j'y repense c'est que Corbitt aurait eu comme dernière volonté de… finir enterrer sous sa maison. Je trouve cela glauque. Ce qui me plaît encore moins c'est que la personne ayant signé le document officiel du décès soit le fameux Matthew Thomas. De la secte à l'église brûlée !
Cela me perturbe et les informations que nous rapportent Henry et Terron me mettent d'autant plus mal à l'aise : ils sont parvenus à dégoter de vieux articles de presse faisant mention des précédents propriétaires du logement. Et dans chacun d'eux… ça se termine mal. Au delà du fait qu'ils finissent tous par fuir, il y est fait mention de problèmes mentaux, de mutilations et même de morts. Certains se seraient suicidés, d'autres entretués. Glaçant.
L'heure avançant, il nous reste moins de deux heures de soleil. C'est parfait car trop peu selon moi pour retourner à la maison. Une drôle de pensée m'assaille : et si l'homme noir aux yeux rouges étaient Walter Corbitt…? D'un échange de regard avec Terron, je comprends que lui aussi a eu la même pensée. Je déglutis. C'est impossible. Impossible et irrationnel. Je n'ai vu aucune chose du genre et même si certains livres parlaient de telles pratiques, ça ne pouvait être possible. N'est-ce pas ? Voilà que je me parle à moi-même. Mes lectures cryptiques semblent me monter à la tête. Cette maison semble me monter à la tête. Les vingt dollars par jour sont déjà devenu quarante. C'est une pensée réconfortante mais pas suffisante.
Une discussion entre Terron et Henry me ramène au présent. “Attendez, vous ne comptez tout de même pas sérieusement aller voir la chapelle ?” Ils me confirment que c'est bien leur idée mais simplement de passer devant pour “voir”. Je n'en reviens pas. Je propose à Albertina de retourner à l'université pour étudier les carnets mais elle aussi trouve l'idée “d'aller voir le chapelle” intéressante. Qu'est-ce qui ne tourne pas bien chez eux ?! Venant de Terron, l'idée me semble normale tant c'est la curiosité plutôt que la raison qui le guide. Mais Henry devrait savoir qu'il y a certaines choses dont il vaut mieux ne pas s'approcher. Et Albertina… Albertina se serait-elle saoulé en douce ? Elle ne peut pas être elle-même. Et pourtant, voilà que nous sommes tous les quatre sur la route en direction de cette satané chapelle…

Ch. 4

Chapitre 4 - La chapelle de la Contemplation de notre Seigneur délivreur de secrets

Je propose à Albertina qui conduit de simplement ralentir mais sans s'arrêter. Hélas, Terron et Henry se gare devant un terrain vague qui semble correspondre à l'adresse de l'église. Albertina fait de même. Je serre les dents mais prends mon mal en patience. Nous allons bientôt repartir. Ils vont juste regarder puis…
Halluciné, je vois Terron et Henry sortir de la voiture. Albertina semble faire de même mais je pose ma main sur son bras. “Tu ne vas quand même pas aller voir, toi aussi ?” Elle se dégage, ignorant ma crainte et sort à son tour. Je n'arrive pas à y croire. Je les vois s'approcher du muret et me dis qu'au moins, ils n'iront pas plus loin.
Bien entendu, une fois de plus, me voilà interloqué par leur stupidité : le journaliste enjambe le muret et s'avance comme s'il cherchait les vestiges du bâtiment. Je peste, je peste et, voyant que les deux autres l'imitent, je sors de la voiture en pestant.

Je m'approche du muret, prudemment et observe les herbes hautes et la végétation. Rien ne laisse à penser qu'un bâtiment se soit érigé ici. J'observe le quartier qui nous entoure, il est vide et peu accueillant. Je ne distingue personne dans la rue et pourtant, j'aimerais que ce soit le cas. Mon regard se reporte sur mes comparses et je finis par franchir à mon tour la limite du muret. J'avance pour les rejoindre.
Quelque chose me gène mais j'ai du mal à mettre le doigt dessus. J'observe ce qui m'entoure et rien ne me met en confiance. Il ne s'agit pourtant que d'herbe et de roche… Ma montre indique qu'il nous reste une heure et demie de soleil, la course du soleil me le confirme. Les ombres s'étirent et la luminosité me fait mal au yeux, j'en ai un petit mal de crâne. Je continue d'avancer en voyant qu'ils me distancent.
Je peste intérieurement, je jette des regards fréquents aux voitures que nous venons d'abandonner et je peste encore. J'ai la gorge sèche et visiblement, je ne me suis pas assez hydraté car mon mal de crâne commence à résonner. Ce sera une bonne raison à faire valoir pour ne pas s'attarder. J'allais d'ailleurs la leur évoquer quand le sol sous mes pieds se dérobe sans prévenir.
Un cri m'échappe et je me sens mourir. La peur m'envahit mais c'est un choc bien réel qui me ramène à la réalité de la vie : je viens de m'effondrer sur un sol dur. Je me masse le coccyx et me fige. De ce que j'en vois au dessus de moi, je suis passé à travers un plafond pourri et… et j'ai atterri dans une pièce particulièrement effrayante où reposent deux squelettes en robe ainsi qu'une sorte de livre sur un piédestal.
SORTEZ-MOI D'ICI ! SORTEZ-MOI DE LÀ !” hurlé-je à Terron et Henry dont les têtes viennent d'apparaitre.
La panique me prend et je préférerai presque être mort. Non, je préférerai ne les avoir jamais suivi, je préférerai être resté dans la voiture, je préférerai être resté à l'université, avec mes livres ! Mais je suis là, tout seul, et… Terron me tend une main pour essayer de m'attraper. “Sautez !” me dit-il et c'est donc sans attendre plus que je prends mon élan. La peur aidant, je parviens à attraper la main et c'est l'ensemble que forme Terron, Albertina et Henry qui m'extirpe de ce trou. Je m’époussète en tremblant et je m'en retourne vers les voitures. “Allez, on en a ass-assez vu ! Rentrons !

Ce n'est qu'une fois de l'autre côté du muret que je me rends compte qu'aucun ne m'a suivi. Je n'en reviens pas. Seraient-ils tous devenus fous ? Je craque une allumette et embrase d'une main mal assurée une cigarette. Une vision d'horreur me frappe alors : Albertina et Henry ont disparu. Qu'est-ce que…? Terron est de nouveau à genoux et semble parler au trou duquel je viens tout juste de m'extirper. Ils ne seraient tout de même pas… Je frissonne et scrute autour de moi. Je tremble et consulte ma montre. Je ne veux pas rester ici une minute de plus et je refuse de rester ici à l'approche de la nuit. Terron me regarde, je lui fais signe de revenir, il me fait un signe du pouce que tout va bien. Quel abruti. Quelle brochette d'ahuris illettrés et dénué de tout brin de jugeote ! Il y a quelque chose de bizarre autour de cette église, je le sens et c'est dangereux. Je le sais. J'en suis convaincu. Ces sectes correspondent tout à fait à ce que j'ai pu lire comme histoires occultes et je n'ai aucunement envie de découvrir si elles sont vraies ou non. J'ai très bien conscience qu'il y a toujours un brin de vérité dans chaque livre mais, dans la situation présente, plus celui-ci se révèlerait faible, mieux ce serait, à mon sens.
Je vois Albertina ressortir. Enfin ! Henry la suit ! Ils reviennent enfin, tous les trois. Le soulagement manque de me couper les jambes, je jette un dernier regard à ma montre. “Partons vite !

Enfin les voitures démarrent et nous nous éloignons de ce lieu lugubre. Des palpitations me prennent encore mais je sens que je me calme peu à peu. Très lentement, certes. La nuit tombe et mon estomac se révèle à moi de façon très prononcé. J'ai faim, je meurs de faim, je veux du gras, du sucré, je veux manger et me sentir bien. Fort heureusement mes compagnons sont d'accord avec moi. Seul Henry nous annoncent, devant le restaurant qu'il doit partir. Je suis assez surpris mais cela ne change rien. Il part, nous laissant seuls.
Après un instant d'égarement interloqué, je finis par pénétrer dans l'établissement pour me griller une cigarette. J'en ai clairement besoin vu le tremblement qui prend mes mains. Une fois l'embout allumé j'observe que Terron semble encore plus stressé que moi. Il tire fortement sur sa cigarette sans réussir à la savourer. Seule Albertina semble encore stable émotionnellement. Elle ne croit pas à tout cela, ça se voit qu'elle cherche encore une explication rationnelle à ce qui est, clairement, irrationnel.
Un mouvement sur ma gauche suivi d'une voix féminine me fait sursauter : “Non mais ça va pas ?!” hurlés-je de peur. La serveuse semble alors toute penaude et c'est Terron qui la rassure en me faisant passer pour quelqu'un qui aurait passé une mauvaise journée. Ce qui, tout compte fait, est assez vrai. Je passe rapidement commande pour du gras, de la viande et du sucré. Je dois manger, mon estomac se rappelle à moi.
Durant le repas, nous discutons de la suite. Une chose est sûre : il est hors de question de retourner dans cette satanée maison de nuit. HORS DE QUESTION. Visiblement mes arguments touchent puisque mes associés vont dans mon sens. Tant mieux. Je propose alors d'étudier de nouveau ce rituel étrange que l'on a trouvé dans les mémoires de Corbitt. Je suis prêt à y passer la nuit s'il le faut mais pas seul. Non pas que j'ai peur de passer la nuit seul, non, c'est simplement qu'en terme d'efficacité, il est scientifiquement prouvé que les duos réussissent mieux que les personnes solitaires. Terron propose d'aller explorer les archives du journal pour en découvrir plus sur la fameuse secte de la Chapelle de la Contemplation de notre Seigneur délivreur de secret (quel nom, vraiment…) et Albertina de m'accompagner. C'est étonnant mais cette déclaration me soulage grandement, libérant une tension que je ne pensais pas avoir. Peut-être que j'avais un peu peur de passer la nuit seul finalement…

Le repas se termine sur une crème brûlée des plus savoureusement sucrée et c'est motivés qu'Albertina et moi nous dirigeons vers l'université. Un petit signe au gardien pour qu'il ne s'étonne pas de ma présence puis j'use de mes clés pour déverrouiller l'accès à mon bureau et à la bibliothèque. Étonnamment l'université en pleine nuit me rassure bien moins qu'en plein jour. Je me sens épié.
Des heures passent durant lesquelles j'ai beau donner des directives claires, concises et adaptées, Albertina se révèle aussi empotée que mes étudiants. C'est à ne rien y comprendre ! Nous ne trouvons rien se rapproche de près ou de loin à ce que nous avons trouvé dans le livre. Rien sur plus d'une dizaine d'ouvrages traitant de rituels, que diable ! Le plus frustrant c'est que je suis certain que l'on aurait trouvé des choses si Albertina n'en avait pas fait qu'à sa tête en cherchant de nouvelles informations sur Matthew Thomas et sa secte.
Au beau milieu de la nuit, après m'être bien emporté sur elle, je finis par lui faire une révélation aux alentours de 3h du matin. Je lui demande de ne rien en dire à Terron tant qu'on ne sera pas sûr et certain que ma théorie loufoque est la bonne. Loufoque étant le terme le plus approprié, de mon point de vue. Je lui explique, avec beaucoup de pincettes, que la théorie potentielle selon laquelle ce fameux homme noir aux yeux rouges pourrait tout à fait bien être Walter Corbitt, l'ancien propriétaire de la maison qui aurait réussi son fameux rituel, m'apparaît comme… presque plausible tant nous avons vu de choses étranges. C'est d'ailleurs très différent de ce que j'ai pu lire toutes ses années sur les pratiques occultes racontées dans des ouvrages mais en même temps, c'est ce qui s'en rapproche le plus. Et de loin ! Fantômes, démons, sortilèges et malédictions, tout cela pourrait justifier très facilement ce que l'on a vu et vécu au sein de cette maison. Albertina m'écoute et consent à reconnaître qu'elle n'a pas beaucoup d'explication. Cependant, elle enchaîne en supposant que cela pourrait être une hallucination collective due à une fuite de gaz ou quelque chose du genre. Sornettes que cela !
Suite à cette discussion, nous tombons au moins d'accord sur le fait qu'il faudrait dormir. Je lui propose de prendre un fauteuil et moi l'autre pour cette nuit. Elle accepte sans rechigner et je m'endors donc assez facilement en sachant que quelqu'un est présent non loin. Au cas où.

Ch. 5

Chapitre 5 - Une maison dérangée

15 Octobre 1920
Nous avions convenu de nous retrouver aux alentours de 9h près de la maison “hantée” pour y retourner en plein jour. Albertina s'énerve un peu contre moi le temps de la préparation, comme si je faisais exprès d'être en retard. C'est fort mal me connaître ! Le plan planifié la veille consistait à y aller étape par étape en enlevant chacune des planches qui obstruent la lumière du rez-de-chaussée et le moins que l'on puisse dire, en voyant le matériel ramené par Terron, c'est que celui-ci a pris cela au mot. Il nous montre son coffre dans lequel se trouvent de nombreux outils : hache, corde, lampes-tempêtes, barre à mine et pied de biche. Je m'approprie le pied de biche qui a un côté très rassurant entre mes mains et même si je ne sais pas forcément très bien m'en servir, je me dis que, sur le moment, je saurais quoi faire. Visiblement ma maladresse n'a pas échappé au reporter qui se met à miner devant moi comment on utilise cet outil. Je lui réponds caustique “Mais je sais très bien comment fonctionne cet outil, voyons !”. Son sourire moqueur ne semble pas me croire. Quoiqu'il en soit, nous revoilà face à la maison. En pleine heure d'embauche des bureaux. Sans s'arrêter, plusieurs passants nous observent d'ailleurs avec un drôle de regard, ce qui est probablement dû à notre équipement assez peu commun en pleine ville. Je tapote machinalement mon sac en bandoulière dans lequel se trouvent les trois volumes de Walter Corbitt et observe que le journaliste faire de même avec son précieux appareil de photographie portatif.
Je me faufile pour être le premier à aller “ouvrir” la porte que j'ai laissé entrouverte. Rien ne laisse penser que quelqu'un ait quitté la maison… Ni que quelqu'un soit rentré dans la maison. Cela m'attriste un peu mais je n'en laisse rien paraître et raffermis ma prise sur la barre métallique. Je tiens la porte grande ouverte et laisse Albertina et Terron passer devant moi. Le lieu semble silencieux et tel qu'on l'avait laissé la veille. Une force contre ma main retient mon attention et je me rends compte que la porte que je maintiens semble essayer de… se fermer toute seule ?! “Camarades ? Terron ! Albertina ! Venez voir ! Mais qu'est-ce que c'est que ce bordel de Dieu ?!” Je maintiens à deux mains pour être sûr qu'elle ne se referme pas et je me révèle sans surprise plus fort que cette force. Le photographe demande à voir et je m'écarte en laissant mes mains juste derrière pour rattraper la porte au cas où il ne serait pas aussi costaud que moi. Il soupèse la force et constate que je ne mentais pas. Décidé, il me fait signe de reculer à l'intérieur et relâche la porte pour empoigner sa hache à deux mains. Je m'écarte encore un peu plus pour lui laisser toute latitude et je le vois fracasser la porte qui venait de se refermer toute seule. Il lui assène un coup brutal puis débloque son arme avant de vérifier qu'il peut toujours ouvrir la porte. Cela semble possible. Me demandant mon aide, il décide cependant de casser les gonds de celle-ci afin d'être certain qu'elle ne se referme pas sur nous. Je soutiens totalement cette idée et, après plusieurs entailles bien placées, la porte s'effondre par terre, inerte. Je me sens un peu bête de toute l'énergie déployée juste pour une porte et c'est exactement à ce moment-là que je croise le regard d'une femme dans la rue qui nous regarde avec de grands yeux. Je mets quelques secondes à reconnaître la secrétaire du premier jour et celle-ci en profite pour reprendre sa route prestement sans demander son reste.
Albertina me ramène à notre problème présent et j'acquiesce en retournant dans la maison. Elle me demande par quelle fenêtre commencer et, sans hésiter, je déclare qu'il faut commencer par ce qui est le plus proche de la porte d'entrée et donc le salon. Le rai de lumière que provoque l'absence de porte est assez rassurant et me motive à continuer dans ce sens : enlevons toutes les plaques et peut-être que ça ira mieux pour chasser… la chose. Repenser à cela m'amène à repenser à hier et à tout ce que je sais sur cette maison et à cette porte qui quelques instants avant s'est mise à bouger toute seule. Mes mains se remettent à trembler un peu et je dois donc raffermir ma prise. Une cigarette serait la bienvenue en cet instant présent mais j'ai besoin d'avoir mes deux mains de libre. Je prends le temps de bien positionner mon pied de biche et, après quelques échecs contrôlés dans le but de trouver le bon angle, je prouve à Albertina et Terron que je suis tout à fait capable d'utiliser cet outil. Des pensées m'obsèdent et je décide de parler pour les tenir à l'écart. J'explique en détail à Albertina comment bien tenir le pied de biche, comment trouver le bon angle et mettre le bon point au bon endroit pour que les planches s'enlèvent facilement. Mes leçons semblent payer puisqu'elle y parvient presque aussi bien que moi. J'en profite aussi pour lui expliquer ce sur quoi portait ma deuxième thèse et comment l'idée m'était venue en lui détaillant l'importance des détails, des nuances et de la problématique d'origine.

Nous œuvrons pendant une petite dizaine de minutes avant qu'Albertina ne me demande si j'ai entendu. Entendu quoi ? Non, je n'ai rien entendu. Juste après, c'est la voix de Terron qui nous parvient en disant qu'il va monter à l'étage. Nous n'avons même pas fini le rez-de-chaussée qu'il veut déjà monter à l'étage ! Nous le rejoignons cependant pour ne pas le laisser seul puisqu'il semble bien décider à monter. L'escalier semble stable mais grinçant tout de même. Les jointures de mes doigts me font mal mais je grimpe après eux. Marche après marche.
Nous débouchons sur un grand couloir éclairé par trois fenêtres incrustées dans le même mur et donnant sur quatre porte, sur le mur opposé à celui-ci. Il y a de légers volages devant les carreaux, je m'approche d'eux pour les ouvrir, le moindre brin de lumière supplémentaire me rassurant. Quant à lui, Terron se dirige pour ouvrir la première porte.
Je le vois disparaître à l'intérieur, rapidement suivi par Albertina. Je m'approche du seuil et observe. Il s'agit visiblement d'une salle de bain peu salubre. En plus d'un “ploc ploc” régulier qui se fait entendre depuis le lavabo, une odeur d'eau croupie me parvient. Le lieu ne me plaît pas et j'attends dans le couloir que Terron aille ouvrir la porte suivante.
Celle-ci se révèle étrange : pour tout mobilier sur le plancher se trouve une armoire vide aux portes entrouvertes et un lit solide dénué de matelas. Je vois le journaliste se pencher avec son appareil photographique portatif pour immortaliser le sol. En scrutant celui-ci, je découvre de nombreuses marques sur le bois, comme si les meubles avaient été trainer plusieurs fois. Je suppose que c'est ce que Terron cherche à immortaliser. Un frisson me parcourt quand je repense à notre première visite et aux bruits que l'on entendait en provenance de l'étage. Il s'agissait peut-être bien de cette pièce après tout… Je fais un pas en arrière et soupire discrètement de soulagement quand notre ami referme cette chambre pour passer à la suivante.
La pièce suivante est visiblement la chambre des enfants. Garnis de petits lits et de nombreux jouets. Plein de dessins moches ornent les murs, comme pour exposer fièrement leurs talents artistiques juvéniles complètement déplorables. Je discerne une grossière maison, de grossiers bonhommes et une grosse étrange que je suppose être un cheval. Ou un chien.
La quatrième et dernière pièce est la chambre des parents, semblerait-il. On y retrouve de nombreux ouvrages religieux sur la table de chevet et dans l'armoire. Ils étaient vraiment toqués. Et désespérés. Personnellement, alors que la tension montait, chambre après chambre, je suis soulagé de noter que rien de terrifiant ne se cache finalement à l'étage. Cela me fait desserrer quelque peu ma prise sur le pied de biche. Albertina et Terron ne semble cependant pas satisfait. Je les vois retourner dans la première chambre. Résigné, je les suis mais reste sur le seuil, à jeter par intermittence des regards pas très rassurés à l'escalier que nous avons emprunté et qui donne… directement sur l'escalier vers la cave. Un coup d’œil m'apprend que Terron observe plus attentivement le sol. Le regard suivant que l'escalier et le couloir sont toujours vides. Là, un grand fracas en provenance de la pièce me fait sursauter et je vois mes deux comparses se débattre contre le mur en essayant de repousser le lit. Je ne comprends pas. “Mais qu'est-ce que vous avez fait ?” On me répond que le lit s'est déplacé tout seul pour les agresser. C'est incompréhensible. Puis je repense à la porte d'entrée. Un frisson glacé me parcourt quand je réalise que je suis en plein dans l'encadrement d'une porte. Ni une, ni deux, je fais mon choix et fais un pas de côté pour me sortir de la zone d'atteinte de la porte. Me voici dans la chambre avec eux et je suis terrifié. Mon cœur bat la chamade, mes doigts se crispent de nouveau sur l'arme d'occasion que je tiens. Les secondes semblent s'écouler lentement car une éternité semble passer avant que Terron et Albertina ne se dégagent du lit pour ensuite m'entrainer vers l'escalier.
Le plan qui consistait à prendre le chemin de la cave semble avoir été modifié avec cette nouvelle manifestation. Je descends derrière eux en tenant fermement mon pied de biche. La descente est d'ailleurs plus rapide que la montée avec Albertina mène la procession et Terron qui essaye tant bien que mal de conserver à l'abri de la lumière, sous sa veste, les débris de son appareil photographique cassé lors de l'attaque du lit. Le nouveau plan semble être d'aller développer les négatifs tant que cela est possible.
Au bas des marches, quelque chose nous frappe : la porte d'entrée, qui trainait sur le sol, dévergondée il y a quelques minutes, était de nouveau en place devant nous. Je sens le sang qui vient frapper dans mes tempes. Je m'avance et, avec le bout de mon outil, j'essaye de pousser la porte. Celle-ci ne bouge pas. Terron me dégage et d'une main tente de tourner la poignée. Sans succès. Il tente alors de la pousser. Sans plus de succès. Je le vois qui commence à paniquer. Il lâche au sol ce qui reste de son appareil portatif de photographie et empoigne à deux mains la hache qu'il transportait avec lui. Il se met alors à fracasser la porte avec vigueur. Une fois. Puis une deuxième fois. Et une troisième. Je me retourne pour vérifier que rien ne nous surprenne dans le couloir. J'entends la hache qui continue ses ravages et les bruits d'efforts que produit Terron. Je l'entends s'exclamer “Mais c'est du sang ?! Du sang !” avant de l'entendre accélérer son abattage en règle de la porte. Je me retourne et découvre qu'il est complètement recouvert de sang. Cette vision me glace d'horreur et je vois que du sang s'écoule de haut en bas le long de la porte. Porte qui est toujours fermée. Je me mets à crier : “La fenêtre ! À la fenêtre du salon !” avant de me précipiter dans la pièce de laquelle nous avions enlevé toutes les planches des fenêtres et j'en ouvre une pour me précipiter à l'extérieur. J'ai bien conscience qu'il faut énormément de courage pour être le premier à s'élancer mais j'ai découvert que je débordais de courage, quoiqu'en dise mes comparses. Ceux-ci me suivent prestement d'ailleurs et nous atterrissons dans le petit chemin qui longe la maison.
À peine le dernier d'entre nous sort-il qu'un fracas nous parvient de la fenêtre la plus éloignée de nous. Suivi d'un autre, plus proche et d'un dernier quand notre fenêtre se referme avec violence dans son encadrement au point d'éclater les carreaux en verre qui la compose. Je tremble de peur et quitte le chemin pour retourner proche de la voiture. Je vois Terron qui, en état de choc, retourne proche de la porte et passe sa main dans le trou béant qui traverse la porte. Je me crispe mais il la ressort indemne. Enhardi ou déstabilisé, c'est difficile à dire, il va pour ouvrir la porte qui, jusque là refusait de bouger. Elle s'ouvre et tombe à l'intérieur comme si plus rien ne la retenait. Un étrange bruit de craquement se fait entendre et je me souviens que l'appareil du journaliste était resté à l'intérieur… Je suppose que nous ne pourrons plus rien en tirer. Sans oser rentrer, il grimpe dans la voiture et Albertina prend le volant.
Pendant quelques instants nous discutons de ce qu'il s'est passé, j'apprends alors que le sang sur Terron ne lui appartient pas et qu'il n'est nullement blessé. J'en profite pour récupérer du sang sur un morceau de mouchoir et le laisse sécher. Très vite, nous arrivons à la conclusion qu'il nous faut une preuve de plus. Albertina démarre et nous faisons le tour du quartier pour ensuite repasser devant la maison. La porte est toujours au même endroit. Inerte. Nous faisons un second tour et un troisième. Au quatrième, je me dis que ça suffit mais ce n'est qu'au cinquième que la médecin accepte de quitter l'endroit. La porte n'a pas bougé.

Ch. 6

Chapitre 6 - Choc, révélation et témérité

Nous roulons en silence, chacun dans nos pensées, jusqu'au domicile de Terron. Il y prend une douche et nous parvenons à retrouver notre calme. Tout ce qui s'est passé aujourd'hui s'est révélé déstabilisant et irrationnel.
Nous allons déjeuner au restaurant mais j'ai étonnamment bien moins d'appétit que la veille. Au cours du repas, je vois l'esprit cartésien d'Albertina céder et accepter que du paranormal puisse expliquer tout cela. Enfin ! Alors que la conversion tournait dangereusement vers la possibilité de retourner directement dans cette maison infernale, je leur propose de rencontrer une de mes connaissances, experte dans tout ce qui est lié à l'occulte. Ils acceptent et j'en frémis de plaisir.
Nous reprenons donc la route pour atteindre l'adresse de ma collaboratrice. Nous pénétrons dans une petite librairie relativement étroite mais profonde, introduit par une petite clochette. Comme je pouvais m'y attendre, il n'y a personne au comptoir, je m'y dirige donc et tapote du poing un code. Mes compagnons me regardent interloqués. Quelques secondes s'écoulent puis l'on entend en réponse un code qui me convient : Abigail est bien présente. Et en effet, une quadragénaire de petite taille mais aux longs cheveux sort de l'arrière boutique pour m'accueillir avec joie. Elle salue bien évidemment ceux qui m'accompagnent puis s'intéresse à notre histoire que je m'empresse de lui raconter brièvement. Ce sur quoi enchaîne Terron en récitant la liste des faits marquants que l'on a pu rassembler à propos de la maison comme un journal monotone pourrait le faire. Je note que la curiosité d'Abigail est piquée mais je perçois surtout qu'elle a son air grave des choses sérieuses.
Elle nous explique alors que dans de pareil cas, il est probable qu'un esprit agité occupe la maison et qu'il faille soit l'occire, soit l'apaiser. Cette seconde méthode me conviendrait bien mais je dois me rendre à l'évidence que sans piste supplémentaire à cet égard, cela semble voué à l'échec. Elle nous annonce aussi qu'aucun grigri ne pourrait nous protéger contre cette engeance et que nous devrons nous débrouiller seul. Je baisse un peu les bras. Albertina évoque les livres de Corbitt et demande si Abigail pourrait les déchiffrer ou nous en dire plus. Je les sors de mon sac et lui montre celui qui contient le suspecté rituel. Au vu de la complexité, elle propose de l'étudier quand elle aura du temps et de nous en dire plus demain. Je la remercie chaleureusement et nous la quittons.
Au sortir de sa boutique, je me sens un peu vide et fatigué. J'ai l'impression d'avoir fait tout ce que je pouvais et de ne pouvoir qu'attendre le lendemain. Albertina et Terron semblent être de mon avis et nous profitons de la fin de journée à nous reposer et à nos détendre. Ensemble. Je ne me sens guère de rester seul cette nuit encore.

16 Octobre 1920
La première étape de la journée consiste à retourner voir Abigail. Nous la trouvons dans un état assez déplorable; il semblerait qu'elle n'ait pas dormi et surtout qu'elle ait passé une très mauvaise nuit. Elle me tend le bouquin et nous explique que nous nous sommes fourrés dans un bien beau pétrin; qu'il est notamment question de magie très puissante à tel point que cela dépasse ses propres capacités. Elle n'est pas parvenue à tout comprendre mais elle en a compris suffisamment pour savoir qu'elle ne pourrait pas concevoir un contre-rituel et qu'elle n'avait aucunement envie d'être mêlée à cette histoire. Elle me met dans les mains, un peu brutalement, le livre en m'annonçant qu'elle ne souhaitait certainement pas le garder et que je pouvais en faire ce que je voulais. Cela m'embarrasse et me fait douter.
Alors que je range le livre dans mon sac pour cesser au plus tôt de le toucher, je suggère de simplement raser le bâtiment puis de laisser les ouvriers se charger de la cave. Cette déclaration me vaut un triple regard noir. Abigail me déclare alors quelque chose qui me marque profondément : “Il semblerait qu'il y ait une raison pour qu'une telle mission te soit tomber dessus, Stephen. Laisse donc ta couardise légendaire de côté et règle cela par toi-même, c'est ce que le destin semble avoir décider pour toi.” Je jette un regard à ma montre à gousset. Cela me rend pensif et je dois reconnaître qu'il s'agit, d'une certaine manière, de l'accomplissement d'une vie. Moi qui ait étudié pendant des années les histoires cabalistiques, voilà que je suis confronté à la pratique. Tout cela me permettrait d'ensuite en écrire un livre, de transmettre mes sages enseignements et de devenir célèbre ! Oui ! Plus j'y pense, plus cela fait sens. J'opine alors de la tête et leur déclare solennellement : “C'est ma mission et nous allons résoudre ce mystère une bonne fois pour toutes !”.
Nous quittons une nouvelle fois Abigail puis prenons le temps de nous préparer en ajoutant aux outils précédents, un bidon d'essence (en cas d'extrême nécessité), une deuxième corde ainsi qu'une échelle de corde. En effet, je me souviens qu'Albertina ou Terron, ou même Henry pour ce que j'en sais, avait mentionné que l'escalier était pourri et peu fiable. Nous décidons aussi de laisser les livres dans l'appartement de Terron, le temps que tout soit réglé. Au cas où ceux-ci aggravent la situation de par leur simple présence. Oui… j'en suis à craindre que des livres soient capable de nous nuire. Quel comble pour un érudit tel que moi.

La route passe vite en cette fin de matinée. Nous débarquons devant la maison et nous équipons. La porte n'a pas bougé et cela m'agace autant que m'effraie parce que je ne comprends pas ce qui détermine les manifestations. Serait-ce parce que nous avons été violent que la maison s'est mise à répondre violemment ? La théorie se tient et je décide d'en faire part à mes acolytes juste avant de pénétrer à l'intérieur.
Le couloir reste éclairé par l'absence de porte mais nous remarquons que l'ensemble des autres portes, que nous avions laissé ouvertes dans notre fuite catastrophée, étaient fermées. Parce qu'il s'agit de ma mission, j'entre en premier. Je déglutis de malaise et surveille les portes closes du coin de l’œil en me rapprochant de celle menant à l'escalier menant à la cave menant à… quelque chose d'inconnu et potentiellement mortellement dangereux. Je me suis dévoué pour tenir la lampe-tempête mais préfère laisser quelqu'un d'autres descendre en premier pendant que je l'éclaire. Albertina s'engage donc prudemment et entreprend de descendre les marches une par une. Je la suis et fait de même. Terron ferme alors la marche. Après quelques pas seulement, le pied droit de la médecin passe à travers une planche pourrie et celle première dégringole jusqu'au coude de l'escalier. Je sens d'ailleurs que Terron a failli faire de même et se rattrape à moi de justesse. Albertina semble aller bien, même si Terron se sent obligé de le lui demander de vive voix. Elle reprend sa progression et nous parvenons enfin à la cave.
Le sol est en terre battue et trois des murs semblent être fait de brique, comme cela se fait habituellement pour une maison du genre. Le fait de posséder la seule lueur dans cet espace me tend d'autant plus. J'imagine ce qu'il aurait pu se passer si j'avais été aussi maladroit qu'Albertina. Un frisson me parcourt le dos. La lampe-tempête est intacte, la flamme est flamboyante, c'est l'essentiel. C'est l'essentiel mais j'apprécierai quand même de pouvoir allumer d'autre lampes. Il fait noir dans cette cave. Avant de poursuivre, je propose d'attacher l'échelle de corde à la rambarde de l'escalier menant au premier étage. Ceci nous donnerait une solution de repli si jamais l'escalier venait à s'effondrer sur lui-même… ou s'il devenait inaccessible pour une raison ou une autre. La paranoïa gagne peu à peu du terrain mais je préfère parler de prudence. Car comme tout un chacun le sait : prudence est mère de sureté.
Une fois l'échelle installée, je suis le journaliste qui se rapproche du quatrième mur, pour l'éclairer. Celui-ci se révèle être fait de planches de bois et non de briques. Comme s'il avait été placé là après la création de la cave. J'allais signaler cette déduction quand je vois Terron et Albertina me faire signe de me taire et d'écouter.

Ch. 7

Chapitre 7 - Une cave terrifiante

Je tends l'oreille.
Des… grattements. J'entends des grattements, plein de grattements qui me parviennent de derrière le mur.
Je regarde mes associés. D'après eux, il pourrait s'agir de rats. Si c'est le cas, ils sont excessivement nombreux et cela ne me rassure pas. Terron propose alors naturellement de faire un trou avec sa hache pour en avoir le cœur net. Je ne suis pas très emballé par l'idée mais il faut bien que l'on avance or il s'agit de notre dernière piste. J'acquiesce donc et le bûcheron en herbe entaille la paroi. Il y fait un trou suffisamment grand pour pouvoir regarder à l'intérieur et suffisamment haut pour que, dans le cas où il s'agirait bien de rats, ils ne puissent s'échapper. J'approche la lumière et Terron nous confirme qu'il s'agit bien des rongeurs auxquels nous pensions. Fichtre ou tant mieux ? Telle est la question. D'un côté, ce ne sont que des rats. De l'autre… ils ont l'air nombreux et je les soupçonne d'être affamés.
Terron nous annonce voir un autre mur en bois de l'autre côté de la première paroi. À environ un mètre.
Les possibilités semblent restreintes : le mieux serait de parvenir à voir ce qui se trouve de l'autre côté du mur sans se faire bouffer par ces vermines. Albertina propose alors de descendre la table de la salle à manger pour s'en servir de pont. L'idée m'apparaît comme recevable à défaut d'être parfaite. Le plus compliqué étant, à mon sens, de la descendre jusqu'ici. Terron et elle semblent cependant avoir un plan, je me contente donc de les éclairer en veillant à protéger la lampe de tout choc malencontreux. Ils se débrouillent bien et, à deux, parviennent à faire descendre la table. Personnellement, je trouve qu'ils ne vont pas assez vite et que chaque minute qui passe est une minute de plus où les manifestations pourraient apparaître de nouveau. Jusque là, nous n'avons pas été violents ou vindicatifs contre la maison mais c'est vrai que depuis que Terron a fait un nouveau trou dans un mur… je ne peux m'empêcher de penser que cela va avoir des répercutions négatives.
Terron s'applique à agrandir le trou. À chaque coup je tressaute et surveille que… rien ne se passe d'anormal. Je veille juste à l'éclairer dans son œuvre. Après quelques minutes, le trou est suffisamment grand pour y faire passer la table, je m'écarte pour que Albertina puisse l'aider à la déplacer. Je continue de les éclairer, bien entendu.
Ils parviennent à poser la table dans l'espèce de pièce très étroite où grouille littéralement une nuée de rats. Je ne saurais dire si c'est la lumière ou le fait d'être écrasé par les pieds de la table mais ils se sont mis à couiner et à s'agiter avec encore plus d'intensité que tantôt. Albertina ramasse un morceau de bois et tâche de s'en faire une torche. Elle juge cette arme particulièrement efficace contres les rats si jamais nous venions à en avoir besoin. Je ne peux qu'approuver cette idée parce que j'en suis maintenant sûr et certain : ils sont affamés et à la moindre occasion, ils se jetteront sur nous pour nous dépecer. Cette vision me chamboule un peu et me fait suer. Je tâche cependant de continuer ma mission et j'éclaire l'homme à la hache pour qu'il puisse officier sur le deuxième mur. Avant cela, il nous montre les inscriptions que l'on peut lire sur ce deuxième mur : “Chapelle de la Contemplation de notre Seigneur délivreur de secrets”. Exactement le nom que l'ancienne chapelle. Le même symbole est d'ailleurs présent. Tout est lié, comme je le pressentais ! Le journaliste prend des clichés pour immortaliser cela.
Les coups de hache retentissent de nouveau jusqu'à ce qu'une ouverture soit suffisamment grande pour nous y faire passer sans encombre. Les rats sont complètement excités.
Terron prend la lampe et passe de l'autre côté. Il nous décrit une pièce aux murs de briques avant une table en son centre sur laquelle repose quelque chose de long. Je le suis, parce que je me sens investi de la mission et parce que la lumière est avec lui. Albertina clôt le cortège. Une autre table, plus petite, apparaît au fond, encombrée de nombreux papiers. La chose sur la table centrale nous apparaît aussi bien plus clairement : un homme desséché, très maigre, au nez aquilin et aux yeux écarquillés est allongé sur cette table. Il ne lui reste d'ailleurs plus que quelques brins de cheveux. Je déglutis et suppose à voix basse : “Il semblerait que nous avons trouvé Walter Corbitt.” Terron prend de nouvelles photographies, le flash violent m'aveugle quelques secondes, je l'entends ranger son appareil et prendre la hache fermement. Albertina fait de même avec sa torche d'appoint et moi avec la lampe et et le pied de biche qui me semble bien lourd et peu pratique. D'un accord commun, nous décidons de longer le mur, sans quitter des yeux le cadavre, pour nous rapprocher de la petite table. Nous optons pour le chemin le plus long afin de passer proche de la tête du mort.
Nous avançons prudemment, pas après pas. Je suis certain qu'il va se réveiller et en même temps, j'espère que non. J'espère que nous n'avons pas attisé sa colère. J'espère que j'ai complètement rêvé le grognement qui me parvient du cadavre. J'espère…
“TCHAK !”
Terron vient de figer sa hache en plein dans la tête du cadavre. Ô mon Dieu. Ô miséricorde. Je crains une avalanche de mauvaises surprises et accélère donc jusqu'aux papiers. Ceux-ci se révèlent inutiles et décevants. La tête tombe dans un bruit macabre qui me crispe. La médecin ne perd pas de temps et met le feu à celle-ci. Je suggère de faire de même au corps puis de quitter les lieux. Terron prend de nouvelles photos puis nous nous extirpons d'ici sans demander notre reste. Nous repassons rapidement sur la table, accompagnés par les couinements des rats, puis nous remontons l'escalier vermoulu pour ensuite parcourir rapidement le couloir et parvenir à l'extérieur sans encombre ni nouvelle apparition. Je soupire de soulagement et je sens mon cœur qui bat la chamade. Je suis vivant ! Je n'arrive pas à croire que j'ai accompli ma mission. Tout cela me semble trop facile. Je suis pensif et réfléchis à tout ce qui pourrait encore se passer.

Ch. 8

Chapitre 8 - Conclusion

Albertina propose de retourner dans la salle aux meubles enchantés afin de voir si tout est fini ou non. Je n'en reviens pas qu'elle puisse proposer de retourner à l'intérieur de cette maison maudite. Terron l'appuie et ils arguent que nous devons en avoir le cœur net. Je me plie à leur décision mais négocie pour que l'on attache une corde à la voiture et que l'on garde l'autre extrémité avec nous afin de facilement retrouver notre chemin si cela devient nécessaire. Je suis paralysé à l'idée de me retrouver dans le noir et désorienté dans cette maison. Je veux cette corde.
Nous retournons donc à l'intérieur et gravissons rapidement les marches du premier étage. Nous trouvons la chambre telle qu'elle était avant de nous agresser. Je reste sur le seuil pour surveiller l'escalier. Terron s'avance dans la pièce. Après quelques minutes, rien ne se passe. Je lui dis alors “Eh bien provoque le lit ! Donne lui un coup de pied.” Il s'exécute et le lit ne semble pas réagir. “Un coup de hache…?” Terron me lance un regard dubitatif mais s’exécute. Aucune réaction. La structure en bois ne bouge pas… Comme… le ferait un lit normal. Nous supposons que c'est terminé. Je n'y crois toujours pas mais nous avons une preuve de plus qui étaye cette hypothèse.

Il est donc décidé de retourner chez Gensen pour lui annoncer la nouvelle. Je reste silencieux et dans mes pensées tout le long du trajet, réfléchissant à ce qu'il nous reste à faire. Quelque chose me chiffonne.
Le majordome nous accueille et Gensen est bien vite prévenu de notre présence. Avant toute chose, le whisky se révèle nécessaire. Je suis surpris de n'en avoir pas tant envie que cela. Je n'en bois qu'un verre quand Terron en descend trois. Nous expliquons à notre commanditaire ce qu'il s'est passé tout en lui montrant les preuves que nous avons pu réunir. À la suite de quoi, il semble agacé de devoir payer pour les dégâts et les réparations mais soulagé de pouvoir louer de nouveau. Il nous paie et nous laisse terminer la bouteille en nous rappelant de faire attention car se retrouver en état d'ivresse dans la rue pourrait s'avérer très problématique. Je vois Albertina et Terron fêter dignement la fin de la mission mais je reste encore distant. Quelque chose me dérange. La docteure le remarque et me questionne. Je lui réponds : “Les livres… Je suis sûr que les livres sont possédés et qu'ils pourraient encore faire du mal. Et quand bien même ce ne serait que des livres, Abigail a clairement mentionné le fait qu'ils renfermaient un savoir très dangereux. Nous devons en avoir le cœur net.
Reconnaissant la pertinence de mon analyse, mes compagnons acquiescent et nous prenons congé de Gensen. Après un passage rapide chez Terron pour récupérer les livres, nous nous garons devant la maison. Nous sommes en plein après-midi. Je m'approche avec les livres. La porte est toujours au sol, inerte. Le couloir est dans le même état qu'à notre départ. Rien ne semble avoir bougé. Je demande au journaliste de m'amener toutes les photographies qu'il a pu prendre des mémoires de Walter Corbitt et je mets le feu au tout. Plus de mémoires. Plus de photographies. Plus de rituel. Plus de Corbitt.
Un sentiment étrange me parcourt. Comme du soulagement ou de la fierté. J'ai accompli ma mission. Le destin me sourit, je vais pouvoir écrire mon livre et devenir célèbre. Quel plaisir ! Cette maison continuera de me hanter mais je suis certain qu'elle m'aura beaucoup appris. En particulier de ne plus accepter ce genre de travail. Je vais me cantonner aux livres et aux écrits à présent.

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2022/08/19 13:50 · elanndelh
cr_cthulhu_1.txt · Dernière modification : 2022/08/19 13:55 de elanndelh