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Système et univers : Cthulhu classique 1920
MJ : K-ctus
Personnage interprété : Ernest Stolz, journaliste et animateur radio, 41 ans.
Accompagné par :
- Neville Sinclair, star du cinéma muet
- Jack Dempsey, détenteur d'un titre de champion du monde de boxe
- Vicky Roselli, mafieuse
Date : 10 Septembre 2022
Durée de jeu : 5h30
Dimanche 14 Avril 1935
Le bruit des engrenages et de toute la machinerie m'avait manqué. Je me souviens de cet ascenseur, il n'a guère vieilli finalement. La montée est toujours relativement longue mais bien moins que les vingt-cinq étages à monter à pied. Pour l'avoir fait une fois, afin de me rendre compte, on ne m'y reprendra pas.
Dans la cage d'ascenseur en métal je sens des odeurs de tabac et de vêtements neufs, de poudre et de parfum. Nous sommes une quinzaine, dont une star de cinéma muet, déprécié depuis l'arrivée du son, Neville Sinclair, le procureur Green, aigri et peu appréciable, le boxer champion du monde poids-lourd en 1919, Jack Dempsey, un journaliste peu compétent de Tribune Tower, Herald Smith, et quelques autres qui me sont inconnus. Je soupçonne cependant la lady en robe noire échancrée d'être Vicky Roselli. Je ne la vois que de dos actuellement mais je suis prêt à parier ma chemise que c'est elle. Ça ne m'étonnerait guère qu'une mafieuse fraye avec les gros poissons du Tribune et ceci me donne donc une carte supplémentaire à jouer pour récupérer mon poste.
L'ascenseur s'ouvre enfin sur le dernier étage du vertigineux Tribune Tower, l'étage de la promenade. Il faut reconnaître que le lieu se prête parfaitement à une fête comme celle des dix ans de l'inauguration de la tour : l'architecture est toute en hauteurs et donne sur le ciel ouvert, une nuit profonde et calme de printemps. Du jazz est joué et je découvre de nombreux convives qui discutent, rient, boivent et vaquent à leurs occupations.
Dès que les portes s'ouvrent complètement, une serveuse au sourire jovial nous présente un plateau chargée de flûtes de champagnes. Je refuse poliment d'un signe de la main alors que les invités à mes côtés s'en emparent en quittant l'ascenseur pour se joindre à la foule et aux festivités. Je note mentalement plusieurs détails : d'abord Dempsey qui s'avance de façon très assurée pour fendre la foule. Cela m'étonne parce que je l'aurai pensé moins à son aise à ce genre de réception. Puis Sinclair qui se pavane dans son manteau de fourrure hors de prix et avec sa canne ridiculement cher pour aller attirer l'attention sur lui-même.
Je parviens d'ailleurs à confirmer l'identité de la dame en robe noire : il s'agit indubitablement de Vicky Roselli, son nez et le grain de beauté sur sa joue droite ne laissant aucun doute. Distraitement, en avançant un peu sur le pavement, je suis du regard sans me faire voir où se dirige cette femme dangereuse. Elle rejoint mes “chers amis” M. Blake, le chef du syndicat du journal et l'infect M. Raymond, chef du département publicité. Ces deux ordures ont clairement orchestré la mascarade du concours d'architecte de la fameuse tour. Ils s'entendent bien trop ensemble et manigancent visiblement toujours pour obtenir des pots de vin et autres avantages corrompus. C'est ce qui m'a poussé à quitter le journal alors que j'y occupais une position d'importance au comité et que j'étais écouté par l’Amérique toute entière via la merveilleuse technologie qu'est la radio.
…
Ce temps me manque. Peut-être aurais-je dû mettre au placard certains principes et me montrer plus souple. Dix ans se sont écoulés et ça n'aura pas été de tout repos. Le Daily News ne croit pas du tout à la radio alors que je suis convaincu que c'est l'avenir. C'est d'ailleurs grâce à moi que le Chicago Tribune a pris tant d'essor sur ce plan-ci ! L'invitation reçu pour cette célébration est l'occasion que j'attendais pour retrouver ma place et ma radio.
Je reviens à la réalité et me rend compte que Blake fait une drôle de tête quand Miss Roselli lui parle. Je n'arrive pas à entendre ni à lire sur leurs lèvres mais je pressens qu'il s'agit d'une piste tout à fait pertinente. Si j'arrive à faire pression sur Blake, je ferai d'une pierre deux coups : un obstacle serait écarté et un piston octroyé. J'aime cette idée mais je préfèrerai que ma première carte fonctionne afin de ne pas avoir à m'abaisser à cela.
Cette première carte réside tout simplement dans une entrevue probablement fantasque avec M. McCormick, le directeur général du Chicago Tribune. L'invitation vient forcément de lui, je sais qu'il estime les gens qui travaillent ou ont travaillé pour lui. Mais je le sais aussi sévère et il est probable qu'il n'ait pas digéré mon départ au point de refuser mon retour. Quoiqu'il en soit, il me faut essayer.
J'ai beau balayer la salle du regard, aucune trace de McCormick. L’ascenseur apporte une nouvelle fournée de personnalités inintéressantes et de journalistes du Tribune. La musique vient de changer et je patiente avec une coupe de champagne agrippée sur le plateau d'un autre serveur. Je me la suis finalement accordé mais ce sera la seule de la soirée ! Il est hors de question que je me laisse aller, il est hors de question que je prenne le moindre risque qui puisse me faire rater cette occasion. Je n'ai que cette soirée pour regagner ma place à la radio et je ne la laisserai pas filer !
“Mes chers amis !”
C'est en grande pompe que M. McCormick fait son entrée. Le “colonel”, comme on l'appelle au journal, rayonne de puissance, d'assurance et de fierté. Il passe dans la foule, serrant chaque main avec une poigne ferme, un sourire calculé et un mot de remerciement. C'est assez rare de le voir agir ainsi mais je ne m'attarde pas sur ce détail et m'approche, la main tendue.
“Ah ! Ernest Stolz !
- Bien le bonsoir, Mr McCormick. La soirée me semble tout à fait réussie, je vous remercie pour cette invitation inattendue.
- Oh, vous savez, mon cher, je n'oublierai jamais à quel point vous avez personnellement contribué au lancement fulgurant de notre émission radio.
- Soyez assuré que j'apprécie cette reconnaissance.
- Quel dommage que vous nous ayez quitté…
- J'étais jeune à l'époque et je pense que des malentendus des deux côtés ont précipité un départ que je regrette à présent, voyez-vous.
- Je l'entends, mon cher Stolz et ça ne m'étonne pas. Cependant, vous aviez tout ici, une réputation, l'estime de vos collègues, une place au conseil d'administration. C'est vous qui avez mis fin à tout cela.
- Je reconnais que j'ai fait une erreur et…
- Et le temps a passé, vous le regrettez, je comprends. Cependant c'est trop tard maintenant.
- Trop tard ? Allons, M. McCormick, vous disiez à l'instant que j'étais l'homme qui avait propulsé le Chicago Tribune en tête des émissions radiophoniques. Depuis, j'ai pu suivre votre évolution et, permettez-moi de vous le dire, entre l'absence de charisme des voix qui animent et les émissions au fond déplorable, je vois que l'explosion n'a pas suivi mon départ. Or, permettez-moi une fois de plus, M. McCormick, de vous faire savoir qu'en me reprenant à votre service, non seulement, vous retrouveriez l'homme qui a fait naître cette radio mais vous engageriez surtout l'homme qui ferait exploser les audiences. Oui, monsieur, exploser est le terme adéquat quant aux ambitions que je nourris pour cette nouvelle et fructueuse collaboration !“
Suite à ma diatribe, je reprends mon souffle et regarde droit dans les yeux le colonel méditer sur mes mots. Je le vois hésiter et je me dis que j'aurais dû frapper plus fort, mettre plus d'intonation et de harangue.
”Votre passion est tout à fait palpable mais je ne pourrais vous offrir ce poste dès à présent, M. Stolz. Nous en reparlerons plus tard. Si vous voulez bien m'excuser, je dois m'acquitter de mes devoirs.“
Sans attendre ma réponse, le dirigeant du Chicago Tribune part, piétinant au passage la première carte que j'avais en main pour retrouver mon poste. Amère, je le regarde rire et saluer un couple de bourgeois insipide dont le seul intérêt est d'avoir hérité de l'argent de leurs parents.
Je me détourne de cette scène et mes yeux tombent de nouveau sur M. Raymont, Mr. Blake et Miss Roselli qui semblent étonnamment avoir été rejoints par M. Dempsey. Cette association m'étonne mais ne retient guère mon attention. À l'inverse du fait que chaque parole de Vicky Roselli semble faire blêmir d'autant plus M. Blake.
Ma deuxième carte se dessine ici et je compte bien en tirer partie.
La musique baisse de volume et de tempo. Le colonel s'entoure alors de son public et entame, d'une voix chargé en émotion et en assurance, un discours sur sa fierté d'être ici avec son équipe, avec ses collègues, ses partenaires et ceux qui ont cru dans cette tour, dans ce journal. Son monologue est assez peu intéressant mais j'y prête une oreille attentive, au cas où je détecterai de quoi nourrir une potentielle troisième carte. Son discours dure plusieurs minutes et se termine sur une invitation à le suivre au troisième étage de la tour pour la suite de la soirée. Des applaudissements se font entendre et mécaniquement mes mains se joignent au concert.
À mon instar, la foule se masse ensuite principalement autour de l'ascenseur et je sens qu'il va falloir plusieurs voyages pour mener tout le monde à destination. N'étant pas pressé, je me mets un peu en retrait et laisse mes yeux trainer, passant d'un convive à l'autre. Naturellement, mon regard se met à chercher M. Blake, mon “cher ami”. Ma seconde carte.
Je le vois accompagné de Miss Roselli, une fois de plus, et se diriger vers les escaliers. Probablement pour plus de discrétion. Je souris intérieurement : plus la discrétion est de mise, plus l'enjeu est important. Plus l'affaire est importante, plus facilement je pourrais m'en servir. C'est un jeu d'enfant et je me mets donc à les suivre à mon tour, mon instinct de journaliste retrouvant vite ses réflexes.
Je tâche d'être silencieux et, prudemment, suis le couple et les serveurs qui empruntent le même chemin. Les premiers s'arrêtent à l'étage inférieur, le 24ème, celui des bureaux de la direction. Là où se trouve le bureau de Blake, entre autres. Afin de ne pas attirer l'attention, j'avance en flânant et m'engouffre comme si de rien n'était dans le bureau en face. Celui-ci se révèle, comme je l'espérais, tout aussi déverrouillé qu'à mon départ. Je laisse la porte entrouverte pour entendre et tends l'oreille tout en mimant une fausse recherche au cas où on me surprendrait dans les parages.
J'ai du mal à entendre ce qui s'y dit mais je constate qu'une troisième personne les a rejoint : le boxeur mondialement connu, Jack Dempsey. Cela m'étonne de constater que sa présence auprès d'eux se concrétise et certains scénarios commencent à se dresser dans mon esprit.
Je patiente et après quelques minutes, je les entends quitter le bureau de M. Blake.
Alors que j'allais me diriger vers la porte, je manque un battement de cœur quand celle-ci s'ouvre avec fracas sur le visage suspicieux de l'athlète. Je feins la nonchalance : ”Puis-je vous aider, monsieur ?
- Huuum… Non, ça ira. Passez une bonne soirée.
- Oui, vous de même, monsieur.“
Suite à cela, l'homme s'éloigne et mon cœur a le temps de reprendre un rythme moins soutenu. Je ne m'attendais certainement pas à sa présence même si, après réflexion, je préfère qu'il se soit agi de la sienne plutôt que celle de Vicky Roselli. La feinte aurait certainement été plus compliqué. Mais je m'égare et reprends donc vite mes esprits !
Je suis venu ici pour une seule raison et, malgré le peu d'informations à ma disposition, je pense être capable de remporter cette bataille face à la stupidité de Blake. Je prends le temps de remettre ma veste en place puis quitte le bureau pour aller ouvrir la porte de mon ancien et futur collègue. La main sur la poignée de sa porte, un bruit attire mon attention dans mon dos. Je me retourne rapidement et reconnait un serveur qui essaye de se tasser dans la pénombre. Je hausse les épaules et franchis le seuil de la porte.
”Qu'est-ce que c'est encore ?” Je découvre un Blake au visage pâle et fatigué. Ses yeux semblent d'ailleurs quelque peu effrayés mais ils retrouvent leur méchanceté naturelle lorsqu'ils me reconnaissent. “Stolz ? Qu'est-ce que tu veux ? Je n'ai pas le temps ce soir et…
- Oui, j'avais cru comprendre que tu avais une certaine dose d'ennuis à gérer actuellement. C'est intéressant, tu ne trouves pas ?“
Ses mâchoires se serrent, je le vois se mettre sur la défensive, soyons agressif.
”Je suis occupé, Stolz, je…
- Oui, tu l'es. Et tu es d'ailleurs dans une situation bien peu enviable. Je ne suis pas certain que McCormick apprécierait de savoir que tu frayes avec la famille Roselli. Cela pourrait… entacher la réputation du journal et tu sais combien cela peut l'énerver.
- Qu'est-ce que tu veux Stolz à la fin ?” Son ton semble désespéré. Le poisson est ferré.
Je m'installe donc en face de son bureau, détendu et en prenant mon temps. Je laisse une petite pause pour faire monter la pression et retire lentement mon chapeau.
“C'est assez simple. Je veux récupérer mon poste.
- J'ai pas le pouvoir de faire ça, et puis…
- Écoute Blake. Je ne suis pas vraiment là pour m'amuser. Je te laisse une semaine pour trouver une solution. Ça devrait être possible, non ?
- …
- Tu sais que je n'hésiterai pas une seconde. Tu me connais.
- Très bien ! Je m'en charge ce soir, tu auras ton poste et maintenant fiche le camp ! J'ai besoin d'être seul !“
Je me lève, remets mon chapeau et le salut. ”Passe une bonne soirée, Blake. On se revoit bientôt… cher collègue.”
Suite à cela, je quitte le bureau et retourne dans le couloir. Alors que je me dirige vers les escaliers, je jette un œil à l'endroit où le serveur s'était camouflé bêtement mais ne voit rien de spécial. Les gens sont parfois fort étranges.
J'entame alors ma première descente des escaliers en petite foulée pour rejoindre au plus tôt le troisième étage et le flot d'invités.
Il me faut bien cinq minutes pour descendre les escaliers et rejoindre enfin les autres invités. Tout le monde n'est pas encore arrivé, ce qui me laisse le temps de souffler un peu et de me diriger vers le buffet pour piocher un petit canapé à engouffrer.
Je n'ai cependant guère le temps de le savourer qu'un bruit sourd se fait entendre du côté de l'ascenseur. Suivi, quelques secondes après, par des hurlements. Je lèche mes doigts puis me rapproche un peu pour avoir une meilleure vue sur ce qu'il se passe. J'observe les portes s'ouvrir et des convives tâchés de… de sang ? en sortir en hurlant, paniqués. J'essaye de comprendre ce qu'il se passe et m'avance encore en évitant les gens effrayés qui s'éloignent précipitamment ou qui vomissent sur le sol carrelé. En tendant l'oreille je comprends qu'un homme s'est suicidé et est tombé de plusieurs étages jusqu'à atterrir sur le plafond de l'ascenseur. Cela me semble une mort horrible et une façon particulièrement cynique de faire passer un message au vu des circonstances.
“M. Blake.“
Ce nom me glace le sang. Plusieurs invités semblent expliquer que l'homme en question serait M. Blake. Que je viens de quitter. Impossible. D'autant plus impossible que Blake n'est pas du genre à se suicider. Il n'a pas assez de moralité pour cela. Impossible. J'hésite à m'approcher plus en avant mais au vu des réactions alentours, je préfère m'abstenir.
J'entends McCormick prendre les choses en main, tel le colonel qu'il est. Il distribue ses ordres pour gérer au mieux cette situation exceptionnelle. Certains agents de sécurité sont envoyés verrouiller les portes, d'autres pour aller vérifier les étages. Je suis étonné de voir la diva Sinclair s'approcher de lui, dans une fourrure luxueuse et couverte de sang et lui parler. Cette information se loge dans mon crâne pendant que je m'avance vers eux. Ma deuxième carte vient de s'envoler. Une troisième semble se dessiner : je dois prouver mes talents et mon implication lors de cette situation d'urgence pour retrouver la confiance et mon poste devant la radio. C'est une chance inespérée. D'autant plus, si on y réfléchit, que l'obstacle “Blake” est définitivement éliminé. Ne me reste comme ennemi interne que M. Raymond.
”Comment puis-je aider monsieur ?
- Attendez, Stolz. Vous deux, là, oui. Faites en sorte de détacher le corps, de le recouvrir et amener-le hors de vue des invités ! Allez, on se dépêche ! Vous pouvez aider, vous ? Oui ? Très bien, utilisez donc vos muscles. Allez ! Vous, là ! Vous avez appeler le poste de police ? Qu'est-ce que vous attendez ?! Bougez-vous le derche avant que je ne vous le botte, parbleu ! Non mais quelle bande d'incapables.
La situation est sous contrôle, veuillez rester calmes. La police arrive, il s'agit très probablement d'un accident. Calmez-vous, je vous prie.”
Pendant que le directeur du journal tâche d'organiser ses troupes et de rassurer les gens, je vois Sinclair essayer maladroitement de les rassurer aussi. C'est un tableau assez cocasse, je dois dire. Son attitude m'interpelle : aurait-il le même besoin que moi de se rapprocher de McCormick ? Ce serait… surprenant. Je le garde dans mon esprit alors que le chef du Chicago Tribune ne me tire de mes réflexions :
“Stolz ? Vous vous souvenez d'où se trouve la machinerie ?
- Bien entendu, ça ne s'oublie pas.
- Alors descendez-y prestement pour monter manuellement l'ascenseur afin qu'ils puissent retirer… le cadavre… depuis le quatrième étage.
- Bien monsieur !”
Alors que je m'élance, jubilant que ma troisième carte se présente aussi bien, j'entends mon ancien et futur chef aboyer à la sécurité de me laisser passer. Je ne perds pas de temps et dévale les volées de marches jusqu'à arriver au troisième sous-sol, là où se trouve la machinerie de la tour. Je me souviens très bien y avoir passer plusieurs heures à discuter avec les techniciens. Étonnamment, on peut apprendre beaucoup de choses de leur part. Et puis, je dois bien reconnaître que j'appréciais grandement leurs éloges sur ma prestation radiophonique.
J'allume la lumière et cherche le plan accroché au mur qui détaille les différentes machines, leviers, boutons et manivelles. En quelques instants, l'adrénaline de la course aidant, je trouve la manivelle à actionner. Je m'y attèle et suis les instructions pour remonter suffisamment l'ascenseur pour que le toit au niveau du quatrième étage. Du moins… pour que le toit soit au niveau que j'estime être celui du quatrième étage. Trois tours devraient suffire, n'est-ce pas ? Je suppose que oui, quitte la pièce et remonte les étages jusqu'au troisième.
Mes jambes s'échauffent et me font bien comprendre que je ne pourrais pas faire cela tout les jours. Je ne suis plus tout jeune et quand bien même : les escaliers constituent une épreuve sportive à part entière !
Alors que j'entends mon sang taper dans mes tympans et que je reprends mon souffle pour pénétrer de nouveau dans la pièce qui rassemblent tout le monde, mon regard suit inconsciemment la serveur de tantôt. Elle semble un peu dépassée par les événements mais tâche de conserver son sang froid. À ce moment, quelque chose me frappe : le serveur ou la serveuse qui se cachait de moi plus tôt… Se pourrait-il que…? C'est assez peu probable mais bien moins qu'un suicide.
Sur cette réflexion, je m'approche de Dudley Bugs, l'un des photographes les plus investis au Tribune et un des rares amis que j'ai pu conserver après mon départ. Appareil à la main, l'homme d'une quarantaine d'années, aux cheveux bruns mi-longs qui lui donnent une drôle d'allure et à la veste trop grande, est en pleine action : il prend divers clichés de la scène et des gens. Ma respiration s'apaise peu à peu.
“Hey Dudley.
- Ernest ! Quel plaisir ! Sacrée soirée, n'est-ce pas ?
- Ouais… sacrée soirée. Regarde moi donc tous ces rapaces qui essayent de prendre des notes et d'interroger les pauvres témoins dans l'espoir d'écrire un papier moins pathétique que ses acolytes…
- Y a pas mal de temps, t'étais comme eux, je te rappelle.
- Aussi cynique ? Oui, c'est possible. Enfin, ce n'était pas d'eux dont je voulais te parler. Est-ce que tu pourrais élargir un peu ton champ de prise de vue ?
- Élargir dans quel sens ?
- Eh bien…Là, tu photographies tout ce qui est visible et c'est bien ! Mais je t'enjoins à prendre en photo ce que l'oeil non-expert aurait tendance à associer aux meubles, vois-tu ?
- Huuum… Tu peux préciser ?
- Vois-tu les serveurs, là ? Eh bien, tout le monde les considère comme faisant partie du mobilier donc à moins qu'on n'ait besoin d'eux, on les oublie, on les ignore. Essaye de ne pas les ignorer.
- Ouais, je vois.
- Et les gens un peu trop isolés ou un peu trop discrets comme la dame là-bas, n'hésite pas non plus.
- La belle donzelle avec la robe en noire ?
- Ouais voilà, évite de lui parler comme ça mais oui, photographie-la aussi. Quand elle ne s'y attendra pas. Tu sais à quel point tes photos peuvent se révéler précieuses, n'est-ce pas ?
- Héhéhé. Tu peux compter sur moi Ernest. J'imagine que si tu me demandes ça c'est que tu as flairé quelque chose de plus gros que ce drame, pas vrai ?
- C'est possible, Dud, c'est possible.”
Je lui mets une tape sur l'épaule et, à peine ai-je le temps de faire deux pas que le costaud M. Dempsey me prend à partie de façon peu cavalière et plutôt menaçante. “Il faut qu'on parle, vous et moi.”
Je dois lever la tête pour capter le regard de Jack Dempsey qui semble particulièrement déterminé. Je suppose que c'est exactement ce que ses adversaires doivent voir sur le ring, je me demande cependant ce qui peut bien le motiver à ce point.
“Plaît-il ?
- Tu as l'air d'être de la maison et d'avoir du poids donc tu vas faire retirer des presses un article sur moi.
- Pourquoi diable ferais-je cela ? De plus, je pense que vous me jugez mal.“
Pour toute réponse le boxeur fait craquer ses articulations et semble gagner encore en présence, me dominant d'autant plus. Je ressens clairement l'intimidation me gagner mais refuse d'y céder. Pour qui se croit-il ?
Il m'agrippe alors au col de ma veste et me soulève légèrement avec une facilité déconcertante. J'imagine qu'il pourrait me porter à bout de bras s'il voulait se donner en spectacle…
”Je me fous de comment tu vas t'y prendre mais je te conseille fortement de le faire.
- Et moi, je vous conseille plutôt de me relâcher et de cesser de vous enfoncer. J'ignore ce que vous avez fait pour vous retrouver mal dépeint et je n'ai peut-être pas le poids de changer quoique ce soit dans cette affaire. En revanche, je peux vous assurer que si vous ne me lâchez pas immédiatement, votre réputation potentiellement déjà entachée, le sera irrémédiablement lorsque j'aurai l'occasion d'écrire plusieurs articles sur le fameux Jack Dempsey, le boxeur qui s'en prend impunément aux journalistes lors d'un gala pour cacher des vérités. Ça ferait un beau titre, vous ne pensez pas ? De Jack, le tueur de Manassa, on passerait à Dempsey, l'exécrable brute des médias. On a tous des casseroles, mon cher monsieur, et on doit tous faire des choix. Vous en avez un à faire dès maintenant.”
Alors que mon cœur tremble, que mon cerveau me répète que je vais m'en manger une, mes yeux, eux, restent plantés dans les siens pour qu'il se rende bien compte que je ne blague pas. C'est la seule solution face à l'intimidation et, au vu du contexte, je pense sincèrement que les chances de me prendre une mandale en plein gala sont minimes. Je ne cède rien. Plusieurs expressions passent dans ses yeux dont la fureur mais il finit par me relâcher brutalement.
Il me faut quelques pas à reculons pour retrouver mon équilibre. Je remets d'aplomb ma veste et le salut une dernière fois avant de m'éloigner de lui.
“Si vous voulez bien m'excuser, à présent.“
Mon cœur bat la chamade et je jubile intérieurement d'avoir tenu tête. On ne sait jamais à quoi s'attendre avec les brutes dans son genre et je suis content qu'il ait fait usage de plus de jugeote que la moyenne.
Une dizaine de minutes s'écoulent pendant lesquelles les gens semblent reprendre leurs esprits et se calmer. M. Dempsey n'est pas revenu me parler mais j'ai pu capter quelques regards assassins de sa part. Dudley a continué à prendre des clichés, McCormick à donner des ordres et moi, j'ai simplement patienté en essayant de rester près de ce dernier. Au cas où une nouvelle tâche se présenterait. J'ai d'ailleurs dû aider Neville Sinclair à apaiser certaines personnes encore en état de choc. J'ai été étonné que l'acteur prenne aussi bien la chose mais il m'a suffit de l'écouter parler pour comprendre qu'il se prenait pour le héros de son propre film. Voire qu'il se voyait déjà à l'affiche d'un film qui relaterait ce terrible incident. C'est désespérant à entendre et je suis soulagé lorsque les portes s'ouvrent sur cinq agents de police précédés par un inspecteur.
”Bonsoir messieurs, dames, soyez rassurés, le police est arrivée ! Je suis le lieutenant Gery O'Sullivan et c'est moi qui suit en charge de l'affaire.“
Le plaisir de les voir arriver est cependant de courte durée tant l'officier me fait une mauvaise impression. Il m'a l'air gauche, paumé et j'ai le sentiment que nous ne sommes pas tombé sur la perle du service. Sa première phrase semble concrétiser mes craintes.
Lorsqu'il s'adresse aux gens et en particulier à McCormick, on se demande s'il affirme quelque chose ou s'il pose une question. Après un court entretien avec le directeur du Chicago Tribune, il quitte l'étage pour aller examiner le cadavre à l'étage supérieur.
Il redescend ensuite pour s'adresser à nous.
”Bien, euhm, messieurs, dames ? Oui, messieurs, dames, votre attention, s'il vous plaît ? Merci, euhm. Donc, j'ai bien vu le cadavre et ce n'est pas très beau à voir, n'est-ce pas ? Oups, pardon, oui, non, oubliez ce que je viens de dire. Euh donc, je vais interroger tout le monde un par un dans ce bureau, là, vous voyez ? Oui ? Bien, donc euh, en fait, on dirait que monsieur euh… Black ? Blake, pardon ! Aurait été assassiné enfin je crois ? Non, non mais calmez-vous, calmez-vous !
C'est pour ça que je vous interroge, pour trouver l'assassin qui est encore ici. Oui, non, calmez-vous, s'il vous plaît ? Vous pouvez comptez sur moi, sur la police de Chicago pour résoudre l'enquête. Et ne vous inquiétez pas vous êtes en sécurité ! Enfin, restez quand même ici et faites attention, si le tueur n'est pas ici, il est peut-être ailleurs… Mais ce n'est rien, nous contrôlons la situation ! Nous contrôlons farpaite… parfaitement la situation, pardon.
Il n'y a aucune raison de paniquez, ne vous en faites pas et euh… est-ce que quelqu'un veut bien commencer ? Oui…? Non ? D'accord, eh bien, euhm, je vous attends dans le bureau pour un interrogatoire ? M. McCormick ? Puis-je vous parler un instant ?“
En quelques phrases mal formulées, l'officier de police est parvenu à faire réapparaître la panique que sa venue avait apaisé. L'évocation du cadavre a fait vomir ses tripes à un pauvre homme déjà livide et celle du meurtre a complètement choqué l'assemblée. De mon côté, j'ai senti des frissons parcourir mon dos. Malgré mon expérience, je ne suis pas insensible et je dois reconnaître que le rappel de mon altercation avec le boxeur furieux me glace le sang : et s'il s'agissait du tueur ? Mon esprit rationnel tend à penser que la probabilité est faible, mon cerveau reptilien a considéré cela comme une hypothèse tout à fait valide et que je ferai mieux de me méfier.
Je déteste ressentir de la peur. Et je n'accorde aucune confiance aux compétences du responsable attiré, c'est déplaisant.
Après un court entretien entre les deux hommes, le lieutenant O'Sullivan se retire dans le bureau. Je laisse alors mes pensées de côté et en profite pour m'approcher de nouveau de celui qui redeviendra bientôt mon futur directeur.
”Y a-t-il quelque chose que je pourrais faire pour me rendre utile, M. McCormick ?
- Ah ! Stolz, toujours prêt à rendre service, n'est-ce pas ? Et si vous montriez l'exemple et commenciez l'interrogatoire ?
- C'est tout à fait dans mes cordes, j'y vais de ce pas !“
Avec un sourire un peu crispé car j'espérais autre chose, je me dirige vers la porte du bureau vitré où semble attendre impatiemment le lieutenant qui ne cesse de nous regarder à travers les vitres. Il me paraît tellement gauche et pitoyable, comme un enfant qui essaye de résoudre un puzzle sans savoir comment s'y prendre et qui attend l'aide de ses parents.
Alors que j'allais franchir le seuil du bureau, des petits bruits sur les immenses vitres extérieures se font entendre. D'innombrables petits bruits, de plus en plus nombreux et virulent. Et cela, sur l'ensemble des fenêtres extérieures qui nous entourent.
Par curiosité, je me retourne et découvre, avec l'assemblée entière, comme des petits cailloux qui viennent frapper le verre des vitres. Cela me semble irréel. En quelques secondes, le nombre de cailloux semble avoir doubler au vu du bruit environnant qui nous parvient.
J'écarquille les yeux de stupéfaction : en quelques minutes, nous voici pris, en plein Chicago, dans une de ces tempêtes de sable qui parcourt les steppes. C'est irréel. On dirait… le Dust ? en plein Chicago ? Je m'approche d'une des fenêtres et prend conscience de l'ampleur du problème. Impossible de sortir dans ces conditions : toute la tour semble environnée de sable et les vents semblent particulièrement virulents.
En observant les autres convives, je perçois des yeux plein d'admiration devant le spectacle, certes magique, mais dangereux. J'en perçois d'autres plus choqués voire inquiets.
Je finis par me détourner du spectacle malgré le bruit omniprésent et me rend dans le bureau temporaire du lieutenant O'Sullivan.
”Oh ! Bienvenue ! On commence donc par vous ? Excellente idée. Alors, euhm, voilà comment ça va se passer : vous allez me dire qui vous êtes, pourquoi vous avez été invité et où vous étiez au moment de l'incident et tout ça ? Êtes-vous d'accord ? Bien, alors eh bien, je vous écoute.”
Sa façon d'affirmer des choses en posant des questions m'exaspère mais je me dis que plus vite ce sera fait, plus vite je pourrais passer à autre chose. Je dois simplement veiller à être irréprochable afin que rien de négatif n'arrive aux oreilles de McCormick. Je me mets à l'aise en adoptant une attitude nonchalante puis je prends le temps de me présenter brièvement et d'expliquer la raison de mon invitation.
Très vite, j'en viens à ma présence au moment du meurtre potentiel. Après une seconde de réflexion, je choisis de simplement dire la vérité. Je lui explique alors que je suis probablement une des dernières personnes à avoir vu M. Blake puisque j'étais dans son bureau quelques minutes avant qu'il ne “trébuche”. J'explique aussi qu'il semblait s'être disputé avec un grand homme et une jolie femme juste avant mon entretien avec lui.
“Attendez, vous dites que vous êtes le dernier à l'avoir vu ? Quelle était donc la raison de cet entretien avec M. Blake ?
- Je dis que je l'ai vu une bonne dizaine de minutes avant… de l'entendre s'écraser, pas que j'étais le dernier. En ce qui concerne l'entretien, j'étais simplement allé le voir pour affaire. Il s'agissait d'un de mes anciens collègues et j'espérais qu'il appuie ma prochaine candidature.“
Je le regarde écrire en patientant, silencieusement. Il semble excessivement concentré sur sa prise de note, répétant une bonne partie des mots que je prononce avant de les écrire. J'ai l'impression qu'il retranscrit tout ce que je dis et cela m’atterre. En tant que professionnel de la prise de note, je connais les bonnes astuces et, clairement, écrire chaque mot prononcé n'est pas une pratique recommandée. Un regard à ses notes m'apprend de plus qu'il n'utilise aucune abréviation… Cet inspecteur n'a vraiment rien pour lui.
Il relève le nez de ses notes pour planter son regard dans le mien.
”Et donc, vous disiez qu'il y avait un grand homme et une jolie femme avant vous dans le bureau de M. Blake, c'est cela ?
- En effet.
- Pourriez-vous me les décrire ?“
J'espérais qu'il ne poserait pas la question mais je n'y échappe pas. Je tâche donc d'être honnête, après tout : Jack Dempsey en a déjà après moi et ce ne serait pas la première fois que je flirte un peu trop avec la famille Roselli. Sans les citer directement, je me contente de descriptions physiques partielles mais suffisantes pour qui prend le temps de regarder l'ensemble des invités. Honnêtement, je me dis qu'il est probable que le lieutenant passe tout à fait à côté de cette ressemblance tant il semble porter son attention sur une foule de détails inutiles.
”Huuum… D'accord, je vois, très bien. Autre chose ?
- En entrant dans le bureau de M. Blake, j'ai aperçu un serveur, je ne sais pas lequel exactement ni même si c'était un serveur, en tout cas quelqu'un qui ressemblait à un serveur se cacher dans le couloir.
- Quelqu'un… qui ressemblait… à un serveur… Se cacher… dans le… couloir…? Bien c'est noté. Je vous remercie donc de votre euhm, témoignage ? Est-ce que vous pourriez m'appeler la personne suivante ? Merci beaucoup, monsieur.“
Je me lève et acquiesce, content d'en avoir terminé.
Après avoir envoyé une autre personne dans le bureau, je m'en éloigne et tâche de voir quelles sont les nouvelles. Le vent et le sable semblent toujours environner la tour; le bruit, toujours oppressant, devient peu à peu secondaire. L'atmosphère dans la salle est très particulière, tendue. Les invités semblent peu rassurés ou bien semblent se convaincre qu'il n'y a rien d'anormal. Après tout, il y a “seulement” un mort et une tempête de sable.
Je tâche de me tenir à portée de mon futur patron afin d'être certains de pouvoir être dans ses bonnes grâces si besoin. Neville Sinclair semble opérer la même stratégie ce qui m'agace et m'intrigue.
Un des policiers, probablement légiste au vu de son uniforme, redescend du quatrième étage et se dirige vers le bureau du lieutenant. McCormick l'interpelle et le somme de lui transmettre les informations. Après une courte hésitation devant le regard acéré du colonel, l'homme en uniforme cède et explique qu'il confirme les traces de strangulation, laissant penser sans équivoque à un meurtre. Peu de temps après, l'homme que McCormick avait envoyé dans les étages confirme à son tour avoir vu des traces de luttes au niveau de l'ascenseur du 24ème.
Le dirigeant semble ennuyé et chercher du regard des gens. Je m'approche.
”Stolz, il faudrait que quelqu'un aille voir en haut ce qu'il s'est passé. M. Sinclair, pourriez-vous l'accompagner ? Oh ! M. Dempsey, vous vous portez volontaire vous aussi ? Ma foi, très bien.“
En quelques instants, McCormick réunit six personnes pour monter jusqu'au 24ème et voir si nous trouvons des indices. À mon instar, il ne fait aucunement confiance aux compétences du lieutenant en charge de l'affaire et préfère prendre les devants. C'est donc accompagné de Neville Sinclair, la star du cinéma muet, Jack Dempsey, le boxeur intimidant, Ginger Leaver, la miss America de l'année, Ruth Copeland, l'aviatrice en tenue d'aviateur et Miss Roselli, la femme fatale que je dois aller tout en haut de la tour. Je me rends à l'évidence : l'ascenseur étant inutilisable actuellement, il va donc falloir se coltiner les vingt-un étages de marche qui nous sépare des bureaux de la direction.
La descente n'était pas si long si on y repense, la montée sera peut-être moins rude que ce dont je me rappelle…
Une fois au 24ème étage, je délaisse bien vite mes illusions : la montée s'est avérée aussi complexe que je le redoutais. Dempsey et Copeland semblent tenir facilement le rythme, contrairement à Miss Leaver, Sinclair, la Roselli et moi-même. Mes jambes me brûlent et il me faut un peu de temps pour reprendre mon souffle et repenser à cette fameuse ascension que je n'effectuerai de nouveau pour rien au monde.
Les neuf premiers étages, composés de bureau, étaient assez facile à gravir. Les quatre étages suivants, du 13ème au 16ème donc, étaient vides et m'ont bien fatigué. Les six suivants étaient en travaux et m'ont été douloureux. Heureusement, le 23ème étage m'a redonné de la force et du plaisir quand je l'ai atteins. En effet, l'étage de la radio ne pouvait que m'apaiser et me faire rêver. Il y avait tant de souvenirs à cet étage et tant d'ambitions à venir… Les autres étaient pressés d'atteindre le prochain et dernier étage, je n'ai donc pas pu m'y attarder mais j'espère en avoir l'occasion plus tard.
Quoiqu'il en soit, nous voici au 24ème étage et, alors que je m'adosse à un mur, un remue-ménage se fait entendre. Mon cœur se serre : se pourrait-il que l'assassin soit encore ici ? Cela semble peu vraisemblable mais mon esprit m'enjoins à me méfier. Une surdose d'adrénaline me parcourt et je regarde mes compagnons qui s'entre-regardent sans savoir quoi décider. Jack Dempsey prend finalement les devants pour aller voir de quoi il retourne, les autres le suivent docilement.
Pour ma part, je préfère contourner les bureaux au cas où ils rateraient quelque chose. Et peut-être aussi, au cas où l'individu prendrait la fuite. Je me sens ridicule à cette pensée : qu'est-ce que je pourrais bien faire face à un tueur déterminé à déguerpir ?
Essayant de repousser cette pensée, j'avance discrètement sur la moquette.
J'entends une conversation démarrer alors que les bruits de fouille cessent. Je m'approche et je découvre que dans le bureau de McCormick se trouve Nora Melnitz, une journaliste du Herald Examiner. Cette petite femme brune, aux lunettes et tailleur discrets se tient droite et semble expliquer la raison de sa présence ici :
”… documents et preuves ! Le concours d'architecture a été truqué et c'est certain que c'est dans ce bureau que j'en trouverai ! Vous pouvez m'aider si vous le souhaitez mais sinon laissez-moi tranquille.“
De nombreux tiroirs ont été ouvert et il y a des documents un peu partout. Je ne peux m'empêcher de noter qu'il semble y avoir une certaine logique dans ce bazar. Miss America semble choquée des accusations proférées à l'encontre du Chicago Tribune et pourtant, je suis bien placé pour savoir que c'est la journaliste qui a raison. Je me demande tout de même qui est sa source puisque ce n'est pas moi qui ait vendu la mèche. Elle tourne d'ailleurs son regard vers moi alors que le reste du groupe s'éloigne pour, je présume, rejoindre le bureau de M. Blake.
”Monsieur Stolz, c'est bien vous, n'est-ce pas ? Je savais bien que je vous avais reconnu. Vous savez mieux que quiconque que le concours d'architecture a été truqué. Aidez-moi à trouver des preuves dans ce sens. J'ai bien conscience que dix ans se sont écoulés mais je connais les hommes dans leur genre : tout est conservé.
- C'est bien moi, en effet. Je crains cependant de ne pouvoir vous aider aujourd'hui…
- Allons mais c'est l'occasion rêvée pourtant ! Vous n'imaginez pas tout le travail en amont qu'il m'a fallu abattre pour pouvoir être là ce soir !
- Je suppose que non puisque je n'ai jamais été journaliste d'investigation. En revanche, vous n'êtes pas sans savoir qu'un meurtre a été commis il y a peu.“
Elle me regarde, des feuilles à la main, marquant un temps d'arrêt.
”Non, en effet. Et c'est regrettable. Cela me laisse d'autant moins de temps, je ne peux pas laisser cette occasion me filer entre les doigts ! Si vous n'envisagez donc pas de m'aider, je vous demanderai d'au moins ne pas m'entraver.“
J'acquiesce simplement et me recule pour sortir du bureau. Elle se remet bien vite à farfouiller.
Je me demande si j'ai pris la bonne décision en refusant de l'aider mais j'ai le sentiment que cela aurait été trop flagrant. De plus, les chances de pouvoir utiliser cela à mon avantage, comme une quatrième carte, sont plus fines que celle de persévérer avec ma carte actuelle : me rapprocher de McCormick. En contemplant le sable qui frappe les vitres, j'envisage même un instant de dénoncer la journaliste afin de gagner des points supplémentaires mais ce serait m'ôter toute carte supplémentaire. Ce qui est risqué…
Un éclat de voix derrière moi me tire de mes réflexions : ”… erme la fenêtre !”
Je me rapproche alors du bureau de M. Blake où se trouvent les cinq autres personnes envoyées pour enquêter. Je me questionne d'ailleurs sur la présence de Miss Leaver. Elle semble n'avoir aucune compétence particulière si ce n'est être jolie juchée sur des chaussures à talons et faire les yeux doux à Dempsey. Oh ! Bien sûr. C'est fou ce que les femmes sont prêtes à faire pour attirer l'attention d'un homme fort et attirant. Ça n'arrive bien sûr qu'aux autres. Humpf ! Bref, je reporte mon attention sur la pièce et note que Miss Roselli s'est empressée de fouiller dans les affaires de Blake. Cela ne m'étonne guère. Elle lance d'ailleurs un regard noir à quiconque s'approche d'elle.
Copeland s'est attaquée à une autre étagère et je constate que Sinclair se tient à côté d'une fenêtre. Au pied de laquelle se trouve une quantité non négligeable de sable, il semblerait que la fenêtre soit restée ouverte un petit moment.
Ceci m'interpelle : je suis convaincu qu'aucune fenêtre n'était ouverte tantôt.
Une réflexion de Dempsey me tire de mes pensées, une nouvelle fois. Décidément.
“Je viens d'y réfléchir mais M. Blake avait une grande stature. S'il a bien été étranglé, cela signifie que son agresseur avait de grosses mains.
- Un peu comme les vôtres, donc ?“
Je n'ai pas pu m'en empêcher et ça ne manque pas de porter ses fruits. Comme je l'avais prévu, l'âne tout en muscles vrille et m'agrippe de nouveau, agressif.
”Qu'est-ce que tu sous-entends, l'avorton ?
- Strictement rien de plus qu'un fait qui corrobore votre pensée.
- Tu te fiches moi ?! C'est toi le dernier qu'on a vu avec M. Blake, fais pas l'innocent ! Et tu oses m'accuser ? Tu ne manques pas de culot !
- Allons, M. Dempsey, vous vous donnez une fois de plus en spectacle. Je n'ai fais qu'exprimer qu'il faudrait des mains comme les vôtres, pas qu'il s'agissait des vôtres. Vous vous rendez d'ailleurs bien compte que mes propres mains ne parviendraient pas à un tel résultat, n'est-ce pas ? Veuillez donc vous calmer et me relâcher, à présent, vous faites peur à Miss Leaver.“
C'est avec une violence qui me fait tituber en arrière et sortir de la pièce que Jack me relâche en me menaçant vertement : ”Ne t'avise pas de me chercher, ça pourrait mal finir !“
Je prends le temps de remettre en place ma veste dépenaillée par ses soins et le toise avec un sourire légèrement narquois mais me retient d'ajouter de l'huile sur le feu. Ce serait trop facile et il n'en vaut pas la peine. Je me détourne donc du solide gaillard et, puisque le bureau semble déjà bien investigué, m'éloigne pour aller observer les alentours et notamment l'ascenseur où a eu lieu le drame.