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Terreur dans les étages

Ce récit divulgâche le scénario “Terreur dans les étages” du jeu de rôles L'Appel de Cthulhu.

Contexte

Système et univers : Cthulhu classique 1920

MJ : K-ctus
Personnage interprété : Ernest Stolz, journaliste et animateur radio, 41 ans.
Accompagné par :
- Neville Sinclair, star du cinéma muet
- Jack Dempsey, détenteur d'un titre de champion du monde de boxe
- Vicky Roselli, mafieuse

Date : 10 Septembre 2022
Durée de jeu : 5h30

Ch. 1

Chapitre 1 - Première carte

Dimanche 14 Avril 1935
Le bruit des engrenages et de toute la machinerie m'avait manqué. Je me souviens de cet ascenseur, il n'a guère vieilli finalement. La montée est toujours relativement longue mais bien moins que les vingt-cinq étages à monter à pied. Pour l'avoir fait une fois, afin de me rendre compte, on ne m'y reprendra pas.
Dans la cage d'ascenseur en métal je sens des odeurs de tabac et de vêtements neufs, de poudre et de parfum. Nous sommes une quinzaine, dont une star de cinéma muet, déprécié depuis l'arrivée du son, Neville Sinclair, le procureur Green, aigri et peu appréciable, le boxer champion du monde poids-lourd en 1919, Jack Dempsey, un journaliste peu compétent de Tribune Tower, Herald Smith, et quelques autres qui me sont inconnus. Je soupçonne cependant la lady en robe noire échancrée d'être Vicky Roselli. Je ne la vois que de dos actuellement mais je suis prêt à parier ma chemise que c'est elle. Ça ne m'étonnerait guère qu'une mafieuse fraye avec les gros poissons du Tribune et ceci me donne donc une carte supplémentaire à jouer pour récupérer mon poste.

L'ascenseur s'ouvre enfin sur le dernier étage du vertigineux Tribune Tower, l'étage de la promenade. Il faut reconnaître que le lieu se prête parfaitement à une fête comme celle des dix ans de l'inauguration de la tour : l'architecture est toute en hauteurs et donne sur le ciel ouvert, une nuit profonde et calme de printemps. Du jazz est joué et je découvre de nombreux convives qui discutent, rient, boivent et vaquent à leurs occupations.
Dès que les portes s'ouvrent complètement, une serveuse au sourire jovial nous présente un plateau chargée de flûtes de champagnes. Je refuse poliment d'un signe de la main alors que les invités à mes côtés s'en emparent en quittant l'ascenseur pour se joindre à la foule et aux festivités. Je note mentalement plusieurs détails : d'abord Dempsey qui s'avance de façon très assurée pour fendre la foule. Cela m'étonne parce que je l'aurai pensé moins à son aise à ce genre de réception. Puis Sinclair qui se pavane dans son manteau de fourrure hors de prix et avec sa canne ridiculement cher pour aller attirer l'attention sur lui-même.
Je parviens d'ailleurs à confirmer l'identité de la dame en robe noire : il s'agit indubitablement de Vicky Roselli, son nez et le grain de beauté sur sa joue droite ne laissant aucun doute. Distraitement, en avançant un peu sur le pavement, je suis du regard sans me faire voir où se dirige cette femme dangereuse. Elle rejoint mes “chers amis” M. Blake, le chef du syndicat du journal et l'infect M. Raymond, chef du département publicité. Ces deux ordures ont clairement orchestré la mascarade du concours d'architecte de la fameuse tour. Ils s'entendent bien trop ensemble et manigancent visiblement toujours pour obtenir des pots de vin et autres avantages corrompus. C'est ce qui m'a poussé à quitter le journal alors que j'y occupais une position d'importance au comité et que j'étais écouté par l’Amérique toute entière via la merveilleuse technologie qu'est la radio.

Ce temps me manque. Peut-être aurais-je dû mettre au placard certains principes et me montrer plus souple. Dix ans se sont écoulés et ça n'aura pas été de tout repos. Le Daily News ne croit pas du tout à la radio alors que je suis convaincu que c'est l'avenir. C'est d'ailleurs grâce à moi que le Chicago Tribune a pris tant d'essor sur ce plan-ci ! L'invitation reçu pour cette célébration est l'occasion que j'attendais pour retrouver ma place et ma radio.
Je reviens à la réalité et me rend compte que Blake fait une drôle de tête quand Miss Roselli lui parle. Je n'arrive pas à entendre ni à lire sur leurs lèvres mais je pressens qu'il s'agit d'une piste tout à fait pertinente. Si j'arrive à faire pression sur Blake, je ferai d'une pierre deux coups : un obstacle serait écarté et un piston octroyé. J'aime cette idée mais je préfèrerai que ma première carte fonctionne afin de ne pas avoir à m'abaisser à cela.

Cette première carte réside tout simplement dans une entrevue probablement fantasque avec M. McCormick, le directeur général du Chicago Tribune. L'invitation vient forcément de lui, je sais qu'il estime les gens qui travaillent ou ont travaillé pour lui. Mais je le sais aussi sévère et il est probable qu'il n'ait pas digéré mon départ au point de refuser mon retour. Quoiqu'il en soit, il me faut essayer.
J'ai beau balayer la salle du regard, aucune trace de McCormick. L’ascenseur apporte une nouvelle fournée de personnalités inintéressantes et de journalistes du Tribune. La musique vient de changer et je patiente avec une coupe de champagne agrippée sur le plateau d'un autre serveur. Je me la suis finalement accordé mais ce sera la seule de la soirée ! Il est hors de question que je me laisse aller, il est hors de question que je prenne le moindre risque qui puisse me faire rater cette occasion. Je n'ai que cette soirée pour regagner ma place à la radio et je ne la laisserai pas filer !

Mes chers amis !
C'est en grande pompe que M. McCormick fait son entrée. Le “colonel”, comme on l'appelle au journal, rayonne de puissance, d'assurance et de fierté. Il passe dans la foule, serrant chaque main avec une poigne ferme, un sourire calculé et un mot de remerciement. C'est assez rare de le voir agir ainsi mais je ne m'attarde pas sur ce détail et m'approche, la main tendue.
Ah ! Ernest Stolz !
- Bien le bonsoir, Mr McCormick. La soirée me semble tout à fait réussie, je vous remercie pour cette invitation inattendue.
- Oh, vous savez, mon cher, je n'oublierai jamais à quel point vous avez personnellement contribué au lancement fulgurant de notre émission radio.
- Soyez assuré que j'apprécie cette reconnaissance.
- Quel dommage que vous nous ayez quitté…
- J'étais jeune à l'époque et je pense que des malentendus des deux côtés ont précipité un départ que je regrette à présent, voyez-vous.
- Je l'entends, mon cher Stolz et ça ne m'étonne pas. Cependant, vous aviez tout ici, une réputation, l'estime de vos collègues, une place au conseil d'administration. C'est vous qui avez mis fin à tout cela.
- Je reconnais que j'ai fait une erreur et…
- Et le temps a passé, vous le regrettez, je comprends. Cependant c'est trop tard maintenant.
- Trop tard ? Allons, M. McCormick, vous disiez à l'instant que j'étais l'homme qui avait propulsé le Chicago Tribune en tête des émissions radiophoniques. Depuis, j'ai pu suivre votre évolution et, permettez-moi de vous le dire, entre l'absence de charisme des voix qui animent et les émissions au fond déplorable, je vois que l'explosion n'a pas suivi mon départ. Or, permettez-moi une fois de plus, M. McCormick, de vous faire savoir qu'en me reprenant à votre service, non seulement, vous retrouveriez l'homme qui a fait naître cette radio mais vous engageriez surtout l'homme qui ferait exploser les audiences. Oui, monsieur, exploser est le terme adéquat quant aux ambitions que je nourris pour cette nouvelle et fructueuse collaboration !

Suite à ma diatribe, je reprends mon souffle et regarde droit dans les yeux le colonel méditer sur mes mots. Je le vois hésiter et je me dis que j'aurais dû frapper plus fort, mettre plus d'intonation et de harangue.
Votre passion est tout à fait palpable mais je ne pourrais vous offrir ce poste dès à présent, M. Stolz. Nous en reparlerons plus tard. Si vous voulez bien m'excuser, je dois m'acquitter de mes devoirs.
Sans attendre ma réponse, le dirigeant du Chicago Tribune part, piétinant au passage la première carte que j'avais en main pour retrouver mon poste. Amère, je le regarde rire et saluer un couple de bourgeois insipide dont le seul intérêt est d'avoir hérité de l'argent de leurs parents.
Je me détourne de cette scène et mes yeux tombent de nouveau sur M. Raymont, Mr. Blake et Miss Roselli qui semblent étonnamment avoir été rejoints par M. Dempsey. Cette association m'étonne mais ne retient guère mon attention. À l'inverse du fait que chaque parole de Vicky Roselli semble faire blêmir d'autant plus M. Blake.
Ma deuxième carte se dessine ici et je compte bien en tirer partie.

Ch. 2

Chapitre 2 - Deuxième carte

La musique baisse de volume et de tempo. Le colonel s'entoure alors de son public et entame, d'une voix chargé en émotion et en assurance, un discours sur sa fierté d'être ici avec son équipe, avec ses collègues, ses partenaires et ceux qui ont cru dans cette tour, dans ce journal. Son monologue est assez peu intéressant mais j'y prête une oreille attentive, au cas où je détecterai de quoi nourrir une potentielle troisième carte. Son discours dure plusieurs minutes et se termine sur une invitation à le suivre au troisième étage de la tour pour la suite de la soirée. Des applaudissements se font entendre et mécaniquement mes mains se joignent au concert.
À mon instar, la foule se masse ensuite principalement autour de l'ascenseur et je sens qu'il va falloir plusieurs voyages pour mener tout le monde à destination. N'étant pas pressé, je me mets un peu en retrait et laisse mes yeux trainer, passant d'un convive à l'autre. Naturellement, mon regard se met à chercher M. Blake, mon “cher ami”. Ma seconde carte.
Je le vois accompagné de Miss Roselli, une fois de plus, et se diriger vers les escaliers. Probablement pour plus de discrétion. Je souris intérieurement : plus la discrétion est de mise, plus l'enjeu est important. Plus l'affaire est importante, plus facilement je pourrais m'en servir. C'est un jeu d'enfant et je me mets donc à les suivre à mon tour, mon instinct de journaliste retrouvant vite ses réflexes.

Je tâche d'être silencieux et, prudemment, suis le couple et les serveurs qui empruntent le même chemin. Les premiers s'arrêtent à l'étage inférieur, le 24ème, celui des bureaux de la direction. Là où se trouve le bureau de Blake, entre autres. Afin de ne pas attirer l'attention, j'avance en flânant et m'engouffre comme si de rien n'était dans le bureau en face. Celui-ci se révèle, comme je l'espérais, tout aussi déverrouillé qu'à mon départ. Je laisse la porte entrouverte pour entendre et tends l'oreille tout en mimant une fausse recherche au cas où on me surprendrait dans les parages.
J'ai du mal à entendre ce qui s'y dit mais je constate qu'une troisième personne les a rejoint : le boxeur mondialement connu, Jack Dempsey. Cela m'étonne de constater que sa présence auprès d'eux se concrétise et certains scénarios commencent à se dresser dans mon esprit.

Je patiente et après quelques minutes, je les entends quitter le bureau de M. Blake.
Alors que j'allais me diriger vers la porte, je manque un battement de cœur quand celle-ci s'ouvre avec fracas sur le visage suspicieux de l'athlète. Je feins la nonchalance : ”Puis-je vous aider, monsieur ?
- Huuum… Non, ça ira. Passez une bonne soirée.
- Oui, vous de même, monsieur.
Suite à cela, l'homme s'éloigne et mon cœur a le temps de reprendre un rythme moins soutenu. Je ne m'attendais certainement pas à sa présence même si, après réflexion, je préfère qu'il se soit agi de la sienne plutôt que celle de Vicky Roselli. La feinte aurait certainement été plus compliqué. Mais je m'égare et reprends donc vite mes esprits !

Je suis venu ici pour une seule raison et, malgré le peu d'informations à ma disposition, je pense être capable de remporter cette bataille face à la stupidité de Blake. Je prends le temps de remettre ma veste en place puis quitte le bureau pour aller ouvrir la porte de mon ancien et futur collègue. La main sur la poignée de sa porte, un bruit attire mon attention dans mon dos. Je me retourne rapidement et reconnait un serveur qui essaye de se tasser dans la pénombre. Je hausse les épaules et franchis le seuil de la porte.
Qu'est-ce que c'est encore ?” Je découvre un Blake au visage pâle et fatigué. Ses yeux semblent d'ailleurs quelque peu effrayés mais ils retrouvent leur méchanceté naturelle lorsqu'ils me reconnaissent. “Stolz ? Qu'est-ce que tu veux ? Je n'ai pas le temps ce soir et…
- Oui, j'avais cru comprendre que tu avais une certaine dose d'ennuis à gérer actuellement. C'est intéressant, tu ne trouves pas ?
Ses mâchoires se serrent, je le vois se mettre sur la défensive, soyons agressif.
Je suis occupé, Stolz, je…
- Oui, tu l'es. Et tu es d'ailleurs dans une situation bien peu enviable. Je ne suis pas certain que McCormick apprécierait de savoir que tu frayes avec la famille Roselli. Cela pourrait… entacher la réputation du journal et tu sais combien cela peut l'énerver.
- Qu'est-ce que tu veux Stolz à la fin ?” Son ton semble désespéré. Le poisson est ferré.

Je m'installe donc en face de son bureau, détendu et en prenant mon temps. Je laisse une petite pause pour faire monter la pression et retire lentement mon chapeau.
C'est assez simple. Je veux récupérer mon poste.
- J'ai pas le pouvoir de faire ça, et puis…
- Écoute Blake. Je ne suis pas vraiment là pour m'amuser. Je te laisse une semaine pour trouver une solution. Ça devrait être possible, non ?
-
- Tu sais que je n'hésiterai pas une seconde. Tu me connais.
- Très bien ! Je m'en charge ce soir, tu auras ton poste et maintenant fiche le camp ! J'ai besoin d'être seul !
Je me lève, remets mon chapeau et le salut. ”Passe une bonne soirée, Blake. On se revoit bientôt… cher collègue.

Suite à cela, je quitte le bureau et retourne dans le couloir. Alors que je me dirige vers les escaliers, je jette un œil à l'endroit où le serveur s'était camouflé bêtement mais ne voit rien de spécial. Les gens sont parfois fort étranges.
J'entame alors ma première descente des escaliers en petite foulée pour rejoindre au plus tôt le troisième étage et le flot d'invités.

Ch. 3

Chapitre 3 - Troisième carte

Il me faut bien cinq minutes pour descendre les escaliers et rejoindre enfin les autres invités. Tout le monde n'est pas encore arrivé, ce qui me laisse le temps de souffler un peu et de me diriger vers le buffet pour piocher un petit canapé à engouffrer.
Je n'ai cependant guère le temps de le savourer qu'un bruit sourd se fait entendre du côté de l'ascenseur. Suivi, quelques secondes après, par des hurlements. Je lèche mes doigts puis me rapproche un peu pour avoir une meilleure vue sur ce qu'il se passe. J'observe les portes s'ouvrir et des convives tâchés de… de sang ? en sortir en hurlant, paniqués. J'essaye de comprendre ce qu'il se passe et m'avance encore en évitant les gens effrayés qui s'éloignent précipitamment ou qui vomissent sur le sol carrelé. En tendant l'oreille je comprends qu'un homme s'est suicidé et est tombé de plusieurs étages jusqu'à atterrir sur le plafond de l'ascenseur. Cela me semble une mort horrible et une façon particulièrement cynique de faire passer un message au vu des circonstances.
M. Blake.
Ce nom me glace le sang. Plusieurs invités semblent expliquer que l'homme en question serait M. Blake. Que je viens de quitter. Impossible. D'autant plus impossible que Blake n'est pas du genre à se suicider. Il n'a pas assez de moralité pour cela. Impossible. J'hésite à m'approcher plus en avant mais au vu des réactions alentours, je préfère m'abstenir.

J'entends McCormick prendre les choses en main, tel le colonel qu'il est. Il distribue ses ordres pour gérer au mieux cette situation exceptionnelle. Certains agents de sécurité sont envoyés verrouiller les portes, d'autres pour aller vérifier les étages. Je suis étonné de voir la diva Sinclair s'approcher de lui, dans une fourrure luxueuse et couverte de sang et lui parler. Cette information se loge dans mon crâne pendant que je m'avance vers eux. Ma deuxième carte vient de s'envoler. Une troisième semble se dessiner : je dois prouver mes talents et mon implication lors de cette situation d'urgence pour retrouver la confiance et mon poste devant la radio. C'est une chance inespérée. D'autant plus, si on y réfléchit, que l'obstacle “Blake” est définitivement éliminé. Ne me reste comme ennemi interne que M. Raymond.
Comment puis-je aider monsieur ?
- Attendez, Stolz. Vous deux, là, oui. Faites en sorte de détacher le corps, de le recouvrir et amener-le hors de vue des invités ! Allez, on se dépêche ! Vous pouvez aider, vous ? Oui ? Très bien, utilisez donc vos muscles. Allez ! Vous, là ! Vous avez appeler le poste de police ? Qu'est-ce que vous attendez ?! Bougez-vous le derche avant que je ne vous le botte, parbleu ! Non mais quelle bande d'incapables.
La situation est sous contrôle, veuillez rester calmes. La police arrive, il s'agit très probablement d'un accident. Calmez-vous, je vous prie.
” Pendant que le directeur du journal tâche d'organiser ses troupes et de rassurer les gens, je vois Sinclair essayer maladroitement de les rassurer aussi. C'est un tableau assez cocasse, je dois dire. Son attitude m'interpelle : aurait-il le même besoin que moi de se rapprocher de McCormick ? Ce serait… surprenant. Je le garde dans mon esprit alors que le chef du Chicago Tribune ne me tire de mes réflexions :
Stolz ? Vous vous souvenez d'où se trouve la machinerie ?
- Bien entendu, ça ne s'oublie pas.
- Alors descendez-y prestement pour monter manuellement l'ascenseur afin qu'ils puissent retirer… le cadavre… depuis le quatrième étage.
- Bien monsieur !

Alors que je m'élance, jubilant que ma troisième carte se présente aussi bien, j'entends mon ancien et futur chef aboyer à la sécurité de me laisser passer. Je ne perds pas de temps et dévale les volées de marches jusqu'à arriver au troisième sous-sol, là où se trouve la machinerie de la tour. Je me souviens très bien y avoir passer plusieurs heures à discuter avec les techniciens. Étonnamment, on peut apprendre beaucoup de choses de leur part. Et puis, je dois bien reconnaître que j'appréciais grandement leurs éloges sur ma prestation radiophonique.
J'allume la lumière et cherche le plan accroché au mur qui détaille les différentes machines, leviers, boutons et manivelles. En quelques instants, l'adrénaline de la course aidant, je trouve la manivelle à actionner. Je m'y attèle et suis les instructions pour remonter suffisamment l'ascenseur pour que le toit au niveau du quatrième étage. Du moins… pour que le toit soit au niveau que j'estime être celui du quatrième étage. Trois tours devraient suffire, n'est-ce pas ? Je suppose que oui, quitte la pièce et remonte les étages jusqu'au troisième.
Mes jambes s'échauffent et me font bien comprendre que je ne pourrais pas faire cela tout les jours. Je ne suis plus tout jeune et quand bien même : les escaliers constituent une épreuve sportive à part entière !

Alors que j'entends mon sang taper dans mes tympans et que je reprends mon souffle pour pénétrer de nouveau dans la pièce qui rassemblent tout le monde, mon regard suit inconsciemment la serveur de tantôt. Elle semble un peu dépassée par les événements mais tâche de conserver son sang froid. À ce moment, quelque chose me frappe : le serveur ou la serveuse qui se cachait de moi plus tôt… Se pourrait-il que…? C'est assez peu probable mais bien moins qu'un suicide.
Sur cette réflexion, je m'approche de Dudley Bugs, l'un des photographes les plus investis au Tribune et un des rares amis que j'ai pu conserver après mon départ. Appareil à la main, l'homme d'une quarantaine d'années, aux cheveux bruns mi-longs qui lui donnent une drôle d'allure et à la veste trop grande, est en pleine action : il prend divers clichés de la scène et des gens. Ma respiration s'apaise peu à peu.
Hey Dudley.
- Ernest ! Quel plaisir ! Sacrée soirée, n'est-ce pas ?
- Ouais… sacrée soirée. Regarde moi donc tous ces rapaces qui essayent de prendre des notes et d'interroger les pauvres témoins dans l'espoir d'écrire un papier moins pathétique que ses acolytes…
- Y a pas mal de temps, t'étais comme eux, je te rappelle.
- Aussi cynique ? Oui, c'est possible. Enfin, ce n'était pas d'eux dont je voulais te parler. Est-ce que tu pourrais élargir un peu ton champ de prise de vue ?
- Élargir dans quel sens ?
- Eh bien…Là, tu photographies tout ce qui est visible et c'est bien ! Mais je t'enjoins à prendre en photo ce que l'oeil non-expert aurait tendance à associer aux meubles, vois-tu ?
- Huuum… Tu peux préciser ?
- Vois-tu les serveurs, là ? Eh bien, tout le monde les considère comme faisant partie du mobilier donc à moins qu'on n'ait besoin d'eux, on les oublie, on les ignore. Essaye de ne pas les ignorer.
- Ouais, je vois.
- Et les gens un peu trop isolés ou un peu trop discrets comme la dame là-bas, n'hésite pas non plus.
- La belle donzelle avec la robe en noire ?
- Ouais voilà, évite de lui parler comme ça mais oui, photographie-la aussi. Quand elle ne s'y attendra pas. Tu sais à quel point tes photos peuvent se révéler précieuses, n'est-ce pas ?
- Héhéhé. Tu peux compter sur moi Ernest. J'imagine que si tu me demandes ça c'est que tu as flairé quelque chose de plus gros que ce drame, pas vrai ?
- C'est possible, Dud, c'est possible.

Je lui mets une tape sur l'épaule et, à peine ai-je le temps de faire deux pas que le costaud M. Dempsey me prend à partie de façon peu cavalière et plutôt menaçante. “Il faut qu'on parle, vous et moi.

Ch. 4

Chapitre 4 - La police est là

Je dois lever la tête pour capter le regard de Jack Dempsey qui semble particulièrement déterminé. Je suppose que c'est exactement ce que ses adversaires doivent voir sur le ring, je me demande cependant ce qui peut bien le motiver à ce point.
Plaît-il ?
- Tu as l'air d'être de la maison et d'avoir du poids donc tu vas faire retirer des presses un article sur moi.
- Pourquoi diable ferais-je cela ? De plus, je pense que vous me jugez mal.
Pour toute réponse le boxeur fait craquer ses articulations et semble gagner encore en présence, me dominant d'autant plus. Je ressens clairement l'intimidation me gagner mais refuse d'y céder. Pour qui se croit-il ?

Il m'agrippe alors au col de ma veste et me soulève légèrement avec une facilité déconcertante. J'imagine qu'il pourrait me porter à bout de bras s'il voulait se donner en spectacle…
Je me fous de comment tu vas t'y prendre mais je te conseille fortement de le faire.
- Et moi, je vous conseille plutôt de me relâcher et de cesser de vous enfoncer. J'ignore ce que vous avez fait pour vous retrouver mal dépeint et je n'ai peut-être pas le poids de changer quoique ce soit dans cette affaire. En revanche, je peux vous assurer que si vous ne me lâchez pas immédiatement, votre réputation potentiellement déjà entachée, le sera irrémédiablement lorsque j'aurai l'occasion d'écrire plusieurs articles sur le fameux Jack Dempsey, le boxeur qui s'en prend impunément aux journalistes lors d'un gala pour cacher des vérités. Ça ferait un beau titre, vous ne pensez pas ? De Jack, le tueur de Manassa, on passerait à Dempsey, l'exécrable brute des médias. On a tous des casseroles, mon cher monsieur, et on doit tous faire des choix. Vous en avez un à faire dès maintenant.

Alors que mon cœur tremble, que mon cerveau me répète que je vais m'en manger une, mes yeux, eux, restent plantés dans les siens pour qu'il se rende bien compte que je ne blague pas. C'est la seule solution face à l'intimidation et, au vu du contexte, je pense sincèrement que les chances de me prendre une mandale en plein gala sont minimes. Je ne cède rien. Plusieurs expressions passent dans ses yeux dont la fureur mais il finit par me relâcher brutalement.
Il me faut quelques pas à reculons pour retrouver mon équilibre. Je remets d'aplomb ma veste et le salut une dernière fois avant de m'éloigner de lui.
Si vous voulez bien m'excuser, à présent.
Mon cœur bat la chamade et je jubile intérieurement d'avoir tenu tête. On ne sait jamais à quoi s'attendre avec les brutes dans son genre et je suis content qu'il ait fait usage de plus de jugeote que la moyenne.

Une dizaine de minutes s'écoulent pendant lesquelles les gens semblent reprendre leurs esprits et se calmer. M. Dempsey n'est pas revenu me parler mais j'ai pu capter quelques regards assassins de sa part. Dudley a continué à prendre des clichés, McCormick à donner des ordres et moi, j'ai simplement patienté en essayant de rester près de ce dernier. Au cas où une nouvelle tâche se présenterait. J'ai d'ailleurs dû aider Neville Sinclair à apaiser certaines personnes encore en état de choc. J'ai été étonné que l'acteur prenne aussi bien la chose mais il m'a suffit de l'écouter parler pour comprendre qu'il se prenait pour le héros de son propre film. Voire qu'il se voyait déjà à l'affiche d'un film qui relaterait ce terrible incident. C'est désespérant à entendre et je suis soulagé lorsque les portes s'ouvrent sur cinq agents de police précédés par un inspecteur.
Bonsoir messieurs, dames, soyez rassurés, le police est arrivée ! Je suis le lieutenant Gery O'Sullivan et c'est moi qui suit en charge de l'affaire.
Le plaisir de les voir arriver est cependant de courte durée tant l'officier me fait une mauvaise impression. Il m'a l'air gauche, paumé et j'ai le sentiment que nous ne sommes pas tombé sur la perle du service. Sa première phrase semble concrétiser mes craintes.
Lorsqu'il s'adresse aux gens et en particulier à McCormick, on se demande s'il affirme quelque chose ou s'il pose une question. Après un court entretien avec le directeur du Chicago Tribune, il quitte l'étage pour aller examiner le cadavre à l'étage supérieur.

Il redescend ensuite pour s'adresser à nous.
Bien, euhm, messieurs, dames ? Oui, messieurs, dames, votre attention, s'il vous plaît ? Merci, euhm. Donc, j'ai bien vu le cadavre et ce n'est pas très beau à voir, n'est-ce pas ? Oups, pardon, oui, non, oubliez ce que je viens de dire. Euh donc, je vais interroger tout le monde un par un dans ce bureau, là, vous voyez ? Oui ? Bien, donc euh, en fait, on dirait que monsieur euh… Black ? Blake, pardon ! Aurait été assassiné enfin je crois ? Non, non mais calmez-vous, calmez-vous !
C'est pour ça que je vous interroge, pour trouver l'assassin qui est encore ici. Oui, non, calmez-vous, s'il vous plaît ? Vous pouvez comptez sur moi, sur la police de Chicago pour résoudre l'enquête. Et ne vous inquiétez pas vous êtes en sécurité ! Enfin, restez quand même ici et faites attention, si le tueur n'est pas ici, il est peut-être ailleurs… Mais ce n'est rien, nous contrôlons la situation ! Nous contrôlons farpaite… parfaitement la situation, pardon.
Il n'y a aucune raison de paniquez, ne vous en faites pas et euh… est-ce que quelqu'un veut bien commencer ? Oui…? Non ? D'accord, eh bien, euhm, je vous attends dans le bureau pour un interrogatoire ? M. McCormick ? Puis-je vous parler un instant ?

En quelques phrases mal formulées, l'officier de police est parvenu à faire réapparaître la panique que sa venue avait apaisé. L'évocation du cadavre a fait vomir ses tripes à un pauvre homme déjà livide et celle du meurtre a complètement choqué l'assemblée. De mon côté, j'ai senti des frissons parcourir mon dos. Malgré mon expérience, je ne suis pas insensible et je dois reconnaître que le rappel de mon altercation avec le boxeur furieux me glace le sang : et s'il s'agissait du tueur ? Mon esprit rationnel tend à penser que la probabilité est faible, mon cerveau reptilien a considéré cela comme une hypothèse tout à fait valide et que je ferai mieux de me méfier.
Je déteste ressentir de la peur. Et je n'accorde aucune confiance aux compétences du responsable attiré, c'est déplaisant.

Après un court entretien entre les deux hommes, le lieutenant O'Sullivan se retire dans le bureau. Je laisse alors mes pensées de côté et en profite pour m'approcher de nouveau de celui qui redeviendra bientôt mon futur directeur.
Y a-t-il quelque chose que je pourrais faire pour me rendre utile, M. McCormick ?
- Ah ! Stolz, toujours prêt à rendre service, n'est-ce pas ? Et si vous montriez l'exemple et commenciez l'interrogatoire ?
- C'est tout à fait dans mes cordes, j'y vais de ce pas !
Avec un sourire un peu crispé car j'espérais autre chose, je me dirige vers la porte du bureau vitré où semble attendre impatiemment le lieutenant qui ne cesse de nous regarder à travers les vitres. Il me paraît tellement gauche et pitoyable, comme un enfant qui essaye de résoudre un puzzle sans savoir comment s'y prendre et qui attend l'aide de ses parents.
Alors que j'allais franchir le seuil du bureau, des petits bruits sur les immenses vitres extérieures se font entendre. D'innombrables petits bruits, de plus en plus nombreux et virulent. Et cela, sur l'ensemble des fenêtres extérieures qui nous entourent.

Ch. 5

Chapitre 5 - Interrogatoire

Par curiosité, je me retourne et découvre, avec l'assemblée entière, comme des petits cailloux qui viennent frapper le verre des vitres. Cela me semble irréel. En quelques secondes, le nombre de cailloux semble avoir doubler au vu du bruit environnant qui nous parvient.
J'écarquille les yeux de stupéfaction : en quelques minutes, nous voici pris, en plein Chicago, dans une de ces tempêtes de sable qui parcourt les steppes. C'est irréel. On dirait… le Dust ? en plein Chicago ? Je m'approche d'une des fenêtres et prend conscience de l'ampleur du problème. Impossible de sortir dans ces conditions : toute la tour semble environnée de sable et les vents semblent particulièrement virulents.
En observant les autres convives, je perçois des yeux plein d'admiration devant le spectacle, certes magique, mais dangereux. J'en perçois d'autres plus choqués voire inquiets.

Je finis par me détourner du spectacle malgré le bruit omniprésent et me rend dans le bureau temporaire du lieutenant O'Sullivan.
Oh ! Bienvenue ! On commence donc par vous ? Excellente idée. Alors, euhm, voilà comment ça va se passer : vous allez me dire qui vous êtes, pourquoi vous avez été invité et où vous étiez au moment de l'incident et tout ça ? Êtes-vous d'accord ? Bien, alors eh bien, je vous écoute.” Sa façon d'affirmer des choses en posant des questions m'exaspère mais je me dis que plus vite ce sera fait, plus vite je pourrais passer à autre chose. Je dois simplement veiller à être irréprochable afin que rien de négatif n'arrive aux oreilles de McCormick. Je me mets à l'aise en adoptant une attitude nonchalante puis je prends le temps de me présenter brièvement et d'expliquer la raison de mon invitation.
Très vite, j'en viens à ma présence au moment du meurtre potentiel. Après une seconde de réflexion, je choisis de simplement dire la vérité. Je lui explique alors que je suis probablement une des dernières personnes à avoir vu M. Blake puisque j'étais dans son bureau quelques minutes avant qu'il ne “trébuche”. J'explique aussi qu'il semblait s'être disputé avec un grand homme et une jolie femme juste avant mon entretien avec lui.
Attendez, vous dites que vous êtes le dernier à l'avoir vu ? Quelle était donc la raison de cet entretien avec M. Blake ?
- Je dis que je l'ai vu une bonne dizaine de minutes avant… de l'entendre s'écraser, pas que j'étais le dernier. En ce qui concerne l'entretien, j'étais simplement allé le voir pour affaire. Il s'agissait d'un de mes anciens collègues et j'espérais qu'il appuie ma prochaine candidature.
Je le regarde écrire en patientant, silencieusement. Il semble excessivement concentré sur sa prise de note, répétant une bonne partie des mots que je prononce avant de les écrire. J'ai l'impression qu'il retranscrit tout ce que je dis et cela m’atterre. En tant que professionnel de la prise de note, je connais les bonnes astuces et, clairement, écrire chaque mot prononcé n'est pas une pratique recommandée. Un regard à ses notes m'apprend de plus qu'il n'utilise aucune abréviation… Cet inspecteur n'a vraiment rien pour lui.

Il relève le nez de ses notes pour planter son regard dans le mien.
Et donc, vous disiez qu'il y avait un grand homme et une jolie femme avant vous dans le bureau de M. Blake, c'est cela ?
- En effet.
- Pourriez-vous me les décrire ?
J'espérais qu'il ne poserait pas la question mais je n'y échappe pas. Je tâche donc d'être honnête, après tout : Jack Dempsey en a déjà après moi et ce ne serait pas la première fois que je flirte un peu trop avec la famille Roselli. Sans les citer directement, je me contente de descriptions physiques partielles mais suffisantes pour qui prend le temps de regarder l'ensemble des invités. Honnêtement, je me dis qu'il est probable que le lieutenant passe tout à fait à côté de cette ressemblance tant il semble porter son attention sur une foule de détails inutiles.

Huuum… D'accord, je vois, très bien. Autre chose ?
- En entrant dans le bureau de M. Blake, j'ai aperçu un serveur, je ne sais pas lequel exactement ni même si c'était un serveur, en tout cas quelqu'un qui ressemblait à un serveur se cacher dans le couloir.
- Quelqu'un… qui ressemblait… à un serveur… Se cacher… dans le… couloir…? Bien c'est noté. Je vous remercie donc de votre euhm, témoignage ? Est-ce que vous pourriez m'appeler la personne suivante ? Merci beaucoup, monsieur.
Je me lève et acquiesce, content d'en avoir terminé.

Après avoir envoyé une autre personne dans le bureau, je m'en éloigne et tâche de voir quelles sont les nouvelles. Le vent et le sable semblent toujours environner la tour; le bruit, toujours oppressant, devient peu à peu secondaire. L'atmosphère dans la salle est très particulière, tendue. Les invités semblent peu rassurés ou bien semblent se convaincre qu'il n'y a rien d'anormal. Après tout, il y a “seulement” un mort et une tempête de sable.
Je tâche de me tenir à portée de mon futur patron afin d'être certains de pouvoir être dans ses bonnes grâces si besoin. Neville Sinclair semble opérer la même stratégie ce qui m'agace et m'intrigue.
Un des policiers, probablement légiste au vu de son uniforme, redescend du quatrième étage et se dirige vers le bureau du lieutenant. McCormick l'interpelle et le somme de lui transmettre les informations. Après une courte hésitation devant le regard acéré du colonel, l'homme en uniforme cède et explique qu'il confirme les traces de strangulation, laissant penser sans équivoque à un meurtre. Peu de temps après, l'homme que McCormick avait envoyé dans les étages confirme à son tour avoir vu des traces de luttes au niveau de l'ascenseur du 24ème.

Le dirigeant semble ennuyé et chercher du regard des gens. Je m'approche.
Stolz, il faudrait que quelqu'un aille voir en haut ce qu'il s'est passé. M. Sinclair, pourriez-vous l'accompagner ? Oh ! M. Dempsey, vous vous portez volontaire vous aussi ? Ma foi, très bien.
En quelques instants, McCormick réunit six personnes pour monter jusqu'au 24ème et voir si nous trouvons des indices. À mon instar, il ne fait aucunement confiance aux compétences du lieutenant en charge de l'affaire et préfère prendre les devants. C'est donc accompagné de Neville Sinclair, la star du cinéma muet, Jack Dempsey, le boxeur intimidant, Ginger Leaver, la miss America de l'année, Ruth Copeland, l'aviatrice en tenue d'aviateur et Miss Roselli, la femme fatale que je dois aller tout en haut de la tour. Je me rends à l'évidence : l'ascenseur étant inutilisable actuellement, il va donc falloir se coltiner les vingt-un étages de marche qui nous sépare des bureaux de la direction.
La descente n'était pas si long si on y repense, la montée sera peut-être moins rude que ce dont je me rappelle…

Ch. 6

Chapitre 6 - Quatrième carte

Une fois au 24ème étage, je délaisse bien vite mes illusions : la montée s'est avérée aussi complexe que je le redoutais. Dempsey et Copeland semblent tenir facilement le rythme, contrairement à Miss Leaver, Sinclair, la Roselli et moi-même. Mes jambes me brûlent et il me faut un peu de temps pour reprendre mon souffle et repenser à cette fameuse ascension que je n'effectuerai de nouveau pour rien au monde.
Les neuf premiers étages, composés de bureau, étaient assez facile à gravir. Les quatre étages suivants, du 13ème au 16ème donc, étaient vides et m'ont bien fatigué. Les six suivants étaient en travaux et m'ont été douloureux. Heureusement, le 23ème étage m'a redonné de la force et du plaisir quand je l'ai atteins. En effet, l'étage de la radio ne pouvait que m'apaiser et me faire rêver. Il y avait tant de souvenirs à cet étage et tant d'ambitions à venir… Les autres étaient pressés d'atteindre le prochain et dernier étage, je n'ai donc pas pu m'y attarder mais j'espère en avoir l'occasion plus tard.
Quoiqu'il en soit, nous voici au 24ème étage et, alors que je m'adosse à un mur, un remue-ménage se fait entendre. Mon cœur se serre : se pourrait-il que l'assassin soit encore ici ? Cela semble peu vraisemblable mais mon esprit m'enjoins à me méfier. Une surdose d'adrénaline me parcourt et je regarde mes compagnons qui s'entre-regardent sans savoir quoi décider. Jack Dempsey prend finalement les devants pour aller voir de quoi il retourne, les autres le suivent docilement.
Pour ma part, je préfère contourner les bureaux au cas où ils rateraient quelque chose. Et peut-être aussi, au cas où l'individu prendrait la fuite. Je me sens ridicule à cette pensée : qu'est-ce que je pourrais bien faire face à un tueur déterminé à déguerpir ?
Essayant de repousser cette pensée, j'avance discrètement sur la moquette.

J'entends une conversation démarrer alors que les bruits de fouille cessent. Je m'approche et je découvre que dans le bureau de McCormick se trouve Nora Melnitz, une journaliste du Herald Examiner. Cette petite femme brune, aux lunettes et tailleur discrets se tient droite et semble expliquer la raison de sa présence ici :
… documents et preuves ! Le concours d'architecture a été truqué et c'est certain que c'est dans ce bureau que j'en trouverai ! Vous pouvez m'aider si vous le souhaitez mais sinon laissez-moi tranquille.
De nombreux tiroirs ont été ouvert et il y a des documents un peu partout. Je ne peux m'empêcher de noter qu'il semble y avoir une certaine logique dans ce bazar. Miss America semble choquée des accusations proférées à l'encontre du Chicago Tribune et pourtant, je suis bien placé pour savoir que c'est la journaliste qui a raison. Je me demande tout de même qui est sa source puisque ce n'est pas moi qui ait vendu la mèche. Elle tourne d'ailleurs son regard vers moi alors que le reste du groupe s'éloigne pour, je présume, rejoindre le bureau de M. Blake.
Monsieur Stolz, c'est bien vous, n'est-ce pas ? Je savais bien que je vous avais reconnu. Vous savez mieux que quiconque que le concours d'architecture a été truqué. Aidez-moi à trouver des preuves dans ce sens. J'ai bien conscience que dix ans se sont écoulés mais je connais les hommes dans leur genre : tout est conservé.
- C'est bien moi, en effet. Je crains cependant de ne pouvoir vous aider aujourd'hui…
- Allons mais c'est l'occasion rêvée pourtant ! Vous n'imaginez pas tout le travail en amont qu'il m'a fallu abattre pour pouvoir être là ce soir !
- Je suppose que non puisque je n'ai jamais été journaliste d'investigation. En revanche, vous n'êtes pas sans savoir qu'un meurtre a été commis il y a peu.
Elle me regarde, des feuilles à la main, marquant un temps d'arrêt.

Non, en effet. Et c'est regrettable. Cela me laisse d'autant moins de temps, je ne peux pas laisser cette occasion me filer entre les doigts ! Si vous n'envisagez donc pas de m'aider, je vous demanderai d'au moins ne pas m'entraver.
J'acquiesce simplement et me recule pour sortir du bureau. Elle se remet bien vite à farfouiller.
Je me demande si j'ai pris la bonne décision en refusant de l'aider mais j'ai le sentiment que cela aurait été trop flagrant. De plus, les chances de pouvoir utiliser cela à mon avantage, comme une quatrième carte, sont plus fines que celle de persévérer avec ma carte actuelle : me rapprocher de McCormick. En contemplant le sable qui frappe les vitres, j'envisage même un instant de dénoncer la journaliste afin de gagner des points supplémentaires mais ce serait m'ôter toute carte supplémentaire. Ce qui est risqué…
Un éclat de voix derrière moi me tire de mes réflexions : ”… erme la fenêtre !

Je me rapproche alors du bureau de M. Blake où se trouvent les cinq autres personnes envoyées pour enquêter. Je me questionne d'ailleurs sur la présence de Miss Leaver. Elle semble n'avoir aucune compétence particulière si ce n'est être jolie juchée sur des chaussures à talons et faire les yeux doux à Dempsey. Oh ! Bien sûr. C'est fou ce que les femmes sont prêtes à faire pour attirer l'attention d'un homme fort et attirant. Ça n'arrive bien sûr qu'aux autres. Humpf ! Bref, je reporte mon attention sur la pièce et note que Miss Roselli s'est empressée de fouiller dans les affaires de Blake. Cela ne m'étonne guère. Elle lance d'ailleurs un regard noir à quiconque s'approche d'elle.
Copeland s'est attaquée à une autre étagère et je constate que Sinclair se tient à côté d'une fenêtre. Au pied de laquelle se trouve une quantité non négligeable de sable, il semblerait que la fenêtre soit restée ouverte un petit moment.
Ceci m'interpelle : je suis convaincu qu'aucune fenêtre n'était ouverte tantôt.
Une réflexion de Dempsey me tire de mes pensées, une nouvelle fois. Décidément.
Je viens d'y réfléchir mais M. Blake avait une grande stature. S'il a bien été étranglé, cela signifie que son agresseur avait de grosses mains.
- Un peu comme les vôtres, donc ?

Je n'ai pas pu m'en empêcher et ça ne manque pas de porter ses fruits. Comme je l'avais prévu, l'âne tout en muscles vrille et m'agrippe de nouveau, agressif. ”Qu'est-ce que tu sous-entends, l'avorton ?
- Strictement rien de plus qu'un fait qui corrobore votre pensée.
- Tu te fiches moi ?! C'est toi le dernier qu'on a vu avec M. Blake, fais pas l'innocent ! Et tu oses m'accuser ? Tu ne manques pas de culot !
- Allons, M. Dempsey, vous vous donnez une fois de plus en spectacle. Je n'ai fais qu'exprimer qu'il faudrait des mains comme les vôtres, pas qu'il s'agissait des vôtres. Vous vous rendez d'ailleurs bien compte que mes propres mains ne parviendraient pas à un tel résultat, n'est-ce pas ? Veuillez donc vous calmer et me relâcher, à présent, vous faites peur à Miss Leaver.

C'est avec une violence qui me fait tituber en arrière et sortir de la pièce que Jack me relâche en me menaçant vertement : ”Ne t'avise pas de me chercher, ça pourrait mal finir !
Je prends le temps de remettre en place ma veste dépenaillée par ses soins et le toise avec un sourire légèrement narquois mais me retient d'ajouter de l'huile sur le feu. Ce serait trop facile et il n'en vaut pas la peine. Je me détourne donc du solide gaillard et, puisque le bureau semble déjà bien investigué, m'éloigne pour aller observer les alentours et notamment l'ascenseur où a eu lieu le drame.

Ch. 7

Chapitre 7 - Sable intriguant

Ce qui me frappe est que devant l'encadrement de l'ascenseur se trouve une certaine quantité de sable. Il ne s'agit pas seulement de quelques grains, ni même de quelques poignées. Perplexe, je m'interroge sur sa provenance. Il ne semble pas y en avoir dans le couloir et…
Je retourne dans le bureau de Blake, j'ignore les autres protagonistes et me concentre sur le sable au pied de la fenêtre. Je m'accroupis et en prend une poignée que je laisse couleur entre mes doigts. Il me semble… normal. Et similaire à celui devant la cage d'ascenseur. C'est très étrange et cela semble improbable qu'un “coup de vent” ait pu projeter autant de sable jusqu'à la cage métallique sans laisser de trace dans le couloir. Plus qu'improbable, même.
Je me redresse et note que quelques regards me dévisagent. Je tâche de les ignorer, remarquant au passage que Jack semble s'être absenté.

Est-ce que c'est normal ce bruit dans vos téléphones ?” La voix de Miss Rosetti me surprend autant que sa question. Je m'approche pour saisir et écouter dans le combiné qu'elle me tend. Ce n'est ni une tonalité normale, ni une absence de tonalité que j'entends. Plutôt comme… une tonalité erratique. Je n'aime pas du tout ce son et repose l'objet sur son socle en secouant négativement la tête alors qu'un frisson me parcourt l'échine.
Non, ce n'est pas normal. Peut-être est-ce dû à la tempête qui brouille le signal. Je ne saurais le dire.
En réponse, l'acteur Sinclair prend la parole : ” Le moins que l'on puisse dire c'est qu'il se passe des choses étonnantes ce soir ! Je ne suis pas certain de pouvoir trouver quoique ce soit d'intéressant à cet étage, je propose d'aller voir plus bas.
- Où donc ?
- Je suis curieux de visiter la salle d'exposition. D'après M. McCormick, il y a justement une exposition à propos de l'inauguration de la tour. Je ne sais pas si tout cela a un lien mais je suis curieux de voir ce qu'il en est.

Hochant la tête, je propose de l'accompagner. Miss Copeland et Rosetti restent donc seules dans le bureau, Miss America ayant très certainement suivi M. Dempsey. Je n'avais même pas remarqué son absence jusqu'à présent.
Nous descendons donc ensemble de quelques étages. Neville en discutant de tout cela comme s'il s'agissait d'un film dans lequel il pourrait interpréter le premier rôle, moi en ne l'écoutant qu'à moitié. Nous arrivons au 12ème étage et pénétrons dans une vaste pièce dans laquelle sont tendues de vastes affiches avec des photographies et des textes. Pendant quelques minutes, je regarde un peu partout mais ne perçoit rien de vraiment important. On y trouve notamment la dizaine de propositions de design de la tour qui ont été soumises durant le concours. Je revois aussi des photos de la construction et de l'inauguration en elle-même. Je reconnais la plupart de ces photos puisque j'y étais. Elles me replongent des années en arrière. J'en vois d'ailleurs plusieurs où je figure. J'étais bien jeune, plus souriant, innocent et ingénu. Les photographies ont ce pouvoir de nous projeter dans le passé.
M. Stolz ?” La voix de l'autre homme me tire de mes réflexions.
En quoi puis-je vous aider ?
- Je viens de faire le tour et il semblerait que ce tiroir est verrouillé.
- Très bien mais… je ne vois pas le rapport. Où voulez-vous en venir ?
- Eh bien, il n'est pas impossible que l'on découvre une pièce importante de ce puzzle dans ce tiroir qui semble volontairement inaccessible.
- Vous voulez donc… forcer ce tiroir ? Alors que rien n'indique que c'est pertinent…?
- Allons, mon ami ! Un meurtre mystérieux, du sable fabuleux, un tiroir verrouillé, vous imaginez si nous trouvions quelque chose d'important ? Cela changerait tout au scénario ! Enfin, cela pourrait apporter des indices, vous voyez ?
- Hum, huuum…
- Je vois que vous n'êtes pas convaincu mais je vais tout de même le faire ! Oui, je vois à vos yeux que vous pensez aux représailles potentielles mais souvenez-vous que nous sommes là pour enquêter. Et que pour enquêter convenablement il faut parfois… oui, ceci devrait faire l'affaire, voilà. Il faut parfois… forcer des tiroirs mystérieux et… Oh… Qu'est-ce donc ?

Malgré mes réticences, Sinclair parvient à ouvrir le tiroir à l'aide d'un objet métallique récupéré sur un des portes-photo immense. Il en tire des documents qui font état d'une correspondance où il est question de pierres récupérées, d'une tribu autochtone qui semblait s'en affoler et de mises en garde. Ces pierres auraient été dispersées à travers le monde et l'une d'entre elles aurait été récupéré au sein même de cette tour. D'après la photo jointe, cela me fait clairement penser à la pierre qui détonne des autres au quatrième étage, et que l'on peut apercevoir depuis l'ascenseur. C'est une très grande pierre dont la couleur tranche un peu avec le béton de l'immeuble. Je n'avais jamais vraiment compris son utilité ni sa provenance, mettant cela sur l'excentricité d'un tiers.
Ce que je lis de la lettre et ce que celle-ci semble énoncer est on-ne-peut-plus irrationnel. Ça ne l'est cependant pas pour Sinclair qui s'exclame : “Nous devons aller voir de quoi il retourne !”
Je n'essaye pas de protester car je n'ai aucune autre piste et que cela nous rapprochera de la salle de réception et de McCormick. Nous prenons donc de nouveau les escaliers pour descendre. Au passage, je me fais la réflexion que les dévaler groupe d'étages par groupe d'étages est bien plus simple que de tout descendre d'une seule traite.

Durant notre marche, nous tombons sur Jack Dempsey qui remonte deux par deux les marches. Nous échangeons un simple regard puis il disparaît dans les étages.
Arrivés au quatrième étage, quelque chose me chiffonne mais je n'arrive pas à mettre le doigt dessus. Je coupe Sinclair qui continuait de bavarder sur son film : “C'est derrière cette fenêtre. Ce sera compliqué à observer à cause de la tempête qui fait rage.
- Eh bien, il suffit de l'ouvrir et de se pencher, je suppose !
J'acquiesce en maugréant. Ouvrir la vitre ne me réjouit nullement, j'entends tous les grains de sable qui se fracasse dessus. La puissance de la tempête ne semble pas avoir diminuée. Je prends une inspiration puis ouvre la fenêtre, m'offrant aux éléments déchaînés, la main en visière pour essayer de percevoir quelque chose malgré la poussière.

Ch. 8

Chapitre 8 - Pierre et sang

Les grains de sable me frappent le visage et je me penche bien vite pour essayer de voir la fameuse pierre et me protéger de la tempête. Je sens la virulence des vents baloter mon corps. Avec la main en visière j'essaye de voir le long du mur la fameuse pierre mais je ne vois rien. Je lutte pendant plusieurs secondes mais du sable finit par agresser mes yeux, je rentre donc mon corps et me les frotte en pestant.
Alors,vous l'avez vu ?
- Non, je n'ai fichtrement rien vu ! Il y a trop de sable, c'est infernal. Mais essayez donc si vous voulez. J'en ai plein les yeux, moi…
Suite à ce court échange, mes yeux pleurent et je perçois, plus que je ne vois, l'acteur se pencher à son tour. L'inconscient. Je l'entends se plaindre, tousser et pester de façon ostentatoire comme pour exagérer chacune de ses actions. Cet homme vit vraiment sa vie comme dans un film. Il finit par se redresser bredouille, mes yeux vont un peu mieux mais sont humides. J'ai l'impression de le voir ouvrir la bouche pour sortir une énième ânerie quand une violente bourrasque le propulse violemment sur le sol. Je me précipite pour essayer de fermer la fenêtre et suis obligé d'y mettre toute mes forces.
C'est hallucinant la violence qu'est capable d'avoir une tempête, cela me renvoie à ma fragilité d'être humain. Je bande mes muscles et persiste, parvenant à gagner du terrain jusqu'à finalement, dans un sursaut d'énergie, fermer et verrouiller les vitres entre elles.
Je m'éloigne lentement, les bras ballants, craignant à moitié qu'elles ne se rouvrent d'un seul coup.

Je bute alors dans quelque chose et me retourne pour découvrir Neville Sinclair, les mains sur le visage. Il semble souffrir et je perçois des traces de sang.
Sinclair…? Est-ce que… vous allez bien ?
C'est horrible, Stolz, n'est-ce pas ? Est-ce si horrible…?” En disant cela, l'acteur écarte les doigts de sa figure que je découvre balafrée de plusieurs entailles. L'une d'elle allant de l'arcade sourcilière jusqu'au menton, une autre traversant le visage de part et d'autres. C'est comme s'il avait pris six coups de couteaux. Je lui tends un mouchoir propre afin qu'il puisse s'essuyer et je l'aide à se relever.
Mon visage… mon fabuleux visage…

Je l'escorte jusqu'à la cage d'escalier quand un détail me frappe. Je me retourne. Le sol de la pièce que nous avons quitté et une bonne partie du couloir sont recouvert de poussière. Le corps de Blake est présent, comme escompté mais je ne vois ni n'entend aucun garde. McCormick et le lieutenant avaient pourtant envoyé quelqu'un pour surveiller le corps, me semblait-il. Le cadavre est allongé sur un bureau mais laissé seul. Un frisson me parcourt le dos, tout cela ne me semble pas normal mais il est possible qu'ils aient été rappelé pour autre chose.
Allons parler à M. McCormick; cet endroit ne me plaît pas.” dis-je à mon compagnon qui acquiesce et se libère pour marcher de lui-même en tenant sur ses plaies le mouchoir déjà imbibé de sang en plusieurs endroits.

Nous descendons et j'explique brièvement à McCormick ce que nous avons vu au 24ème et au 4ème. J'insiste sur le fait que ça me paraît étonnant de n'avoir vu personne pour surveiller le cadavre qui constitue à lui seul une preuve.
Comment ? Personne ? J'avais pourtant envoyé Louis ! Où peut-il bien être ? Veuillez m'excuser.
Je regarde mon futur patron s'éloigner puis rejoint Neville qui s'était rapproché de l'ascenseur. Il observe l'extérieur à travers la vitre. Je suis son regard et perçois la fameuse pierre que nous cherchions plus haut. Sinclair est perplexe et a même cessé de se tamponner le visage.
C'est étonnant… cette pierre semble immaculée.
- En quoi est-ce étonnant ? Elle n'est pas immaculée, elle est recouverte de poussière comme les autres.
- Vous ne comprenez pas. Regardez autour de la pierre, qu'est-ce que vous voyez ?
Je prends le temps d'observer ce qui entoure la pierre et à part d'autres pierres, du béton, du sable et des traces de sang je ne vois rien. Je balaie une nouvelle fois des yeux, quelque chose m'échappe. Le sang provient du cadavre de feu Blake et s'est répandu un peu partout, ce qui est tout à fait normal.
Je regarde plus attentivement, une troisième fois. Il y en a partout… Non. Presque partout !

Feriez-vous référence à l'absence de sang ?
- Vous aussi avez remarqué ? Oui, c'est bizarre, n'est-ce pas ? Attendez, qu'est-ce que vous faites ?
- Je dois vérifier quelque chose.
Ce disant, je sors un stylo de ma veste et entreprend d'ouvrir la porte vitrée donnant sur la pierre, l'ascenseur et donc l'extérieur. Dans mon dos, j'entends de nombreuses protestations, des hoquets outrés ainsi que des commentaires déplaisants mais j'en fais fi et m'accroupis juste après avoir entrouvert le battant. Je trempe alors mon stylo dans une petite flaque de sang qui n'a pas encore complètement séchée et j'entreprends d'en déposer sur la pierre. J'ai un très mauvais pressentiment mais mon esprit scientifique veut savoir et mener l'expérience jusqu'au bout.
Je parviens à déposer quelques gouttes et retient ma respiration pendant quelques secondes. J'ai forcément tort. Je ne peux pas avoir raison là-dessus, ce serait… Je déglutis difficilement.
Les gouttes de sang se font comme absorber par la pierre sous mes yeux. Comme s'il s'agissait d'une éponge et non d'un minéral des plus solides. Je redoutais une explication aussi anormale.

Je me recule et tente de refermer la porte. Celle-ci elle résiste, à l'instar de la fenêtre. Une vague de froid parcourt mon échine. Neville s'est déjà mis à pousser le battant mais je le vois en difficulté.
Mais aidez-moi !
D'un bond je me redresse avant de mettre toute mes forces pour clore l'ouverture. Je sens que le vent force et j'ai comme l'impression d'entendre un bruit, comme un cri lointain dans la tempête. Ce n'est peut-être que mon imagination mais ce qui est certain c'est que cela m'injecte le brin d'adrénaline nécessaire pour terminer l'effort.
Le clac rassurant du loquet me laisse haletant.
Je me retourne et voit M. McCormick approcher à grand pas. Je regarde un instant Sinclair.
Vous… avez bien vu ce que j'ai vu ?
Il acquiesce nerveusement de la tête.

Qu'est ce que vous faites vous deux ?!” Le colonel fulmine et je vois qu'il est interloqué.
Je vais vous expliquer, calmez-vous. C'est… difficile à croire mais je crois bien que cette pierre a un lien avec tout ce qu'il se passe ici.
- Mais qu'est-ce que vous racontez ?!
- Vous souvenez vous avoir reçu une pierre spéciale envoyé par une de vos connaissances lors de la fondation de la tour ? intervient Sinclair.
- Eh bien oui, et alors ?
- Elle est maudite ! La pierre réclame du saaaaaang !
- Allons, Sinclair…, je reprends la parole. Je ne dirais pas maudite mais inhabituelle. J'ai voulu faire une expérience pour confirmer quelque chose et… attendez, je vais vous montrer, ce sera plus simple. Sinclair, aidez-moi à ouvrir la porte, voulez-vous ?
- Encore…? Vous êtes sûr que ce soit nécessaire ?
Sans lui laisser le temps de se plaindre, je pose ma main sur la poignée métallique quand une voix éclate derrière nous : ”M. Raymont est mort !”.

Ch. 9

Chapitre 9 - Panique et discussions

M. Raymont est mort !
Cette phrase résonne dans la salle, laissant un grand blanc choqué. Je peux voir de nombreux visages de convives devenir livides. Une dame flanche d'ailleurs dans les bras de son cavalier qui a quelques difficultés à la retenir. Dempsey s'avance pour rejoindre d'un pas assuré McCormick; je vois qu'il est suivi par Vicky Roselli, l'aviatrice et Miss America. Sacrée compagnie. Jack s'entretient alors avec le dirigeant du journal, c'est sa voix qui a énoncé le deuxième meurtre et je tends donc l'oreille pour en apprendre plus.
Il déclare l'avoir trouvé pendu à une corde mais tellement transpercé de couteaux qu'il est probable qu'il ait été pendu après avoir été lardé de coups. C'est une douloureuse façon de mourir même si, je dois le reconnaître, cela enlève le deuxième gros obstacle de mon retour au Chicago Tribune. Je suis froid mais je reste pragmatique malgré la situation.
La discussion est courte. Le colonel semble placer toute sa confiance dans Dempsey, ce qui est étonnant.

De quoi s'agit-il ?! Vous dites que M. Raymond est mort ? Qui est M. Raymond ? Il faudrait que j'aille voir ?
Le lieutenant O'Sullivan vient de sortir de sa salle attribuée pour rejoindre Dempsey et McCormick. Il s'entretient avec eux et en vient à la conclusion qu'il doit aller voir de lui-même. McCormick semble décidé à monter voir lui aussi. Dempsey mène la marche et je vois le policier que j'estimais être légiste se joindre à eux.
Je reste donc sur le carreau, un peu dépité. Moi qui pensait pouvoir gagner des points, je vois mon futur employeur s'éloigner avec Jack. Cet homme commence à m'agacer. Ce n'était peut-être qu'une coïncidence mais là, à ce moment précis, hic et nunc, cela m'agace.

À peine se sont-ils éloignés qu'une voix désagréable retentit :
Bon, j'en ai assez de cette soirée ! Il y a un meurtrier parmi nous, je refuse d'être le suivant ! Nous partons !
Un regard aux vitres me rappellent que la tempête est toujours vive, un regard à Sinclair me rappelle la dangerosité de sortir l'affronter. Un dilemme s'empare de moi : je n'ai certainement pas envie d'être responsable en cas de soucis mais je vois là une occasion de regagner des points auprès de McCormick. En effe : si j'arrive à les empêcher de sortir, je ne doute pas que cela me sera favorable. Je tente donc le tout pour le tout et toise le futur maire de Chicago, M.Dwight H. Green.
Je suis désolé monsieur mais nous ne pouvons vous laisser partir.
- Et pourquoi donc ? J'aimerai bien le savoir !
- Ce sont les ordres de M. McCormick et …
- Je m'en carre de McCormick ! Dégagez d'ici et laissez nous sortir.
Derrière lui, plusieurs personnes semblent s'échauffer à son discours et je sens que la situation pourrait vite dégénérer. Une petite goutte de sueur coule le long de mon crâne mais j'insiste en prenant des risques. J'élève la voix et prends une posture d'autorité. Sur un procureur. Je suis vraiment stupide.
Non, vous ne partirez pas ! Il y a un meurtrier dans l'assemblée et il est hors de question que qui que ce soit sorte d'ici avant que ce premier ne soit appréhendé !
- Non mais pour qui me prenez-vous ? Vous savez qui je suis ? Je suis Dwight H. Green, procureur de Chicago ! Qui êtes-vous, maudit crétin ? Vous voulez perdre votre boulot, c'est ça ? Quel est votre nom, stupide incapable ? Eh bien alors ! Dégagez, je vous dis !
Je n'en mène pas large quand je reçois chacun des mots du procureur qui me transpercent. Je me sens tellement stupide et j'en viens à craindre que cette idée ne se retourne contre moi. Aurais-je laissé s'échapper ma meilleure carte ? Le fait que McCormick ne soit pas présent ne me rassure en rien, j'ai le sentiment que plus la situation va durer, pire ce sera.

Alors que j'allais flancher et les laisser passer, Neville Sinclair s'élance pour barrer la porte de son corps et de son manteau hors de prix éclaboussé de sang. ”NON ! Vous ne pouvez pas partir maintenant ! Le dust est beaucoup trop virulent ce soir, vous le voyez bien ! Vous ne pourriez faire un pas que vous seriez blessé, regardez donc ce que ce vent à fait à mon fantastique visage !
- Sinclair, vous vous ridiculisez. Laissez-nous passer avant que je ne m'énerve pour de bon.
- Non, vous ne comprenez pas !
- C'est vous qui ne comprenez pas ! Hors de ma vue ! Je ne…

PAN !

Je porte mes mains à mes oreilles, en retard, par réflexe alors que le coup de feu est déjà parti. Je vois que plusieurs personnes font de même. Surpris et apeuré, je parviens heureusement à discerner rapidement l'auteur du coup de feu : il s'agit du dernier policier qui était resté sur place. Chauve, les sourcils volumineux et le regard sévère, il a encore le bras levé.
Personne ne sort d'ici, tels sont les ordres du Lieutenant de police O'Sullivan. Qu'importe votre statut, vous êtes tous suspect dans cette affaire. Merci de ne pas me forcer à faire de nouveau usage de mon arme.” La voix est ferme et assurée.
Le bougre est parvenu à calmer les ardeurs de la foule qui s'enflammait à mesure que la situation durait. Mon coeur bat encore la chamade mais j'adresse un signe de tête reconnaissant à cet homme qui a su ramener le calme pour un temps.

C'est à ce moment que la délégation qui était allée voir l'étage fait irruption dans la pièce.
Mais qu'est-ce que c'est que ce bordel ? Vous pouvez m'expliquer ?!” La rage et l'autorité de celui que l'on appelle le colonel termine d'apaiser la panique, les gens se dispersent en maugréant et en prenant une nouvelle coupe de champagne à leur disposition. Préférant ne pas être associé à ce désastre, je me fonds dans la foule et m'éloigne.

Là, je vois Dudley terminer une photographie, mon regard suit l'axe de la photo et je tombe sur les deux serveurs et la serveuse qui restent discrets le long d'un mur, à patienter. Je choisis alors d'aller les confronter en adoptant une approche amicale.
Sacrée ambiance, n'est-ce pas ?
- Oui, c'est… très particulier, me dit l'une d'entre eux.
- Nous ne sommes pas habitués à gérer ce genre de situation, surenchérit un autre.
- Peut-être mais je trouve que vous vous en tirez remarquablement bien. Les gens sont un peu à cran mais vous, vous conservez votre calme et tâchez de rester professionnel. C'est très important, à mon sens. Vous pouvez être fiers de vous.
- Oh… c'est gentil.
- Oui, ça fait plaisir à entendre, merci monsieur.
- Avec plaisir, voyons. Je me posais une question, cependant… La confiance étant installée, je me permets de tendre ma perche.
- Oui ?
- N'étiez vous pas plus nombreux tantôt ? Il me semblait avoir vu un autre serveur… ou bien une autre, je ne sais pas.
- Si en effet, c'était un nouveau que je n'avais jamais vu jusqu'ici.
- Un nouveau ?
- En effet, je ne le connais pas du tout, il nous a rejoint ce matin. Probablement parce que quelqu'un s'est désisté, je ne sais pas.
- Et donc, ce nouveau, où est-il ?
- Aucune idée, il était avec nous à l'étage de la promenade et s'est absenté pour aller aux toilettes en descendant… commence un des serveurs.
- Oui, c'était dès l'étage suivant, si je ne me trompe pas. complète le deuxième serveur masculin.
- Aux toilettes du 24ème étage, vous dites ? Merci, cela m'aide beaucoup. Vous n'auriez pas son nom ou quelque chose pour m'aider à le reconnaître ?
- Il disait s'appeler Harvey Matters, il est plutôt grand…
- Assez musclé, je dirais même, il avait dû mal à tenir dans son smoking.
- Merci, vous m'aidez beaucoup et par là même, vous aidez grandement M. McCormick !

Je mets alors fin à la discussion, m'éloignant pour réfléchir. Je suis presque sûr que le meurtrier est ce Harvey Matters mais je n'arrive pas à expliquer le sang sur la pierre. Ni tout ce sable. Ni cette tempête. La seule explication… n'est pas rationnelle. C'est n'importe quoi. Et pourtant, la pierre absorbant du sang est irrationnelle. Le dust en plein Chicago aussi, d'ailleurs. Et…
Je me retourne pour observer les grandes baies vitrées. Je tourne sur moi-même pour observer plusieurs directions. Quelque chose qui me dérangeait s'éclaire d'un coup : on dirait que les vents tournent autour du bâtiment ! Ça aussi c'est irrationnel.

Ch. 10

Chapitre 10 - Hypothèse irrationnelle

Une chose irrationnelle peut généralement s'expliquer rationnellement, deux choses irrationnelles constituent souvent un coup monté, trois choses irrationnelles… là, il faut commencer à ouvrir son esprit. C'est ce que me disait souvent mon oncle. Un homme quelque peu dérangé mais qui avait une sagesse particulière. Ses penchants pour les légendes et le mystère m'ont toujours paru à la fois risibles et perturbants.
Aujourd'hui, je suis prêt à suivre son conseil et à ouvrir mon esprit. Je jette un regard aux autres personnes dans la pièce, aucune ne pourrait comprendre. Sauf peut-être Neville Sinclair qui a construit toute une histoire tirée par les cheveux depuis le début de la soirée. J'en viens même à me dire qu'elle n'était peut-être pas si tirée par les cheveux que cela finalement…

Alors que je songe aux différents événements, quelque chose me saute aux yeux. Harvey Matters ! Je connais ce nom. Il s'agissait d'une des personnes ayant participé au concours d'architecture il y a dix ans ! Je savais bien que ce nom ne m'était pas inconnu. Sa présence ici est difficilement explicable mais je pense qu'il est responsable des deux morts. Pourquoi ? Je n'en suis pas encore certain mais c'était probablement pour se venger de cette supercherie qu'était le concours. Je n'ai pas de souvenir exacte de sa réalisation mais le passage dans la salle d'exposition tantôt a rafraîchi ma mémoire concernant ce patronyme.
Et le comment, alors ça… je dois reconnaître que j'ai du mal à le concevoir actuellement. Quelques idées irrationnelles s'accumulent mais je préfère les taire pour le moment.
Je crois… que j'ai une hypothèse. Une théorie, devrais-je dire. annoncé-je pour moi-même.
- Une théorie, vous dites ? Dites m'en plus, ça m'intéresse !” Sinclair qui m'avait rejoint lève ses yeux pétillants vers moi. Il semble vraiment croire à une sorte de complot magique, comme s'il percevait une autre réalité. Une réalité qu'il m'effraie d'imaginer mais qui pourrait pourtant se révéler plausible.

Plutôt que de répondre à l'acteur, je m'avance vers McCormick qui vient de se rendre compte qu'il lui manque des hommes de main. J'apprends par Neville qu'il a d'ailleurs envoyé, il y a quelques minutes, Jack en recherche de ceux-ci. Les expressions de son visage ne laisse aucun doute : le colonel est dépassé par les événements et les disparitions toutes plus étranges les unes que les autres. C'est bien la première fois que je le vois dans cet état.
Monsieur. Je pense que j'ai une théorie mais elle me semble particulièrement loufoque.
- Allons bon, Stolz, qu'est-ce que vous me chantez là ?
- Je vous demande de me faire confiance. Je pense que le meurtrier est Harvey Matters, un des architectes qui a candidaté pour le concours durant l'inauguration.
- Matters, vous dites ? Oui… ce nom me dit quelque chose. Mais pourquoi ? Et comment ?
- Pourquoi : parce qu'il voulait se venger. Et… je baisse alors la voix en espérant que Neville ne nous entende pas. c'est probablement parce qu'il a appris pour… vous savez…
- Stolz ! Ce sont des sornettes !
- M. McCormick, il n'est plus l'heure des faux-semblants, il est question de meurtres. Bref, quoiqu'il en soit, je pense que c'est lui et je pense savoir où il a été aperçu la dernière fois. J'ai une théorie, comme je vous le disais, farfelue à ce sujet mais que je dois vérifier. Dans tous les cas, il faut que personne d'autres ne sorte de cette pièce.
- Ernest, je ne comprends pas tout ce que vous dites mais faites donc ce que vous devez faire. De mon côté, je dois essayer d'éviter que la panique ne se déclenche une nouvelle fois. Où sont donc passé tous les membres de la sécurité ? Ils auraient déjà dû revenir.
- Vous pouvez compter sur les serveurs pour vous aider à maintenir le calme. Veillez bien à ce que personne ne sorte, c'est une question de vie ou de mort !
- Les serveurs ?!
- Oui, ils sont bien plus compétents qu'on ne pourrait le croire. Ils vous aideront !
Sur cette dernière phrase et sans attendre de réponse, je me précipite vers les escaliers. Le temps presse, ai-je l'impression.

Les éléments se mettent peu à peu en place dans ma tête : Matters, Blake, le sang, la pierre, le sable, Raymont, le sable… Ce sable n'est pas naturel. Cette tempête n'est pas naturelle. Les autochtones avaient peur de la pierre, du fait de la déplacer. Je n'aime pas le reconnaître mais parfois ces indigènes en savent plus que nous sur… les choses étonnantes. Un frisson me parcourt le dos.
Passant devant les serveurs, je m'arrête vers eux et leur déclare, directif : ”Ne laissez personne sortir de cette pièce où il pourrait arriver la même chose qu'à M. Raymont. Laissez sortir uniquement ceux qui ont l'aval de McCormick, c'est bien clair ?
- Euh… oui…
- Oui, c'est compris.
- Parfait, je sais que nous pouvons compter sur vous.
Suite à cela, je franchis le seuil, suivi de près par Neville qui me demande où nous allons aussi précipitamment.

Nous allons chercher M. Dempsey puis direction les toilettes du 24ème.
- Vous êtes sûrs qu'il faut remonter tous ces étages…? Cela fait beaucoup d'étages.
- Oui, Sinclair, j'en ai conscience.
- Et quelle est donc votre théorie ? Vous pouvez bien me le dire maintenant que nous sommes seuls.
- Pas maintenant. Je pourrais me tromper. Où aviez-vous dit que Dempsey avait été envoyé, déjà ?
- Au niveau de la machinerie, dans les étages inférieurs, si j'ai bien compris.
- Dépêchons-nous alors !
Alors que nous nous apprêtons à descendre, la voix de Miss Roselli nous interrompt d'un sec et indiscutable : ”Je vous accompagne, messieurs.
Penaud et ne sachant quoi répondre à cette apparition tant le stress monte en moi, j'acquiesce simplement. Pourquoi cette femme nous accompagne est un mystère et je préfère ne pas trop y réfléchir. J'espère simplement qu'elle n'est pas lié à tout cela…
C'est donc sur cette pensée glaçante que nous dévalons donc les marches jusqu'à atteindre le niveau de la presse.

Ch. 11

Chapitre 11 - Carnage

Ma surprise est totale quand je découvre Jack Dempsey, livide, adossé à un mur. Il nous regarde approcher, les yeux marqués de terreur.
C'est… c'est un vrai carnage là-dedans… Comment est-ce …? Com…
Son expression a quelque chose qui me terrifie. Le grand homme, baraqué et capable de détruire ses adversaires à mains nues semble complètement déstabilisé. Ce n'est pas normal et cette anormalité, qui s'ajoute aux autres, est effrayante. Le couloir se termine sur une porte fermée devant laquelle se trouve du sable éparpillé un peu partout. Je peux voir les traces laissées par le battant de porte lorsque celle-ci s'est ouverte.

Vicky Roselli brise le silence qui s'était installée en demandant simplement :
Que s'est-il passé, Dempsey ?
- Je… Je suis allé voir dans la presse pour… arrêter l'édition de demain et… Et quand je suis arrivé, quand j'ai ouvert la porte… c'était… un carnage. Un vrai carnage…
- Comment ça un carnage ?” insiste-t-elle.
Jack Dempsey lève les yeux sur elle et reste quelques instants sans répondre, comme si son regard constituait la réponse. Il s'humecte les lèvres puis reprend cependant la parole :
À l'intérieur de cette pièce, il y a au moins deux hommes qui ont été complètement… déchiquetés. Comme lacéré par milles couteaux. C'est humainement impossible, c'est humainement… abject. Il y a du sang partout, des traces partout… Ils sont… Je pense que c'étaient des agents de sécurité, je…
- Hey, qu'est-ce que vous faites ?!”, me crie Roselli alors que je m'approche de la porte.

Durant l'échange, je m'étais dirigé vers la porte ensablée. Je me retourne pour regarder celle qui m'a interpellé, elle a sorti son arme. Un petit pistolet qu'elle sert dans sa main fine. Heureusement pour moi, je note qu'elle ne s'en sert pas pour me braquer mais bien se rassurer. Une Roselli effrayée, c'est un spectacle rare. Et peu rassurant… Je lui réponds simplement :
Je dois vérifier quelque chose.
Suite à quoi, je pose la main sur la poignée, je la presse et la tire lentement vers moi pour l'ouvrir. Mes yeux sont fixés sur le sol, sur le sable et j'évite activement de laisser mon regard se perdre dans la pièce. Je n'ai pas besoin de m'infliger des images traumatisantes pour le reste de ma vie. Il me faut simplement… trouver…
Mes yeux passent lentement de l'encadrement de la porte au sol intérieur de la pièce. Il y a du sable partout, éparpillé çà et là. Je ne peux manquer d'observer des jerbes de sang… Je continue de forcer mon regard à balayer le plancher de la pièce, sans dévier. Et je finis par en trouver une. Puis deux. Puis quatre. Je persévère un mètre de plus. Du sable, du sang, de fines mais longues traces de lames. Comme au quatrième étage, comme celles qui ont lacéré le visage de Neville Sinclair.
Je frissonne du déplaisir de sentir mon instinct se confirmer. Je ferme les yeux, détourne la tête puis ferme la porte sans demander mon reste.

Qu'avez-vous vu ? me questionne la voix féminine mais directive de Miss Roselli.
-… Il y a de grandes traces de lames sur le sol. Je… ne pense pas qu'il s'agisse de l'oeuvre d'un homme.
- C'est n'importe quoi, laissez moi voir.
Je m'écarte alors de son chemin, heureux de m'éloigner de cette porte et de ce qu'elle referme de macabre.
La femme en tenue de soirée s'avance en faisant claquer ses talons sur le sol. Elle ouvre la porte sans hésiter, le canon de son arme pointé en avant. Je la regarde faire, sans rien dire. Après quelques secondes, elle referme la porte avant de lâcher :
C'est clairement un travail de sagouin, là-dedans. Il n'y a aucune classe.
Sa remarque me choque et me rappelle qui elle est derrière son apparence frêle et sa stature élégance : elle est fait partie d'une des plus grandes familles de mafia de Chicago. Elle a probablement dû voir de nombreux cadavres et a probablement contribué à transformer de vie à trépas certaines personnes. Cette pensée m'angoisse et me ramène au fait que nous avons peut-être à faire à l'assassin.
Il me faut bien une minute pour revenir à des éléments rationnels : elle n'était jamais seule à ma connaissance lors des meurtres et elle n'a pas du tout la carrure pour pouvoir étrangler un homme. Jack peut-être…? Mon regard coule sur lui mais je dois bien me rendre à l'évidence qu'il serait incapable de simuler un mal-être tel que celui qui l'habite en cet instant. Il semble avoir repris ses esprits mais je sais ce que j'ai vu. Ça ne se simule pas. De plus… j'ai déjà un suspect en tête.

Le silence qui s'éternisait est coupé par des sanglots qui proviennent des escaliers. Nous nous retournons tous et découvrons une Miss Melnitz en pleurs qui remontent difficilement les marches. Je l'entends renifler et parler pour elle-même. Elle répète : ”C'est ma faute… c'est ma faute…”.
L'acteur bienveillant s'élance pour aller la soutenir et lui demande de quoi elle veut parler.
C'est moi qui… M. Blake… Tous ces morts… C'est ma faute… Je suis tellement désolée, je… sa voix se casse dans un nouveau éclat de larmes.
- Qu'est-ce que vous voulez dire, par là ? questionne abruptement Roselli.
- Harvey… C'est moi qui ait fait entrer Harvey Matters…
La révélation est étonnante et il nous faut plusieurs minutes pour réussir à comprendre ce que Nora Melnitz se reproche. Elle nous explique, à grand renfort de larmes et de reniflements dérangeants, qu'elle a conçu un plan il y a six mois pour s'introduire dans cette tour, durant cette soirée précisément. Cela afin de profiter de l'agitation de la fête pour enquêter sur le trucage du concours. Elle nous explique que c'est elle qui a accepté l'idée de Matters de le faire passer pour un serveur afin qu'il puisse s'introduire et lui ouvrir quand personne n'y prêtera attention.
Sa culpabilité est palpable et je ne me vois pas l'enfoncer plus, je laisse donc la sollicitude de Sinclair et la sécheresse de Roselli s'occuper d'elle pour l'interrogatoire. Elle nous détaille son plan et ce qu'elle envisageait de trouver. Elle nous répète plusieurs fois qu'elle ne voulait pas et qu'elle se sent terriblement coupable. Je ne compatis que partiellement à son sort, en notant au passage l'amateurisme de sa démarche : en tant que journaliste, il ne faut jamais faire courir de risques à sa source ou à quiconque. Utiliser la vengeance comme moteur pour avoir accès à des informations est très discutable mais surtout très risqué.
Surtout quand c'est la personne vengeresse qui propose son plan.

Suite à ses aveux, je presse mes compagnons parce qu'il m'est difficile d'accepter l'idée de poursuivre l'enquête seul :
Je pense qu'il faudrait la ramener dans la salle avec les autres et se rendre rapidement jusqu'au 24ème étage.
- Pourquoi cet étage ? me questionne Roselli.
- Parce que c'est le dernier endroit où nous avons vu Matters. Il y a peut-être des preuves ou quelque chose, là-bas.
Mon explication semble lui suffire puisqu'elle acquiesce simplement. Je me tourne vers Jack Dempsey et lui demande, sans animosité aucune, son aide :
Pourriez-vous nous accompagner ? Je pense que vos talents pourraient être utilisés à bon escient.
Il me regarde puis finit par hocher de la tête en acceptant. Alors qu'une demi-heure plus tôt, sa présence m'aurait angoissé, étonnamment à présent, cela me rassure.

Nous raccompagnons donc Nora Melnitz du Herald Examiner au troisième étage, la laissons au sein des serveurs puis entamons la longue et éreintante ascension pour la deuxième et, je l'espère, dernière fois.

Ch. 12

Chapitre 12 - Théorie exposée

Nous entamons la montée des innombrables marches quand un détail me frappe : les lumières semblent se mettre à clignoter. Elles avaient déjà un peu fait cela tantôt mais là, le clignement s'est clairement accentué. J'en compte… environ trois par minute.
Visiblement je ne suis pas le seul à l'avoir remarqué car les personnes qui m'accompagnent l'évoquent dans leurs discussions. Je ne tends qu'une oreille légère à ce qu'ils disent, concentré sur ma montée éreintante et sur la théorie que mon esprit échafaude depuis une heure.
Près de tous ces morts se trouvait du sable. Du sable en quantité. Du sable qui n'aurait jamais dû se trouver ici. Sinclair a été clairement attaqué au visage par le sable. Il y avait des traces qui font penser à des lames mais c'est humainement impossible qu'il s'agisse de lames de couteaux. En revanche… et j'ai beaucoup de mal à l'accepter, il est connu que le sable peut griffer voire trancher et… il se pourrait que ce sable soit animé d'une façon ou d'une autre pour tuer. C'est irréel et pourtant qu'est-ce que ça pourrait être d'autres ? Je suppose…
Ma réflexion s'interrompt au septième étage lorsque le vent s'engouffre dans l'étage, transportant de la poussière. Beaucoup de poussière, non : de sable ! Je peux voir plusieurs fenêtres ouvertes. La panique s'empare de moi et je presse mes camarades :
Cachez-vous ! Là ! Ouvrez la porte, rentrez ! Rentrez !
Sans attendre et voyant la surprise des personnes qui m'entoure, j'ouvre la première porte qui donne sur une petite pièce. Celle-ci ne possède qu'une fenêtre fermée. Je vérifie deux fois qu'elle est bien fermée avant d'insister :
Venez, que diable, si vous tenez à la vie !

Ma réplique et mon urgence semblent convaincre la majorité et c'est uniquement parce que Miss Roselli intime à Jack de nous rejoindre que celui-ci daigne rentrer dans le bureau. Je referme sans attendre la porte et me colle dos à elle comme pour la maintenir.
Nous voilà dans la pénombre mais je les vois toutes et tous me dévisager. Du moins je sens leurs regards braqués sur moi. Un frisson d'inconfort me parcourt tant je me sens jugé.
J'ai conscience que tout cela peut paraître fou, commencé-je.
- Fou ? Mais non, voyons, nous avions du temps à perdre pour suivre vos lubies j'imagine ! me raille Jack.
- Je dois reconnaître que je suis perplexe, enchaîne Vicky Roselli.
- C'est à cause de votre théorie, M. Stolz, n'est-ce pas ?” me questionne judicieusement l'artiste.
Je sens son regard briller de curiosité et d'impatience. Il doit certainement jubiler intérieurement qu'un journaliste comme moi, à l'esprit cartésien et réfléchi, puisse tendre vers ses délires. Sentant que je n'y couperais pas, je soupire avant de me lancer :
Oui, M. Sinclair, c'est exactement cela. J'ai conscience que ce que je vais vous dire peut sembler absurde mais gardez à l'esprit, je vous prie, que rien dans cette affaire n'est rationnellement logique.
Je marque une petite pause. L'absence de réponse m'apprend que j'ai gagné leur attention. Ce qui, au vu de la situation, est déjà bien.

Pour tout vous dire, tous ces morts qui se retrouvent proche de tas de sable sont improbables, pas impossibles certes, improbables. Cependant, toute cette tempête de sable est irrationnelle. N'avons-nous jamais vu une telle tempête dans une ville comme Chicago ? Non : le dust reste dans les vastes zones arides, pas dans les villes aussi densément peuplées et construites et encore moins en plein centre ville où les buildings nous protègent de part leur architecture.
De plus, la tempête tourne autour de la tour, vous pourrez le voir si vous regardez à travers les fenêtres à chacun des points cardinaux. Je vous assure que c'est vrai et que la science l'interdit !
J'en reviens à nos victimes : un homme seul aurait pu tuer M. Blake mais certainement pas les deux hommes de sécurité et encore moins de cette façon, nous sommes d'accord, Mme Roselli ?

Le silence ne dure que quelques secondes avant qu'elle ne le rompe de sa voix claire :
En effet, ce pourrait être l’œuvre d'un tueur dégénéré mais le profil ne correspond pas. Ni… toutes ces traces et ce carnage.
- Merci. Et j'ai une explication à ce carnage… qui explique aussi pourquoi nous nous sommes réfugiés ici… Je… pense… que quelque chose ou quelqu'un manipule de façon irrationnelle le vent et utilise le sable et le vent pour tuer. C'est la seule explication logique !
- Ce sont des foutaises, tout ça ! balance Jack.
- Peut-être, peut-être… je vous demande simplement d'y faire attention. Même si vous n'y croyez pas…
- J'y crois ! Le vent m'a attaqué, regardez mon visage ! Enfin… quand nous aurons de la lumière, regardez mon visage ! Vous verrez ce que cette chose peut faire. C'est dangereux, vraiment ! me coupe l'acteur balafré.
- En effet… et donc disais-je, même si vous ne me croyez pas, tâchez au moins de le garder en tête comme… une explication irrationnelle potentielle.

Mon discours laisse un blanc. Même Jack semble y réfléchir. J'en profite pour tendre l'oreille. Derrière la porte, le vent qui s'était levé dans le couloir semble être retombé. J’entrouvre le battant et jette un regard à l'extérieur.
Je pense que nous pouvons y aller.
- Et moi je pense que ce sont des sornettes tout ça. Toute votre théorie c'est du flan pour cacher votre couardise. J'y vais, moi.
Les mots que m'assène Dempsey sont durs mais je me contente de serrer la mâchoire. J'aimerai qu'il ait raison… Si seulement il s'en rendait compte.

L'athlète sort et le reste de la troupe suit. Je sors le dernier, croisant le regard de la mafieuse. J'y lis une sorte de compréhension.
Nous reprenons l'ascension en silence. Je sens une certaine tension autour de moi et, étonnamment, cela me rassure. En jetant quelques regards aux personnes qui me précèdent, je vois qu'elles semblent réfléchir aux possibilités. À toutes les possibilités. Seul Dempsey avance la tête haute, bille en tête. Je ne peux que présumer qu'il se ment à lui-même pour éviter d'avoir à reconnaître l'effroyable vérité. Je ne peux le blâmer, c'est humain. Mais je pense qu'il a tort et je crains d'avoir raison.
Cette sensation est désagréable.

Les lumières clignotent toujours, ce qui s'ajoute à l'ambiance angoissante. Le vent aussi se fait entendre ainsi que le sable contre les vitres dès que nous passons un palier. Je ne me sens pas très rassuré et j'ai hâte d'arriver en haut pour avoir le fin mot de l'histoire.
Il reste encore plus d'une dizaine d'étages à gravir. Mes jambes commencent à chauffer de nouveau. Le rythme imposé par Jack est soutenu.
Alors que j'envisageais de protester sur le palier du neuvième étage, Jack s'arrête de lui-même en nous intimant le silence. Je m'approche en silence et tends l'oreille, intrigué.

Un bruit de porte qui se ferme se fait entendre non loin.

Il y a quelqu'un.

Ch. 13

Chapitre 13 - Ventilation ensablée

Baissant la voix, je chuchote :
Il semblerait qu'il y a quelqu'un ici. C'est probablement Matters mais ça n'expliquera pas tout ça. Qu'est-ce que vous souhaitez faire ?
- Il faut l'arrêter et tout de suite. J'y vais.
- Attendez ! Sans plan ? Comme ça ?
Le téméraire Jack prend le temps d'observer chacun de nous. Vicky Roselli, sortant un pistolet de sous sa robe, déclare simplement :
Je viens avec vous, Jack. Finissons-en.
Je soupire et regarde Sinclair avant de déclarer aux deux autres :
Je crains que ça n'arrête pas tout cela. Occupez-vous de Matters, je vais aller voir au 24ème tout de même… C'est difficile à dire mais mon instinct de journaliste me pousse à continuer.
- Je vous accompagne. Il me tarde de voir ce qu'il va encore se passer ! s'enthousiasme Neville.
- Bien, nous nous occuperons donc seuls de Matters.” termine Jack, de façon ferme.

J'acquiesce simplement puis reprend l'ascension après un dernier regard vers les deux qui restent. Je leur souhaite bonne chance à voix basse, les enjoins à rester prudent puis monte les marches.
Neville me suit et pendant trois étages nous veillons à ne pas faire de bruits.

Bien vite cependant, la nature de l'acteur reprend ses droits et il se remet à discuter, avançant que Matters et la tempête sont deux choses bien distinctes et que nous avons bien fait de continuer à enquêter. J'ai du mal à y croire et pourtant, au fond de moi, j'ai le sentiment qu'il n'a pas tort. Il s'agit néanmoins encore d'une de ses théories fantasmées dans laquelle il pourrait en tirer un film, j'essaye donc de ne pas lui montrer mon assentiment pour ne pas l'encourager. Dieu, faites qu'il ait tort.

Quelques étages de plus suffisent pour le faire taire, l'épreuve physique demandant toute son attention. Les marches semblent être de plus en plus difficiles à gravir. Mon cœur se met à battre jusque dans mes tempes et je sens la sueur de l'effort rendre ma chemise désagréablement humide.

Lors des derniers étages, la montée est, pour moi, un véritable calvaire. J'ai l'impression d'avancer de façon automatique. Une marche après l'autre. Une marche… après l'autre.
Sans tourner la tête, pour économiser mes forces, je jette un regard à Neville. Celui-ci semble être dans le même état que moi. J'entends sa respiration bruyante. Alors que j'ai vu plusieurs de ses films muets, jamais je n'aurais imaginé qu'il pouvait avoir une telle respiration d'efforts. Je doute que ce soit le genre de chose qui serait agréable à entendre durant un film parlant. Il a finalement assez bien choisi sa carrière dans le cinéma muet bien que je pense qu'à terme ce genre va complètement disparaître. Je me demande s'il en a conscience.

Enfin, le 23ème étage. L'étage de la radio. Je m'arrête un temps sous le vrai prétexte de reprendre mon souffle et observe le couloir qui s'ouvre devant nous.
“Bientôt” me dis-je. Bientôt je reprendrais ma place devant la radio.

Après quelques minutes, nous reprenons l'ascension et débouchons sur le 24ème palier. Neville ne peut s'empêcher de s'exprimer :
Ah ! Nous y voilà enfin !
- Chut ! lui imité-je
- Quoi donc ?
- Ce n'est pas normal, vous entendez…?
M. Sinclair se tait donc et tend l'oreille. Il en arrive à la même conclusion que moi : le vent nous parvient beaucoup trop bien. Nos regards se croisent, je vois de la peur dans le sien. Je suppose que le mien reflète la même chose. Cette curiosité me fait oublier que mes jambes brûlent.

Nous sortons de la cage d'escalier et observons le couloir. Le bruit semble parvenir du bureau de Blake dont la porte est ouverte. N'avions-nous pas fermé la fenêtre en partant ? Il me semblait que si. Qui l'aurait réouverte ? Jack ? Non, il est stupide mais à ce point. Miss Melnitz ? Non, elle n'aurait eu aucun intérêt à le faire. Matters…? C'est probable…
Nous nous dirigeons prudemment et notons que la fenêtre est effectivement ouverte. Neville propose donc un plan débile, digne d'un mauvais film :
Nous devrions prendre une étagère vide dans le bureau d'à côté, s'en servir comme bouclier et aller jusqu'à la fenêtre pour la refermer.
- Ou bien nous fermons simplement la porte.
Ma contre-proposition le fait réfléchir et je le vois réellement hésiter entre les deux. Je n'en reviens pas.
Fort heureusement, il finit par acquiescer et choisir mon option. Je présume que le fait que le vent semble gagner en intensité n'est pas étranger à sa prise de décision rapide. Nous refermons donc la porte.

Le fait que ce danger immédiat soit écarté nous permet de prendre conscience de l'état dans lequel l'étage est : le sol est en grande partie recouvert de sable. Il semble y avoir comme une trainée qui part de la porte que nous venons fermer jusqu'à une trappe de ventilation.
Cette révélation me glace le sang. J'avais du mal à respirer à cause de l'effort mais cette difficulté s'accentue. Si j'ai raison, que le sable a sa propre conscience et qu'il y en a dans les tuyaux de ventilations alors… alors ça signifie qu'il peut y avoir du sable partout ! Même au troisième étage !
Il nous faut couper prestement le mécanisme qui permet l'aération de l'immeuble !
- Et les toilettes ?
- Oui, allons inspecter rapidement les toilettes mais ensuite il faudra redescendre sans attendre !
L'adrénaline monte et je me sens pousser des ailes. Les douleurs dans mes pieds semblent s'être estompée comme par magie. Nous courrons jusqu'aux toilettes où Matters a dû récupérer du matériel mais, à mon grand dam, nous ne trouvons rien de concret.
Tant pis, le temps presse, nous en ressortons bien vite pour reprendre la cage d'escalier.

Nous dévalons les marches deux par deux, voire trois par trois.

Nous passons devant chaque étage sans nous arrêter ni regarder malgré les bruits qui nous entourent. Le clignotement des lampes semble s'être accéléré et j'ai l'impression d'entendre du bruit dans les murs. Du bruit de sable. Je suis terrifié et d'autant plus motivé à atteindre les sous-sols.
Arrivés au troisième, nous décidons de nous séparer : Neville allant prévenir les autres, moi continuant pour éteindre le mécanisme.

Arrivé au rez-de-chaussée, je suis stoppé net par la puissance des vents qui nous entoure. Qui m'entoure. À travers les grandes baies vitrées, je peux voir toute la virulence de la tempête et confirmer qu'elle semble tourner autour du bâtiment. Les innombrables grains de sable qui heurtent les fenêtres forment une musique angoissante.
Je me détache de ce spectacle fascinant et termine la descente. Les lumières semblent clignoter plus de six fois par minutes et laissent parfois place à l'obscurité pendant quelques secondes. Il me faut une lueur qui ne flanche pas. J'attrape une lampe à pétrole qui traîne au niveau de l'étage des machines et l'allume. La lumière rassurante de la flamme derrière sa petite paroi de verre me rassure.
J'ouvre alors la porte de l'endroit où je suis sensé arrêter la ventilation. C'est une pièce que je n'ai vu qu'une fois et je découvre une obscurité totale ainsi que des machines qui ne me disent absolument rien. Je suppose que les plombs de cet étage ont sauté et pénètre à l'intérieur de la machinerie, cherchant un plan ou une aide quelconque sur les murs.
Mes pieds font crisser du sable : il y en a ici aussi.
Je finis par trouver le levier à actionner mais il refuse de bouger. Je pose la lanterne et m'y prends à deux mains. L'engrenage semble bloqué à moins que ça ne soit le mécanisme qui est cassé. Je stresse mais cherche une solution, essayant de dégager le sable qui obstrue l'appareil.
Mais bouge, bordel !” m’exclamé-je à son encontre.

Soudain, je me raidis. Je cesse de bouger, un bruit terrifiant me parvenant.
Ce bruit semble parvenir du tuyau que je m'échine à débloquer.
Il me fait penser à un million de grains de sable propulsés.
Ça se rapproche !

Ch. 14

Il y est fait mention de torture dans ce chapitre. Aucun détail n'est donné.

Chapitre 14 - Cas de conscience

Je ne perds pas de temps en divagation, théories fumeuses ou autre et me précipite hors de la pièce. Derrière moi j'entends les bruits de grains qui se fracassent sur les tuyaux ainsi que ceux qui s'en expulsent. Je ne me retourne pas, ils sont juste derrière moi. La vision des corps tailladés dans l'étage des presses me donne des ailes.
Je referme la porte derrière moi puis gravit les marches sans attendre. Ma fatigue corporelle est au second rang et je parviens à atteindre le troisième étage, indemne.

Essoufflé, je pousse la porte, la referme puis me laisse tomber au sol, le temps de reprendre mon souffle. L'un des serveurs me dit quelque chose, probablement pour s'enquérir de mon état, mais je n'entends rien tant le sang bat dans mes tempes. Je lui fais un simple geste de la main puis ferme les yeux un instant, repensant à tout ce qu'il vient de se passer.
Je suis convaincu d'avoir échappé de peu à une mort horrible et rapide. Je n'en reviens pas. Je ne comprends pas.
Je dois reconnaître que la peur me prend au tripes.
Mes jambes me lancent, mon corps transpire. Je laisse un peu de temps à celui-ci pour se remettre. Mon souffle commence enfin à s'apaiser un peu. Le verre d'eau que me tend l'un des serveurs me fait du bien et je l'en remercie vaguement.

Je finis par me redresser et reprendre conscience de ce qui m'entoure.
La tension est plus que palpable, chaque visage est crispé, la peur se lit sur certains ainsi que la colère sur d'autres. Je suppose que c'est leur façon de gérer la peur car toute personne saine d'esprit devrait, en cet instant présent, dans cet immeuble, ressentir de la peur.
Parmi ces personnes, je reconnais mon ancien directeur, et probablement futur directeur, qui n'a plus grand chose du “colonel”. Il semble complètement dépassé et n'a, à mon avis, pas l'esprit assez agile pour accepter ce qu'il se passe. Il discute avec Neville. J'observe que Jack et Vicky sont revenus avec Matters; ils sont d'ailleurs accompagnés par le lieutenant qui, lui aussi bien que ça ne soit pas étonnant, semble dépassé par ce qu'il se passe. Ils sont tous les quatre dans la pièce que l'officier s'est attribué et visiblement Jack a entrepris un interrogatoire musclé. À moins que ce ne soit un réveil énergique à coup de gifles. Je me rapproche pour mieux voir mais suis intercepté par Sinclair quand je passe à sa proximité.
Ernest, je peux t'appeler Ernest, n'est-ce pas ? Je n'y réponds pas et il enchaîne directement. Bien, Ernest alors voilà. J'ai discuté avec M. Mc Cormick et je pense que l'on pourrait en apprendre plus sur… toute cette histoire en allant étudier sa bibliothèque. Savais-tu qu'il avait une bibliothèque personnelle ici ? C'est étonnant, non ? Quoiqu'il en soit, selon lui, il y aurait des documents à propos de ces pierres qui ont été envoyé à travers le monde donc ça vaudrait le coup qu'on aille voir. Tu m'as l'air bien fatigué, est-ce ça va ?
- J'ai juste besoin de reprendre mon souffle mais d'accord, bibliothèque, c'est noté. Je pense cependant que Matters est à l'origine de tout cela. Et qu'il pourrait nous en révéler beaucoup lui aussi.
- Honnêtement, j'en doute. Pour moi, les deux événements n'ont rien à voir. Lui, il voulait juste tuer les membres du conseil d'administration pour une vulgaire question de concours de bâtiment. C'est ridicule. Et il n'a certainement rien chez lui de… euhm… étrange ? Bizarre ? Ésotérique ! Je pense sincèrement que…
- J'entends ta théorie Neville, mais je vais quand même aller écouter ce qu'il a à dire.
- Soit, soit ! Mais c'est une perte de temps !

Suite à cet échange, quelque peu fatiguant pour moi, je laisse donc Neville et ses théories loufoques sur place et me dirige vers le bureau. Bien entendu que tout est lié à Matters. Je ne sais pas comment ni pourquoi mais lui seul peut nous renseigner.
Je pénètre dans la pièce. L'individu est attaché et assis sur une chaise. Jack lui met une gifle qui ressemble plus à un crochet mais ceci ne lui tire qu'un rire de dément entrecoupés de paroles incohérentes :
Je suis en possession du pouvoir divin ! Je contrôle les vents ! J'accomplis sa volonté ! J'ai été choisi par les vents, CHOISIS ! par le dieu vengeur !
Le lieutenant Jerry O'Sullivan reste dans un coin, proche de la porte, indécis quant à la direction à prendre. Je vois d'ailleurs son regard dévier régulièrement vers les vitres et le vent violent qui nous entoure.
Jack a beau exhorté l'homme à parler, celui-ci s'y refuse et déblatère son charabia de dégénéré. Je commence à craindre que cette piste ne nous apprenne rien de plus quand la voix de Vicky Roselli se fait entendre :
Trouvez moi une pince et je lui ferai dire tout ce qu'on veut savoir.

Sa déclaration laisse un blanc de plusieurs secondes.
Elle envisage clairement la torture, c'est inadmissible. Et en même temps… Mon regard dévie aussi sur l'extérieur et le sable tourbillonnant. En même temps… je n'ai aucune envie de mourir ici. Pourquoi ce crétin ne parle-t-il pas ?!
Merci Stolz.
Ce remerciement me scie sur place. Je reprends conscience de l'instant et note que j'ai le bras tendu. Je viens de donner ma petite pince à une mafieuse. Je laisse tomber ma main, blanchis de honte et d'horreur pour moi-même. Je savais que j'avais enterré des principes mais de là à devenir complice de… ça…
Ma vision se brouille et je bredouille une excuse en sortant de la pièce. Je m'en éloigne le plus possible, refusant d'être témoin de… cela.

Je note que le lieutenant aussi est sorti. La porte se referme sur l'athlète, la tueuse et le fou.

Parce que mes pensées s'orientent toutes vers la détestation de mon être, que j'ai du mal à justifier mon acte par mon simple instinct de survie, mais aussi parce que la piste que j'espérais suivre avec Matters n'est plus, je me redirige vers MC Cormick et Sinclair qui me regardent approcher. Je sens leurs regards sur moi et même s'ils n'ont rien vu de la scène, j'ai l'impression qu'ils lisent mon âme et me jugent. Je me racle la gorge et entame donc la conversation maladroitement, l'orientant à propos de la bibliothèque.
Je n'apprends pas grand chose d'intéressant mais cela permet de faire passer les quelques minutes que durent l'interrogatoire forcé tout en concentrant mon esprit sur autre chose.

Quand Jack et Vicky ressortent de la pièce, je m'éloigne pour aller rapidement chercher une coupe de champagne et la descends d'une traite avant de retourner vers eux pour les écouter débriefer avec Sinclair.
Il ne sait rien. Il confirme que les vents… sont animés et qu'il a été épargné parce qu'il est “l'élu” d'un dieu vengeur. Bref, ça ne nous apprend pas grand chose conclut Jack Dempsey.
- En effet et c'est dommage, confirme Miss Roselli. Voici votre pince, M. Stolz, d'ailleurs.
- Vous… pouvez la garder… bredouillé-je encore mal à l'aise.
- Comme vous voulez. Je vois un petit sourire sur le visage de cette femme dénuée d'empathie.
- Bon, on fait quoi maintenant ? questionne Jack, visiblement déstabilisé par le fait que j'avais raison à propos des vents qui semblent être animés d'une volonté propre.
- Ça tombe bien que vous posiez la question, Ernest et moi envisagions d'aller à la bibliothèque de M. Mc Cormick pour en découvrir plus sur… tout ça, intervient l'acteur de cinéma muet.
- Ah. Eh bien… à moins que vous n'ayez besoin de moi je vais rester là je pense, annonce l'athlète.
- Pour être honnête… je pense qu'avoir quelqu'un avec vos compétences pourrait nous être utile. Ne serait-ce que pour ouvrir ou fermer une porte qui refuserait de se laisser faire.
Jack Dempsey me regarde droit dans les yeux, je sens qu'il a bien moins d'aversion envers moi, qu'il est plus ouvert et bien plus perturbé qu'au début de la soirée maintenant qu'il est obligé de reconnaître que tout cela… existe bien. Après quelques secondes, il lâche simplement un :
Bien.

Je suppose donc que c'est la fameuse et étonnante équipe que nous formons à quatre qui va se devoir se retaper toute la montée. Car oui : cette fameuse bibliothèque est située au 24ème étage… Je me maudis de ne pas y avoir pensé plus tôt. J'ai quelques doutes sur ma capacité physique à y parvenir à gravir tous ces paliers.
L'ascenseur pourrait être une solution envisageable…

Ch. 15

Chapitre 15 - Le Serpent Arc-en-Ciel

… Non, ce serait stupide et dangereux vu qu'il est en contact direct avec l'extérieur. Cette conclusion m'atterre mais il faudra se contenter des escaliers. Je m'y dirige donc pour montrer l'exemple jusqu'à ce que je vois Jack prendre une bouteille de champagne. Mon gosier me paraît sec tout d'un coup alors que je viens de boire une coupe. Je me dis que ça pourrait me faire prendre quelques forces supplémentaires. Je sens ma gorge se serrer d'envie mais je finis par détourner le regard vers la porte. Je ne cédererai pas. Pas maintenant.

Nous entamons une nouvelle fois, la dernière espéré-je fortement, l'ascension. Il ne faut pas longtemps avant que mon corps ne crie son refus et m'assène mille signaux de douleurs. Les pieds, les genoux, les cuisses, les hanches, le bas du dos, le haut du dos aussi, se mettent à se rappeler à mon bon souvenir en me faisant grincer des dents.
Les étages sont absorbés un à un dans un silence de souffrance. Seul Jack Dempsey semble seulement commencer à montrer des petits signes de fatigue mais je suppose que c'est plus lié à l'alcool et aux émotions fortes qu'à l'effort physique.

Arrivés à l'étage de la radio, un drôle de bruit nous parvient de la salle d'enregistrement. Je suis exténué mais cet étage me revigore un peu. Après un regard échangé en silence, je vais voir. Après avoir pousser la porte, la superbe salle se révèle à moi et me rappelle tellement de souvenirs que mon cœur en palpiterait s'il le pouvait encore.
Le son qui a attiré notre attention provient du casque audio laissé sur le bureau. Je tire le fauteuil en cuir robuste et m'assieds avec un délice non feint avant d'attraper le périphérique et de le mettre sur mes oreilles.
J'écoute.

Il me faut jouer avec quelques potentiomètres pour arriver à en tirer quelque chose d'audible. Cependant, bien que ce soit audible, le contenu reste incompréhensible. Cela me fait penser à ce que j'ai entendu dans le combiné de téléphone tantôt mais en bien plus clair. C'est… cela ressemble à des phrases mais formées de mots difficilement prononçables et transcriptibles.
Je m'échine encore deux minutes sur les potentiomètres pour essayer d'obtenir mieux mais j'en viens à la conclusion que c'est tout ce que je parviendrais à avoir. C'est donc à regret que je quitte le fauteuil des plus confortables pour rejoindre les personnes qui m'attendent dans le couloir.
Je suis navré, je pensais tenir une piste mais il semblerait que ce soit juste les communications qui sont perturbées par la tempête. Continuons.

Nous parvenons à l'étage suivant et je les conduis sans hésiter à la bibliothèque, non sans avoir vérifié au préalable qu'aucune fenêtre ne s'était réouverte depuis. Le couloir ne semble pas avoir été plus ensablé que lors de mon dernier passage, c'est du moins ce que me disent mes yeux fatigués.
À l'instar de toutes les autres portes, celle de la bibliothèque n'est pas verrouillée. Nous y pénétrons et je suis surpris comme au premier jour par le nombre d'ouvrages que l'on peut dénicher ici. Ce nombre me paraît un peu démesuré. Je regarde mes comparses. Les lumières semblent clignoter de plus en plus rapidement. Comme si… quelque chose approchait. J'en compte dix par minutes.
Neville Sinclair nous explique ce que l'on doit trouver et, sans discuter, nous nous éparpillons dans la pièce pour améliorer nos chances de réussite.

Il nous faut une dizaine de minutes avant que Miss Roselli ne trouve le livre convoité. Neville s'en empare, fébrile, puis le compulse rapidement. Pour ma part, je me laisse tomber sur le sol pour reprendre mon souffle.
Lorsque l'acteur nous lit un passage sur une légende aborigène je n'écoute pas vraiment, le sang pulsant dans mes tempes. Ce sont les discussions des trois autres qui me ramènent à la réalité.
… orte quoi ! s'exclame Jack. Ça veut dire quoi cette histoire ? Qu'il y aurait des créatures d'un autre monde qui nous attaqueraient ?!
- Je ne fais que lire la légende mais… oui. Et il est fait mention de foudre pour les tenir à l'écart. Vous êtes d'accord avec mon interprétation ? questionne Neville.
- Étonnement, je suis en accord. déclare simplement la femme en robe de soirée noire.
- Et vous, Ernest ?
La question de Neville me prend au dépourvu. J'essaye de me repasser rapidement ce qui s'est dit et ce que j'en ai compris pour finalement demander une nouvelle lecture.

Pour les aborigènes, l’eau a été donné aux hommes par le Serpent Arc-en-Ciel.
Avant lui l’homme n’avait que le sable pour boire.
Une chose mauvaise, qu’ils nomment Nylatep et qui ressemble à une immense chauve souris, décida que l’homme devait souffrir. Elle envoya alors son peuple à travers le monde et ses monstres soulevèrent le sable et bouchèrent les sources.
Alors la terre redevint stérile.
Le Serpent Arc-en-Ciel rusa et promis à Nylatep une terre plus vaste et plus aride encore à condition qu’il ne revienne plus sur la terre des hommes. Cette terre c’était la lune qui brille sans chaleur.
Le Serpent Arc-en-Ciel pu couler à nouveau sur la terre et irriguer les sols… et la nuit dans le désert le peuple de la lune souffle sa haine d’avoir hérité d’un monde sans humain pour le craindre.
Lorsque la foudre s’abat c’est que le Serpent Arc-en-Ciel se montre pour faire respecter le pacte.
Et après l’orage il apparait aux hommes pour leur signaler que tout va bien.

Cela ne nous avance pas immédiatement et je ne suis pas certain de la pertinence de ce texte. Il est pourtant clairement relié au peuple dont les pierres ont été dérobées. Une telle coïncidence ne peut s'ignorer et je veux bien croire qu'il y ait un lien avec ce qui nous arrive. Après tout… pourquoi pas ? Ça n'est pas plus étrange que du sable qui s'anime de lui-même, là, nous avons au moins une explication irrationnelle.
Je regarde l'athlète, l'acteur et la mafieuse de ma position assise. Les trois semblent perplexes.

Qu'est-ce que vous en comprenez ? demande Vicky.
- La seule chose qui me semble pertinente c'est que la foudre, l'électricité, pourrait appeler ce fameux serpent et peut-être régler la situation, avancé-je.
- Sauf qu'il ne pleut pas et que l'immeuble est entouré de sable, pointe justement Neville.
- On pourrait déclencher le système anti-incendie et brancher quelque chose pour tout électriser.
Je regarde Jack, surpris par sa proposition. C'est à la fois dangereux et intelligent. Son esprit m'apparaît de moins en moins stupide. Utiliser l'eau du système d'incendie et une machine ou quelque chose… Il nous faudrait des câbles et…
Vicky Roselli craque une allumette et met le feu à une page qu'elle a préalablement déchiré. J'ouvre des yeux surpris et me redresse à moitié. Jack prend la suite et met le feu à un livre entier avant de l'approcher du plafond. Ils ne perdent pas de temps et ne semblent pas du tout réfléchir aux conséquences ! Nous n'avons même pas…
Je suis tiré de ma réflexion par une douche froide. Je termine de me relever et, levant le visage, sens les multiples petites gouttelettes d'eau tomber sur mon visage.
Il semblerait que le plan soit lancé.

Ch. 16

Chapitre 16 - Tout pour des câbles

Quinze par minutes à présent. Les clignotements continuent d'accélérer. J'ignore si les autres l'ont remarqué mais, personnellement, cela me tend.
Neville prend les rênes et nous interroge sur ce que l'on pourrait utiliser pour conduire l'électricité. L'antenne radio tout en haut du bâtiment pourrait être intéressante mais il faudrait être fou pour sortir par ce temps. De plus… il s'agit de l'antenne de la radio et je dois reconnaître que je suis soulagé que cette piste soit écartée. Abimer cette merveilleuse machine m'aurait brisé le cœur. En admettant que je survive à tout cela.
L'acteur nous presse et plusieurs idées, mauvaises, sont évoquées jusqu'à ce que l’athlète fasse mention des câbles de chantier qu'on trouvera très certainement dans les étages en travaux. Il dit en avoir aperçu au 22ème étage.
L'eau continue de nous asperger et après quelques secondes de réflexion quant à la dangerosité du projet nous optons pour ce plan. Je déteste ce plan.

Nous pressons le pas et descendons rapidement les marches jusqu'au 22ème étage.
En ouvrant la porte de la cage d'escalier nous observons un spectacle hypnotisant et mortel. L'étage est complètement ouvert sur des cloisons non terminées, il y a des débris partout et surtout, beaucoup de sable. Il semblerait que plusieurs fenêtres soient ouvertes au vu du vent que l'on peut sentir. Au centre de cet espace dégagé se tient… ou plutôt apparaît par intermittence une sorte de créature serpentine formée d'électricité. Instinctivement je pense au Serpent Arc-en-Ciel de la légende mais c'est impossible.
Je fais un pas en arrière. Il y a de l'eau partout dans cette pièce et de nombreuses étincelles. Pénétrer plus en avant serait du suicide, j'en suis convaincu. Mon regard revient inévitablement vers la manifestation de lumière , elle semble s'enrouler autour d'une chose invisible. Il y a du vent et j'ai comme l'impression d'entendre des hurlements sourds et faibles à la fois, comme étouffés par plusieurs portes. Une odeur de chair brûlée me parvient.
Essayons… un autre étage…”, murmuré-je en reculant encore dans l'escalier.

Les autres acquiescent en silence, aussi hypnotisés que moi et la porte se referme sur ce spectacle des plus perturbants.
Nous descendons à l'étage suivant et ouvrons la porte. Derrière celle-ci nous apparaît un nouvel étage en travaux semblable au précédent, avec du sable, des extincteurs automatiques qui l'aspergent et quelques fenêtres ouvertes. Le vent semble cependant moins virulent et il n'y a pas de manifestations électriques. En y repensant, je me dis d'ailleurs qu'il s'agissait simplement d'un jeu de mon cerveau : j'ai vu ce que je voulais voir, voilà tout.
La projection d'eau se met à faiblir puis s'arrête, ne laissant plus que quelques gouttes tomber sur le sol.
Ne reste que le vent ensablé qui semble… trainer ? dans la pièce.
Là-bas, il y a des câbles !” s'exclame Neville en désignant un ensemble de câbles de chantier encore enroulés. Le pack semble relativement lourd et je me dis qu'il me serait difficile de le ramener d'autant que, vu la situation, le vent, le sable, je pense qu'il faudrait courir afin de minimiser les risques et…
Je vais y aller.” déclare simplement Jack.

Je me retourne vers lui et note à son regard qu'il a très bien perçu les risques et dangers d'une telle opération. Il semble déterminé. Sans y réfléchir à deux fois, je me débarrasse de ma veste et la lui tend.
Je crains que ça ne soit dérisoire mais cela peut vous permettre de souffrir un peu moins du sable si jamais… si… Enfin, vous voyez.
- Merci.” répond-t-il simplement.
Vicky Roselli défait son châle et le lui tend.
Cela pourra protéger votre tête.
- Merci. Bon. Je vais y aller.
- Attendez ! s'exclame Neville, inquiété par les vents. Je… je pense que nous devrions prendre le temps d'aller chercher les lunettes de Ruth Copeland. Peut-être qu'elle acceptera de s'en défaire le temps de… enfin, ça vaut le coup d'essayer. Ne bougez pas, je reviens !

Sans que nous n'ayons le temps de protester l'acteur de cinéma muet s'élance, d'une démarche questionnable, dans les escaliers. D'un accord commun, nous choisissons de l'attendre et de refermer la porte. Après tout : nous n'aurons peut-être qu'une seule chance, ce serait stupide de ne pas se préparer convenablement. Même si… il faut le reconnaître, le temps nous manque déjà.
Utiliser l'équipement professionnel de l'aviatrice pourrait se révéler capital, j'en conviens. Mais tout semble s'accélérer. Dépêche toi, Neville. Dépêche toi !

Plusieurs minutes s'écoulent avant que ne nous parvienne de nouveau des bruits de pas dans l'escalier. Très vite suivis par des râles d’essoufflement. La voix féminine questionnant “Encore combien d'étage… reste-t-il…?” me surprend. Je ne m'attendais pas à quelqu'un d'autre que Neville Sinclair et pourtant, le voilà qui arrive à notre étage, le visage complètement rougi par l'effort, accompagné par Ruth Copeland elle-même. Celle-ci semble tenir un peu mieux l'effort mais montre des signes d'essoufflements malgré tout.
Je ne pensais pas que vous reviendriez à deux.
- Elle a… elle a… aaaaaah ! Elle…
- Disons plus simplement que j'ai insisté pour voir ce qui pouvait nécessiter mon équipement. J'y tiens beaucoup, voyez-vous.
- Une image sera probablement plus parlante.
Après avoir prononcé ces mots, je me déporte jusqu'au battant que j'ouvre pour révéler la pièce ensablée. Je vois la jeune femme s'avancer pour mieux observer le spectacle surréaliste qui s'offre à nous.
Il nous faut ces câbles là-bas, énonce Jack en les désignant du menton.
- Très bien mais pourquoi ?
- Miss Copeland, nous pouvons prendre le temps de tout vous expliquer et risquer de tous mourir ou bien vous vous empressez de nous prêter vos accessoires.
La voix tranchante et glaciale de Vicky Roselli laisse un court blanc.

Je crains que cela ne frustre et fasse repartir l'aviatrice professionnelle mais, fusillant du regard la femme en robe de soirée, elle se défait de sa paire de lunette d'aviation qu'elle tend à Jack bientôt.
Prenez-en soin.
Une bourrasque nous parvient, je referme la porte et patiente le temps que Jack Dempsey s'équipe. Dès qu'il est prêt, j'ouvre de nouveau en lui souhaitant sobrement “bonne chance”. Je le pense sincèrement.

Je pousse la porte et dégage le passage pour l’athlète qui s'élance sans attendre au milieu des grains de poussière qui volent. Il ne lui faut pas une minute pour s'emparer des câbles et les mettre autour de lui. J'ai des sueurs froides en le voyant faire, craignant qu'à tout moment quelque chose ne se passe.
Et ça ne rate pas : à peine a-t-il pris le chemin inverse que le vent semble gagner en intensité. Je vois Jack, un bras au dessus du visage, l'autre maintenant les câbles, modifier le chemin de sa course comme s'il cherchait à esquiver quelque chose. La densité de sable semble augmenter et rend plus difficile de suivre les mouvements de l'homme. C'est comme s'il se débattait, sans cesser de courir. Curieusement, j'ai l'impression de le voir enchaîné des mouvements de boxe. Ce n'est pourtant pas le moment !
Écarquillant les yeux, je vois de longues traces se former sur le sol près de Jack. Les mêmes que celles trouvées dans la salle des presses. J'ai envie de lui crier de faire attention, de se dépêcher mais ma gorge reste serrée par la terreur. Je le regarde simplement se rapprocher. Dépêche-toi…
Il y est presque !
Encore quelques mètres.
Le voilà qui passe à mes côtés. À peine ai-je le temps de soupirer de soulagement que je déchante bien vite : j'ai comme l'impression que le vent s'engouffre à sa suite. Je sens la porte vibrer et j'essaye de la refermer mais le vent gagne en intensité. Je sens que je suis en train de perdre cette bataille, mes jambes se ramollissent et les douleurs dans mon dos se refaisant sentir. Mon corps est fatigué et moulu contre ce vent puissant et implacable. Je m'entends crier en poussant de toutes mes forces. Je dois refermer cette putain de porte ! Je le dois !
Malgré ma volonté, une bourrasque violente met un terme à mes efforts et m'envoie la porte contre le nez. Je me sens projeté en arrière puis plaqué contre le mur en face, mon crâne se cognant contre celui-ci. Un grognement de douleur m'échappe mais il est éclipsé par les cris de souffrance et d'horreur qui résonnent autour de moi.

Ch. 17

Chapitre 17 - Nytaleps

Les cris proviennent de Neville, de Ruth et de Vicky que je découvre lacérés. Ça a recommencé. Neville qui était déjà bien amoché est couvert de sang, ses vêtements de luxe sont déchirés et s'imbibent de sang. Ruth, quand à elle, semble avoir les jambes tailladées et je la vois essayer de fuir le sable, manquant de tomber dans les escaliers. De son côté, la robe noire de Vicky Roselli est bien affligée et je peux voir de longues plaies le long de ses bras qui essayent d'écarter les innombrables grains de sables. J'ai des yeux écarquillés devant cette scène et je mets du temps avant de comprendre ce que l'on me dit :
Stolz ! La porte ! Venez m'aider ! Bordel mais bougez-vous !
Oui ! La porte ! Le vent continue de souffler sur nous, le sable de s'engouffrer et il nous faut agir vite. Je me redresse, chancelant, puis me précipite pour aider Dempsey à refermer la porte. Il semble avoir gagner du terrain. Je mets toutes mes forces dans cet effort, oubliant ma fatigue, craignant pour ma vie. Dans un sursaut d'adrénaline et à grand renforts de cris libérateurs, nous parvenons à gagner encore quelques centimètres. Nous continuons quand, tout à coup, le vent perd en intensité.
Déstabilisés par cette annulation de force soudaine, nous refermons le battant avec puissance et manquons de tomber.

La porte est fermée. Je reprends enfin mon souffle ainsi que conscience de mon corps et de la situation.
Mon cœur donne l'impression qu'il va quitter ma poitrine, mes jambes semblent en feu, mes bras tout autant. J'ai encore mal derrière la tête et j'ai les pieds en compote.
J'oublie cependant bien vite mes propres douleurs quand je découvre l'état des trois autres personnes dans le couloir. Neville, Ruth et Vicky semblent bien mal en point. Les deux dernières se font aider par Jack Dempsey et semblent tenir sur leurs jambes mais Neville… L'acteur est très mal en point, il a la respiration sifflante. Avec l'aide de Jack, je parviens à le remettre sur pied et passe un bras autour de sa taille pour le maintenir.
Laissez… laissez-moi ici…
- Allons, ne dîtes pas d'âneries, nous allons vous descendre avec nous. Pas de discussions !
À peine ai-je prononcé ces mots que je les regrette en mon fort intérieur. Descendre une vingtaine d'étage me semblait déjà compliqué mais avec une charge supplémentaire, ça me semble impossible… Je frissonne.
Fort heureusement, Jack me donne un coup de main et c'est à trois que nous descendons; les dames nous précédant.

La descente se fait infernale. À chaque marche, je ressens chacun de mes muscles qui me hurlent d'arrêter. Et à chaque marche je les ignore pour continuer jusqu'à la prochaine.
Échelon après échelon, nous parvenons à avancer.
Chaque étage nous coûte.
Seuls les râles et grognements de douleur accompagnent cette descente.

Durant les derniers étages, alors que j'ai pris un rythme de routine et cesser de penser à mon corps, je remercie sincèrement Jack pour son aide. Sans lui… je n'y serai jamais arrivé seul. Sans lui… nous serions certainement tous mort à l'heure qu'il est. Il accepte sans rien dire mes mots mais je sais que cela l'a touché.

Je pense qu'il nous faut près d'une demi-heure pour arriver jusqu'au quatrième étage. Et, alors que nous savourons le fait d'être presque arrivés, des cris en provenance de l'étage inférieur se font entendre. Je sens mes poils se hérisser et mon corps se raidir. Je ne me sens pas de… je n'ai plus de force…
Et pourtant, nous accélérons le pas pour atteindre le troisième étage et ses convives. La scène qui s'offre à nous est horriblement macabre : l'un des convives semble léviter à deux mètres du sol entourés de volutes de sable. L'instant suivant, il est complètement réduit en charpie par des milliers de grains. Des gerbes de sang éclaboussent le sol et les gens sur plusieurs mètres. J'ai même l'impression d'en sentir une goutte sur mon visage mais je refuse de toucher. Les cris se multiplie, je vois des personnes tourner de l'oeil, j'en vois d'autres courir paniquées, et d'autres encore se réfugier sous les tables.
M. McCormick, le grand organisateur de l'événement, est complètement dépassé et chancèle contre un mur.
Les volutes de sable continuent de flotter dans l'air, je les vois frotter le plafond et se déplacer. J'ai l'impression d'entre-apercevoir des formes indistinctes et cauchemardesques. Je ne peux m'ôter une question de la tête : serait-ce un de ces Nylatep…?

Avec l'aide de Jack, je dépose Neville contre un mur. Celui-ci nous murmure :
Descendez l'ascenseur, il faut… il faut accéder à la pierre. Vous protégez…
J'échange un regard avec Dempsey avant de déclarer :
Je m'en charge. Essayez de trouvez un moyen de raccorder ces câbles. Je reviens vite !
Je m'éloigne alors de la scène irréelle, des cris et du corps fracassé contre le sol pour rejoindre la cage d'escalier une nouvelle fois. À peine sorti, un vertige me prend. Je sens mon corps trembler. Ce n'est pourtant pas le moment !
Je me laisse quelques secondes afin que mon esprit se fasse à cette situation et que mon corps accepte de m'obéir une dernière fois. Je m'auto-motive puis me force à mettre un pied devant l'autre. Dès que c'est fait, je me force à accélérer le rythme. Et encore ! Et encore ! Nous n'avons plus le temps, je le sais.
Admirant les ressources que mon corps parvient à trouver après tout ce qu'il a déjà subi, je me mets à dévaler les marches en courant. En quelques minutes, j'arrive à l'étage de la machinerie et je retrouve le levier que j'avais actionné pour monter l'ascenseur mécanique tantôt. Je l'active pour l'abaisser d'un étage afin qu'il se retrouve au palier du 3ème. Cela devrait permettre de nous protéger partiellement du vent et du sable. Du moins, je l'espère.

Dès que c'est fait, je remets ma course en essayant de ne pas glisser sur le sable qui tapisse le sol. Un pas après l'autre, je me concentre sur ma progression. Trente clignotements par minutes.

Lorsque je remonte au troisième étage, je découvre que rien n'a changé : les gens crient toujours, se cachent, le corps est toujours déchiqueté au sol, inerte. Seul Jack semble s'être déplacé vers l'ascenseur et les volutes de sable semblent se diriger vers lui. Je réagis à contre-temps pour le prévenir mais c'est inutile : une autre personne se fait agripper alors qu'elle courait prise de panique. Je la vois léviter à son tour mais je ferme les yeux quand je comprends qu'un sort similaire à la précédente victime va lui arriver.
Le bruit de ces millions de grains qui traversent la chair est indescriptible et manque de me faire vomir.
J'ouvre de nouveau les yeux. Voyant ce qui sort de l'ascenseur, je hurle à temps :
Jack ! Faîtes attention !
Je le vois se retourner brièvement avant de reprendre sa course à travers la salle. Il a certainement perçu la même chose que moi : deux formes indistinctes et entourées de sable viennent de pénétrer à l’intérieur de la salle, s'engouffrant depuis la cage de l'ascenseur. De nouveau, je vois l'athlète exécuter des mouvements de boxe comme pour esquiver ces monstres.
Je suis paralysé sur place. Je suis simplement du regard sa trajectoire pour voir où il se dirige.
Mes yeux tombent alors sur le câble. Câble qui est relié à la pierre étrange qui fait la jonction entre l'ascenseur et l'étage. Ce câble court à travers la salle. Et se termine dans le mur, près d'un homme aussi ébouriffé qu'effrayé. Celui-ci semble aussi choqué que moi. J'essaye de comprendre qui il est, ce qu'il fait ici et pourquoi le câble est dans le mur.
Jack continue de courir mais c'est comme s'il était au ralenti. Je vois chacun de ses mouvements se décomposer seconde après seconde. Je le vois se rapprocher du mur, esquiver le sable, courir, courir, courir… Sa main se tend alors vers une sorte d'interrupteur. Tout est si lent. Si précis… Je vois son doigt l'effleurer puis pousser dessus pour l'enclencher.

Puis c'est le noir complet.

Épilogue

Épilogue

J'entends du bruit autour de moi.
Des bruits indistincts.
Des bruits qui se précisent.
Ils sont nombreux, ce sont des voix.
Il y a des gens qui parlent autour de moi.
Je sens une présence non loin. On me tapote l'épaule. Maintenant le visage.
Aïe.
Aïe ! Je rouvre les yeux alors que ma joue me brûle.

Je découvre l'un des serveurs qui me scrute. Il semble soulagé. Il me parle. Je crois.
Ses mots sont étouffés. Il répète et je comprends mieux. Je crois qu'il m'appelle.
…ieur ? Monsieur ?! Vous allez bien ?
- Je… oui… Ça va. Il s'est passé quoi ? Les monstres ?!
- J'ignore de quoi vous parlez mais vous vous êtes évanouis. Tout va bien, vous êtes au troisième étage de la Chicago Tower. La tempête est retombée, vous allez pouvoir rentrer chez vous. Pouvez-vous marcher ? Attendez, je vais vous aider à vous relever.
Je me laisse faire et prends appui sur le solide gaillard en livrée blanche pour me redresser. Mes jambes sont faibles mais j'arrive à rester debout et à faire quelques pas.
Est-ce que ça va aller ? Je dois aller voir d'autres personnes.
- Oui… Oui, ça ira, merci mon brave.

Je regarde l'homme repartir et prends conscience mon environnement. Nous sommes toujours dans la tour, il y a du sable partout sur le sol. Je n'ai donc pas rêvé. Je découvre de nombreuses personnes au sol et certains cadavres… Je cherche des yeux mes compagnons et je vois Jack qui aide Vicky Roselli à se redresser. Neville semble toujours mal en point mais des personnes s'occupent de lui. J'entends qu'il est fait mention d'ambulance, je suppose donc que tout va rentrer dans l'ordre.
Je porte mon regard sur l'extérieur et… c'est avec soulagement que je découvre la ville à travers les vitres. L'aurore semble poindre et il n'y a plus de sable qui fracasse les fenêtres. L'absence de ce son après tant d'heures à l'entendre me fait très bizarre.
La voix de M. McCormick se fait entendre à de nombreuses reprises, je le vois reprendre en main la situation, donner des ordres et les gens s'affèrer. Le lieutenant O'Sullivan semble hagard et reste assis dans un coin, le regard perdu. Les quelques policiers qui restent suivent donc les directives du “colonel”.

Celui-ci s'avance d'ailleurs vers moi, je tâche de me redresser et d'époussietter vainement ma chemise et mon pantalon.
Vous avez fichtrement bien repris le contrôle et géré la situation, M. McCormick.
- Allons, ne soyez pas modeste, Ernest. Nous savons tous quel rôle vous avez jouer là-dedans, vous, M. Dempsey, Miss Roselli et M. Sinclair. Je n'ai pas tout compris et je ne souhaite aucun détail à ce propos, est-ce bien clair ? Cette soirée doit être rapidement oubliée et il va falloir étouffer l'affaire. Pour cela, le mieux serait de revoir notre grille de programme radiophonique, accepteriez-vous d'en prendre la direction et d'animer de nouveau une émission quotidienne ?
- Pour quelle tranche horaire ?
- Celle que vous désirez.
- Alors, c'est entendu et ce sera un honneur, monsieur.
- Bien, bien. Je vous enjoins à aller vous reposer, vous commencerez dans une semaine, le temps que tout soit rétabli et que la tempête médiatique qui va suivre soit passée. Et dans une semaine, je vous veux sur le pont, en première ligne !
- C'est entendu, M. McCormick. Merci encore.
Suite à cet échange, mon nouveau directeur s'éloigne et je jubile d'avoir pu obtenir plus que ce que je ne désirais. En plus de mon émission, c'est moi qui vais diriger le programme entier ! C'est inespéré.

Cette promotion n'effacera nullement tout ce que j'aurai vécu cette fameuse nuit, cependant elle m'aura permit de reprendre en main le cours de ma vie. Tout le reste… tout ce qu'il s'est passé, je vais l'oublier. Et vite. J'ai beau avoir l'esprit ouvert, c'est impossible que j'arrive à accepter ce que j'ai vu. Une partie est déjà floue et je préfère ne pas y réfléchir, ne pas rafraîchir ces souvenirs.

Je n'ai eu aucune nouvelle de Jack Dempsey et Vicky Roselli depuis ces dernières semaines. Ça ne m'étonne pas et ça me convient très bien.
En revanche, j'ai été harcelé par Neville dès qu'il est sorti de sa convalescence. Il avait des idées plein la tête pour un film sur cette fameuse soirée mais j'ai refusé de lui répondre. J'ai refusé de repenser à tout cela. Il aura fallu un bon mois avant qu'il n'arrête. Je sais juste qu'il a tenté de monter un film avec un certain réalisateur nommé Hitchcock mais je ne crois pas que cela ait fonctionné. Je suis soulagé qu'il soit sorti de ma vie.
Je suis soulagé que toute cette nuit soit sorti de ma tête.

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jdr/cr/elanndelh/cthulhu_2.txt · Dernière modification : 2023/10/04 21:14 de elanndelh