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Les lettres de sang

Ce récit divulgâche le scénario “Les lettres de sang” du jeu de rôles L'Appel de Cthulhu.

Ce récit survient après celui du premier scénario, le lire peut vous aider à mieux apprécier celui-ci mais il n'est pas forcément nécessaire. Les deux scénarios sont indépendants mais partagés par le même personnage.

Contexte

Système et univers : L'Appel de Cthulhu classique 1920

MJ : Naeleh
Personnage interprété : Stephen F. Forson, professeur, 57 ans.
Accompagné par :
- Marco W. Forson, détective privé, frère de Stephen, 54 ans
- Joseph Baker, membre du clergé, 25 ans
- Moïses Kimbrew, antiquaire, 36 ans

Date : 11 Novembre 2022
Durée de jeu : 5h

Prologue

Prologue

Le livre que j'ai sorti à propos de mon expérience “Corbitt” n'a finalement pas du tout eu le succès escompté. Pire ! j'y ai laissé de nombreuses plumes.

Mais revenons à la base, il y a trois ans, j'ai vécu une expérience très singulière. J'avais été convié à enquêter sur une maison pour savoir si elle était louable de nouveau ou non. J'étais accompagné par une médecine, un antiquaire et un journaliste dans cette affaire. L'homme qui nous avait engagé avait de l'argent (et de l'alcool).
Dès le premier jour, dans cette fameuse maison, j'avais senti que quelque chose n'était pas normal, qu'il y avait quelque chose ou quelqu'un de dangereux. Après quelques jours d'enquête, il s'est avéré que l'ancien propriétaire était responsable de tout ça. D'une façon… pas du tout rationnelle. Magique, ai-je envie de dire mais “occulte” est le terme qui convient. En effet, il avait pratiqué un rituel complexe de magie noire qui l'avait rendu en quelque sorte immortel tout en lui conférant des pouvoirs étranges comme le fait de pouvoir déplacer des objets ou de faire apparaître du sang de nulle part.
Ce fut une expérience très difficile pour moi et seule Abigail crût en moi et parvint à me faire prendre conscience d'une chose importante : il était de mon destin de résoudre ce mystère et de purifier cette maison. Je n'avais pas passé toutes ces années à dénicher des textes et vieilles légendes mystérieuses pour rien, tout cela était destiné à me donner les outils pour résoudre cette situation. Et je l'ai fait ! Avec l'aide de mes compagnons, certes, avec beaucoup d'appréhensions et d'angoisses, certes aussi, mais je l'ai fait. Nous avons détruit cette… créature et la maison est redevenue plus… normale, si je puis dire.
J'en fut très satisfait sur le moment. J'avais été payé pour ma tâche et surtout, j'avais enfin eu la preuve que toutes les histoires occultes que j'avais étudié pendant des années avaient un fond de vérité. J'ai donc naturellement pensé qu'il fallait en faire un livre et raconter toute mon histoire, étayé de preuves et d'astuces importantes. J'étais certain de devenir riche et célèbre pour avoir lever le voile sur un tel mystère. C'était quand même quelque chose !

Et pourtant…

À mesure que je rédigeais et que je récoltais des avis de mes collègues, j'ai senti les difficultés s'accumuler. D'abord ils crûrent à une blague. Puis ils comprirent et cherchèrent à me dissuader de continuer mon écriture. J'avais pourtant toutes les preuves, j'avais tout vécu ! Ils me firent comprendre que cet ouvrage risquait de nuire à ma carrière, quelle bande de jaloux !

Et pourtant…

Ils avaient raison. J'ai passé tellement d'heures sur cet ouvrage, à faire des recherches supplémentaires avec l'aide d'Abigail que j'ai dû annuler quelques cours. Bon… peut-être plus que quelques-uns car j'avais parfois perdu la notion du temps. Cela fût mal perçu et faillit me coûter mon poste à l'université de Boston.
Lorsqu'il fallût faire éditer mon livre, je pensais que ce serait facile avec un sujet si original, criant de vérité et novateur. Il s'est pourtant avéré que personne ne voulait éditer un tel ouvrage… J'ai bataillé pendant des semaines pour ne tirer qu'une première édition à une centaine d'ouvrage chez un éditeur que je ne connaissais même pas avant mes recherches tant il est risible dans le monde de l'édition. Seulement une centaine de livres. Je n'ai d'ailleurs fait qu'une séance de dédicace dans la boutique d'Abigail où il n'y eut que… deux personnes, je crois. Risible.
C'est aussi à ce moment-ci que j'ai définitivement perdu mon poste et une grande partie de ma crédibilité auprès de mes pairs. Le doyen et plusieurs universitaires lurent mon livre (probablement pas jusqu'à la fin) et décidèrent qu'il était temps pour moi de “m'orienter vers un autre poste plus en adéquation avec mes recherches”. Une jolie formule pour me demander de prendre la porte.
La plupart de mes contacts cessèrent de me répondre, mes étudiants choisirent d'autres maîtres de thèse, bref… j'ai été mis au rebut.

Après quelques mois à brouiller du noir, j'ai finalement réussi à obtenir un poste de quelques heures par semaine au Miskatonic, la prestigieuse université d'Arkham, dans le but de poursuivre mes recherches et donner des cours à propos de l'évolution des croyances occultes au cours de l'Histoire. C'est un travail qui me convenait tout à fait. Qui me convient toujours d'ailleurs, puisque je l’exerce encore, mais qui n'est pas suffisant pour vivre. J'ai donc dû ouvrir ma propre échoppe ésotérique dans laquelle je chine de vieux ouvrages et objets et que je revends après m'être assuré qu'ils n'apportent rien de mauvais au monde. Après tout : ma destinée est de protéger le monde du mal. D'un autre Corbitt. Car oui, je suis certain qu'il y en a d'autres. Plein d'autres et probablement des pires ! C'est ce que m'ont appris mes mois de recherche et d'étude.
S'il y a bien une chose certaine, c'est que je n'ai fait que voir la surface du mal.

Et c'est après des mois, des années, à supporter les quolibets de mes collègues, le mépris de mes étudiants et de mes pairs, à éplucher jour et nuit des ouvrages aussi peu édités que le mien qu'enfin mon instant de vérité se matérialise en une lettre du doyen de Miskatonic qui m'est spécifiquement adressée. Enfin !
Nous sommes le 30 Septembre 1923.

Ch. 1

Chapitre 1 - Accueil en avance

1er Octobre 1923
Nous sommes le lendemain de cette fameuse lettre du doyen de Miskatonic, Bryce Fallon. Je dois reconnaître qu'elle m'a surpris. Très agréablement surpris. La lettre précédente que j'avais reçu de sa part était plutôt chargée de remontrances déplacées à l'égard de mon attitude envers mes collègues. Ce n'est qu'ineptie quand on sait comment tous me regardent et me traitent avec supériorité ici. Quoiqu'il en soit, cette lettre-ci me conviait, une nouvelle fois, dans son bureau mais avec un ton clairement… différent. Je n'ai distingué aucun signe d'agacement, même subtil, mais plutôt des traces de… requête. Cela m'a intrigué. Le fait qu'elle m'informe de leur transmettre le contact de mon frère en plus m'a convaincu que quelque chose d'étrange se passait. Or, je suis l'homme des situations étranges.
Quant à lui, M. Fallon est un homme d'une cinquantaine d'années, aux cheveux blancs coupés courts, aux lunettes rondes et à la droiture exemplaire. Au sein de l'université, et du monde universitaire américain, il est indéniablement reconnu comme quelqu'un de droit et d'intègre. À son crédit, c'est d'ailleurs lui qui m'a offert l'opportunité de travailler de nouveau en université et sur des sujets qui m'intéressent. Il ne serait pas impossible qu'il ait ouvert ce poste sur l'étude du mysticisme et de l'occulte à travers l'Histoire, sur mesure pour moi. Je suppose qu'il y avait de la demande mais… tout de même.

Quoiqu'il en soit, le rendez-vous était à 9h et je suis légèrement en retard.
Les aiguilles de ma montre indiquent 9h45 quand j'arrive dans le bureau de sa secrétaire. Honnêtement, les bus et les transports en règle générale sont fichtrement capricieux parfois. Je n'y suis pour rien, à l'exception, peut-être, d'un petit retard pris lorsque j'ai tâché malgré moi ma tenue du jour avec du café. Et peut-être aussi quand j'ai pris le mauvais bus lors d'une correspondance… Ils se ressemblent tous, que diable !

Mary Pickner (Domaine publique)

Mademoiselle Pickner a un petit sourire en me voyant. Pourquoi donc et que signifie-t-il ? l'instant suivant, il a disparu. Je n'ai pourtant pas rêvé, si ? Qu'est-ce qu'ils ont tous à se moquer de moi, franchement ?! S'ils savaient… Que diable, s'ils savaient que je ne fais que dire la vérité, ils cesseraient de me ridiculiser ! C'est agaçant à la fin.
Il est cependant aussi possible que ce ne soit qu'un jeu d'ombre sur son visage et je ne sois un peu trop paranoïaque… Ça m'arrive parfois. Bon. À raison, certes. Mais admettons.
Bonjour mademoiselle Pickner, j'ai rendez-vous avec le doyen !
- Bonjour professeur Forson. En effet, vous avez rendez-vous avec le doyen Fallon, il ne devrait pas tarder. Vous pouvez vous installer ici en attendant.
- Excusez-moi, qu'avez-vous dit ? En attendant ? Il est 9h passées pourtant, je suis certain qu'il m'attend.
- Professeur Forson, votre rendez-vous est indiqué pour 10h.

10h ? Je regarde ma montre : 9h47. 10h…? Je suis pourtant certain d'avoir lu “9h” écrit noir sur blanc dans la missive. Qu'est-ce que cela signifie ? Je suis perplexe et je sors la lettre de ma besace pour la tendre à la secrétaire.
Miss Pickner, vous voyez bien que c'est écrit 9h, le 1er Octobre de cette année. Vous savez pourtant lire, il me semble.
- Tout à fait, professeur. - Je sens que son ton devient plus sec. - Mais votre réputation vous précède et c'est pourquoi nous avons donné un horaire avancé d'une heure afin que vous puissiez être à l'heure pour une fois.
- Pour une fois ? explosé-je. Mais enfin, c'est ridicule ! Certes, la dernière fois, j'avais un peu de retard mais ce…
- Il s'agit d'une heure et vingt minutes, me coupe-t-elle avec insolence.
- Je vous ai déjà dit qu'il y avait eu un problème avec le conducteur de bus !
- Oui, oui. Toujours de bonnes excuses. Toujours est-il qu'aujourd'hui, vous êtes à l'heure. En avance même, n'est-ce pas fantastique ?
- Mais pas du tout ! Je déteste attendre !
- Ainsi, vous savez ce que cela fait de vous attendre.
- Non mais je ne vous permets pas de…!!!
- Stephen ? Que se passe-t-il donc ?

La voix de mon frère, Marco W. Forson, me coupe dans mon élan. J'avais presque oublié que je l'avais convié à nous rejoindre dans cette enquête.
Marco a 54 ans, c'est un homme imberbe mais toujours vêtu de son imperméable sombre et de son chapeau et ce, même lorsqu'il ne pleut pas. Mon avis est que c'est pour marquer les esprits et rappeler à tout le monde qu'il est détective privé. C'est d'ailleurs pour sa profession que le doyen m'a demandé de le convier. Il semblerait que ses talents soient requis ici mais je n'en sais pas plus pour le moment.

Je reviens donc à mon indignation.
Ah ! Marco ! Toi aussi on t'a induit en erreur et donné une mauvaise heure ? Figure toi que le rendez-vous était à 10h !
- Je sais bien. C'est l'heure que l'on m'a indiqué, je suis simplement en avance.
- Mais… enfin ! C'est incroyable ça ! Je suis donc le seul que l'on a induit en erreur pour un malheur retard ?
- Hum… Stephen. Tu es quand même souvent en retard, tu ne peux pas leur en vouloir pour ça. Et puis ça va bientôt être l'heure de toute façon.
- Moi ? Souvent ? Mais je…
Je m'interromps en voyant un homme bien habillé, coiffé de près et aux petites lunettes faire son apparition dans le bureau.
- Bonjour messieurs, madame. Je me prénomme Joseph Baker et j'ai rendez-vous avec le doyen Fallon.
- Bonjour monsieur… père ? Baker. Le doyen ne devrait pas tarder, vous pouvez patienter avec ces messieurs qui ont eux aussi rendez-vous avec M. Fallon.

Pendant que Miss Pickner accueille le nouveau venu, je le dévisage de pied en cap. Il m'a l'air bien jeune, à peine vingt ans. Ou peut-être trente. L'hésitation de la secrétaire confirme mes doutes : il semblerait que nous avons affaire à un prêtre ou en tout cas, à quelqu'un qui suit les préceptes de l'Église.
C'est assez étonnant de faire appel à un homme de foi dans un lieu de sciences, ne trouvez-vous pas ? lancé-je, légèrement dédaigneux.
- Peut-être bien mais avant d'être homme de Dieu, j'étais étudiant ici même. J'étudiais l'Histoire, notamment avec le professeur Willonson.
- Ah ! Vous n'avez pas dû apprendre grand chose avec lui, je présume.
- Mais enfin, si. Pourquoi dites-vous cela ?
- Pour rien, mon garçon. Quoiqu'il en soit, je comprends que vous ayez choisi de changer de voie.
- Mais cela n'a rien à voir avec le professeur Willonson, voyons.
- Oui, oui, certainement.
L'ancien élève n'a pas le temps d'argumenter qu'un nouvel homme franchit le seuil de la porte. Et, à mon grand dam, il ne s'agit toujours pas du doyen. Il est 9h57 pourtant !

Le nouvel arrivant, d'une bonne trentaine d'année, voire quarantaine, est accueilli avec chaleur par la secrétaire. Il n'est pourtant certainement pas connu. Le fait qu'il se présente comme “ami du doyen Fallon” explique tout…
Lorsque mon frère l'interroge sur sa profession, celui-ci répond qu'il est antiquaire. Tiens donc. Son nom, Moïses Kimbrew, me revient et c'est effectivement un nom que j'ai déjà lu ou entendu lorsque je fais mes recherches. Je ne crois pas qu'il ait beaucoup d'influence ni une grande collection, il est certain que je serai certainement déjà allé le voir sinon.
Ses habits et son chapeau melon laissent penser qu'il vit bien mieux que moi de la vente de ses œuvres. Très certainement parce qu'il s'abaisse à vendre tout et n'importe quelle vieillerie à n'importe quel consumériste toqué. Ces antiquaires m'horripilent et n'ont souvent rien d'intéressant à offrir. Je me demande pourquoi le doyen a fait appel à lui alors qu'il m'avait déjà moi. Peut-être simplement parce qu'ils sont amis. Peut-être.
L'homme d'apparence quelconque me salue et je lui serre la main, par politesse. Plutôt que de reconnaître ma personne et mon travail, il fait simplement une remarque sur le fait que je partage le même patronyme que Marco. Il m'est difficile de savoir s'il s'agit d'une bonne chose parce que ça signifie que je ne subirais pas les moqueries sempiternelles de mes pairs ou une mauvaise chose que je sois aussi peu connu dans le milieu.
Ma réflexion s'interrompt avant sa conclusion quand un homme relativement grand et se tenant bien droit entre dans la pièce à son tour.

Messieurs, si vous voulez bien me suivre dans mon bureau. Je suis le doyen Bryce Fallon. Je suis heureux de voir que vous êtes tous arrivés, l'heure presse.
Il est 10h pile.

Ch. 2

Chapitre 2 - Entretien avec le doyen

Doyen Bryce Fallon (CC BY-SA 3.0)

Je suis certain que la pique de l'ancien professeur de mathématiques concernant l'heure s'adressait spécifiquement à moi. J'ai à peine le temps de m'insurger que la main de Marco s'appose sur mon épaule. Je le regarde et laisse retomber ma colère.
Nous suivons donc M. Fallon dans son bureau.
Sans m'encombrer de plus de protocole, je m'assieds sur l'une des chaises disponibles puis patiente le temps que la porte se referme sur nous et que le doyen daigne prendre la parole.
Tout d'abord, je remercie chacun d'entre vous d'être venu. J'ai conscience que le délai était court mais il s'agit ici d'une affaire urgente et… je pense que vous êtes les personnes les plus à même d'aider l'université. Avant de commencer, je vous demande de garder tout ce qui se dira dans ce bureau secret, est-ce envisageable ? La réputation de l'université est en jeu.
Après quelques secondes à enregistrer ses mots puis à peser le pour et le contre, j'acquiesce simplement.

Je suppose que les autres hommes ont fait de même puisque l'homme aux cheveux blancs reprend :
Sans tergiverser plus longtemps, voici les faits. Le premier est que nous avons retrouvé mort le professeur Charles Leiter, dans son bureau. - Allons bon, voici que ce vieil imbécile a cassé sa pipe. Est-ce étonnant ? Est-ce que cela m'attriste ? J'en doute. - C'est son assistante et le gardien qui l'ont trouvé hier matin. Ce qui est étrange c'est qu'il était seul dans son bureau et que celui-ci était fermé à clé de l'intérieur.
- C'est effectivement atypique comme situation, déclare Marco. Est-ce qu'il y aurait d'autres accès, une fenêtre, quelque chose ?
- Effectivement, il y a une fenêtre mais elle donne sur la cour et le bureau est situé au premier étage. Il aurait donc fallu une échelle pour l'atteindre et ceci ne serait pas passer inaperçu. Sans compter que la fenêtre ne semble pas avoir été forcé, j'ai déjà vérifié.
- Hum… Pourriez-vous nous donner quelque détails supplémentaires ?, demande le dénommé Moïses.
- Je n'en ai pas beaucoup plus à vous apprendre, hélas. En revanche, son assistante, mademoiselle Court et le gardien William pourraient vous en dire plus. A priori, la porte était fermée quand mademoiselle Court a essayé d'entrer. C'est pourquoi elle a fait appel au gardien pour lui ouvrir. Lorsqu'ils se sont rendus compte de la situation, j'ai été prévenu. Officiellement, le professeur Leiter est mort d'une crise cardiaque.
- Et officieusement ? demandé-je, curieux.
- Officieusement nous n'en savons encore rien. Le docteur Wheatcroft a pris en charge le corps et ne devrait pas tarder à l’ausculter. Je présume que nous en apprendrons plus à ce moment. Cependant, ses premières conclusions ne coïncidaient pas avec la thèse de l'arrêt cardiaque.
- Je vois.
Cette affaire commence à m'intriguer, quelque chose me dit qu'il y a autre chose. J'ai du mal à mettre le doigt dessus mais j'ai un mauvais pressentiment. Je sors donc mon carnet et commence à prendre des notes à mesure que les informations affluent.

Vous évoquiez qu'il y aurait autre chose ? questionne avec pertinence le jeune prêtre.
- En effet et là-dessus il est impératif que cette affaire ne s'ébruite pas. Il y a quelques mois, notre université a reçu une donation inestimable de documents, de la famille Hobbhouse, afin que nous puissions les archiver. C'est le professeur Leiter qui en a eu la charge et qui s'en est occupé avec l'aide de son assistante. Ils devaient en faire l'inventaire. Le soucis… c'est qu'une partie des documents a disparu.
- Vous pensez donc à un vol ? Pourquoi ne pas faire appel à la police ? questionne mon frère, très terre-à-terre.
- Il ne faut surtout pas rendre publique cette affaire ! Nous souhaitons de la discrétion et c'est pourquoi nous n'avons pas fait appel à la police.
- Pensez-vous que les deux affaires puissent être liées ? Qu'il pourrait s'agir d'un meurtre ? demande l'antiquaire, visiblement intéressé autant que moi par les documents mentionnés.
- Nous n'en avons aucune idée. Je n'en ai aucune idée. Ce qui est certain c'est qu'il est impératif de retrouver ces documents et d'étouffer rapidement l'affaire. Si cela venait à se savoir, la réputation de notre université serait durement impactée. J'imagine que vous comprenez…
Cette affaire m'intrigue de plus en plus. Un cadavre dans une pièce fermée, des documents anciens qui disparaissent. Quelques frissons parcourent mon échine, comme s'il s'agissait exactement de ce que je recherche depuis trois ans. Je me sens fébrile mais tâche de ne pas me laisser déconcentrer alors que la discussion continue.

De quelles sortes de documents parlons-nous ?
- Il s'agit principalement d'écrits, de procès pour sorcellerie, de carnets mais aussi d’œuvres d'art et de journaux.
- C'est assez vaste, en effet.
Lorsque j'entends “Procès pour sorcellerie”, je me raidis sur ma chaise. Mon intuition devient plus palpable. Il s'agit de quelque chose d'extrêmement sérieux, j'en suis sûr. J'entends une respiration courte, signe d'intérêt, provenir de derrière moi. Tournant légèrement la tête, je reconnais l'ancien étudiant versé dans la prêtrise. J'imagine que le terme ne lui a pas échappé non plus.
Nous avons déjà fouillé chez lui avec le professeur Roach et…
- Eurk… Roach… coupé-je sans pouvoir m'en empêcher tant cet individu m’exècre.
- Qui est le professeur Roach ? demande alors Marco en me regardant, légèrement surpris de ma réaction.
- C'est un professeur d'histoire médiocre qui se croit supérieur aux autres et qui avait Leiter en horreur. Voilà un suspect tout désigné.
- Voyons, professeur Forson, n'allons pas trop vite aux conclusions. J'ai pleine confiance dans le professeur Roach qui, soit-dit en passant, est bien plus qualifié que vous le dépeignez. Bien que vous ayez une opinion assez tranchée à son propos et des démêlés avec lui, je vous prierais de faire preuve d'ouverture d'esprit pour cette enquête.
- Bien… je ne peux rien promettre mais ferai de mon mieux.
- Fort bien.
- Et donc, vous disiez que vous aviez fouillé les appartements du professeur Leiter ? relance Moïses.
- En effet, oui. Nous avons récupéré ses clés et entreprit de retrouver les documents chez lui mais il n'y avait rien. Vous pouvez aller l'inspecter aussi si vous le désirez, au cas où quelque chose nous aurait échappé. Tenez, voici ses clés.
- C'est fort probable.
Je dis cela en récupérant le trousseau de clés sans tarder. Je ne connais pas les deux autres personnes qui vont nous accompagner et je préfère m'assurer qu'ils ne fassent pas n'importe quoi. Je doute qu'ils aient la moindre idée de ce qui nous attend… En admettant que mes craintes soient fondées.
Quoiqu'il en soit, qu'elles soient fondées ou non, je préfère ne prendre aucun risque. J'ai trop conscience de ce qui peut être et qu'il ne faut pas minimiser cela. Les paroles d'Abigaïl me reviennent à ce moment-là dans mon esprit. ”C'est ton destin.” Oui… Oui, c'est clairement ma destinée de m'occuper de ce mal. Enfin… si mal il y a. Je dois en avoir le cœur net.

Sans attendre, alors que les discussions continuent, je me redresse et les coupe en déclarant :
Bien, voici le plan que je propose. Tout d'abord nous allons voir le corps car c'est organique et chaque instant le dégrade un peu plus. Puis nous irons observer la pièce et essayer de trouver des indices, ensuite nous interrogerons Miss Court et le gardien pour enfin finir avec la maison du professeur Leiter. Avec cela, nous devrions déjà avoir une meilleure vision du tableau global.
Le doyen reste assis sans rien dire mais les deux inconnus questionnent quelque peu mes choix avec des arguments insipides que j'évacue d'un revers de main : ”Pourquoi pas d'abord le corps ? - Parce qu'il ne va pas bouger.“; ”Pourquoi ne pas aller voir le professeur Roach aussi ? - Parce que cette morue ne va rien nous apprendre.“; etc. ”Bien, donc c'est réglé ? Doyen, auriez-vous les clés de son bureau ? Je suppose que vous l'avez verrouillé.
-Tout à fait, les voici.
Je les récupère aussi vite que les précédentes et sors de la pièce, concentré sur toutes les informations que l'on nous a donné. Je suppose sans douter que les autres me suivront.
Les battements de mon cœur s’accélèrent. Je me rappelle de cette maison maudite, j'ai l'impression de revivre cet épisode en un autre lieu, en un autre temps. Il faut que je sois fixé. Et vite. Je presse le pas, sans attendre.

Ch. 3

Chapitre 3 - Éther et moisissures

Sans réfléchir plus à ma destination, je navigue à travers les bâtiments et les couloirs jusqu'à atteindre le bureau du docteur John Wheatcroft. J'apprécie cet homme mais il m'est difficile de dire pourquoi. Peut-être est-ce parce qu'il fait partie des rares individus à ne pas me juger.
Je m'arrête devant la porte et prend brièvement le temps de me retourner afin de vérifier que je n'ai semé personne sur le chemin. Marco est présent, le jeune et l'antiquaire aussi. Bien. Je toque donc.

Dr John Wheatcroft (Domaine publique)

Des pas lourds précédés d'un ”J'arrive.“ se font entendre avant que la porte ne s'ouvre sur un homme d'une quarantaine bien entamée. Ses cheveux sont peignés de façon à mettre en évidence une raie impeccable qui va de pair avec sa moustache soignée. Son regard calme se pose sur nous et il semble mettre quelques secondes à me reconnaître.

Oh. Professeur Forson. Quel plaisir me vaut donc votre présence en ces lieux ? À vous et vos amis ?
Sa voix est lente et chaque mot arrive l'un après l'autre comme murement réfléchit. Ce flegme contraste grandement avec mon impatience et je me souviens que ce n'est clairement pas pour son débit vocal que je l'apprécie. Au contraire.
Docteur Wheatcroft, voici Marco Forson, mon frère, ainsi que deux autres personnes envoyées par le doyen.
- Ah oui ?
- Je suis Moïses Kimbrew, enchanté docteur, coupe l'antiquaire, visiblement pressé de se présenter en tendant sa main.
- Et je suis Joseph Baker, enchanté docteur Wheatcroft, s'empresse à son tour de signaler le jeune prêtre alors que John tend seulement la main pour serrer celle de Kimbrew.
- Oui, bon, ça va aller pour les présentations, dis-je en empêchant un deuxième serrage de main. Nous sommes là pour une affaire pressante : Leiter. Avez-vous eu le temps d'ausculter le corps ?
- Oh et bien justement… non. Je n'allais pas tarder à aller le voir, souhaitez-vous m'y accompagner ? Je sais que ça peut sembler un peu glauque mais après tout, ce n'est qu'un corps rigidifié par la mort. Il n'y a rien d'effrayant, sauf peut-être son visage. Non, je vous assure, ça aurait pu être bien pire. Je pense notamment à Hellenston Whitebridge, ah oui, c'était quelque chose, vous auriez vu cela…
- Docteur, si nous pouvions en discuter en chemin, cela nous ferait gagner un temps précieux, dis-je en serrant des dents.
- Oh oui, bien sûr, bien sûr. Laissez moi simplement le temps de retrouver mes clés.
- Prenez votre temps“, dis-je dans l'illusion de reprendre le contrôle sur ce gouffre à minutes.

Il est important d'être patient avec ce docteur moustachu car, comme tout le monde le sait sur ce campus, ce n'est pas un pressé. Loin s'en faut. Et quoique l'on fasse, que l'on s'énerve ou non, il ne se pressera jamais. Rompu à cet exercice, je tâche de réfréner mon envie de le bousculer en le laissant raconter des inepties tout en cherchant ses clés.
Je les avais laissé là, sur le bureau. Allons bon, fichtre, où sont-elles donc ? J'étais certain que… non, pas ici. Hummm… Oh ! Elles sont là, quelle tête en l'air je suis parfois. Bon, allons-y messieurs. Je vous suis.
- Euhm… Nous vous suivons plutôt, intervient Joseph.
- Comme vous voulez, suivez-moi donc c'est par ici. Le chemin de la morgue n'est pas très loin. Vous savez, durant mes années de médecines, je devais…
Le trajet se révèle parsemé de commentaires sur la vie sans intérêt de Wheatcroft, de ses années de médecines à son passé de médecin légiste, le tout prononcé avec un débit particulièrement agaçant de lenteurs.

Nous parvenons, après quelques interminables minutes, à atteindre les escaliers qui mènent à la morgue. Dès les premières marches, l'odeur nous prend au nez et seul John Wheatcroft y semble insensible. Cette odeur des produits antiseptiques mêlée à l'humidité ambiante est déplaisante. La fraîcheur de l'air hérisse les poils sous ma chemise. La mort nous environne et nous nous en rapprochons.
Le docteur nous mène jusqu'à une salle au milieu de laquelle trône une table sur laquelle est allongé un corps recouvert d'un drap blanc. L'expert prend le temps de mettre des gants en latex puis rapproche une table métallique sur roulette qui fait un bruit effroyable tant elle grince et cliquète à chaque mouvement. Sur cette table se trouvent divers objets dont je ne parviens à identifier que la moitié.
L'ancien légiste nous dit avec flegmatisme ”Voici donc le professeur Leiter. Il a certainement beaucoup souffert.“. Lorsqu'il retire le drap, nous découvrons le visage figé d'horreur du professeur d'histoire. Son visage me ramène à celui de Walter Corbitt, trois ans en arrière, lorsqu'il était étendu devant moi dans une salle sombre éclairée uniquement d'une lanterne. Le corps allongé sur la table. Le visage terrifiant…
Je reviens à la réalité alors qu'une discussion s'est entamé entre les quatre hommes. Je déglutis en essayant de me débarrasser de cette vision du passé. Le souhait étrange de Joseph m'y aide :
Je pourrais peut-être donner les derniers sacrements à ce pauvre homme.
- Oh mais bien sûr, faites donc, je vous en prie. Je vous laisse ma place, venez donc, propose le docteur en s'écartant.
- Avons-nous réellement du temps à perdre avec de telles inepties ? Il me semble qu'il y a plus urgent, rouspété-je.
- L'âme de cet homme erre dans l'attente de son rappel à Dieu, ça ne sera pas long, vous verrez.
- Soit, soit, dépêchez-vous dans ce cas !

L'ancien élève de science se lance donc dans une drôle de litanie qui ne retient nullement mon attention. Celle-ci est plutôt concentrée sur l'expression d'horreur qui fut la dernière réaction de l'homme avant de mourir. C'est comme s'il avait vu quelque chose d'horrible. Ou qu'il avait subi le martyr. Des frissons parcourt mon échine. Je ne m'y connais guère en cadavre mais j'ai la ferme intuition que le mal y est pour quelque chose. Je le sens.
Mon regard se lève et je croise celui de Marco. Ce grand gaillard ne semble pas dans son assiette, il semble à deux doigts de vomir. Moi qui allait proposer de le laisser pour assister à l'autopsie, me voilà déçu. Je suis doublement déçu que je le pensais plus endurci que cela depuis le temps, avec son métier. Peut-être l'ai-je surestimé ?
Moïses se rend compte de la situation et engage la conversation avec mon frère comme pour lui changer les idées. Je lui en suis reconnaissant et, après quelques secondes d'écoute et en voyant Marco répondre aux questions, je considère le problème comme réglé.
Le prêtre s'étant tu, John remercie Baker avant de nous demander si nous restons pour assister à l'autopsie qui, selon lui, pourrait se révéler très instructive et étonnante parce que, je le cite, ”Chaque autopsie est comme une surprise, on ne sait jamais à quoi s'attendre.“. Cette déclaration achève de nous convaincre et nous choisissons de le laisser procéder.

Sur une promesse de revenir dans une heure pour noter ses conclusions, nous empruntons le chemin inverse dans cette même atmosphère d'éther et de moisissures pour quitter la morgue.

Retours et commentaires

Vous pouvez laisser un commentaire à propos de ce récit, ce que vous en avez pensé ou un simple mot. Il est aussi possible de suggérer des corrections qui aurait échappé à l'auteur.

Les photos de personnes réelles ne correspondent pas aux noms donnés dans le scénario, elles aident simplement à s'imaginer les personnages. Les crédits et vrais noms sont donnés pour chaque photo en cliquant sur le lien associé.

jdr/cr/elanndelh/cthulhu_3.1669066712.txt.gz · Dernière modification : 2022/11/21 22:38 de elanndelh