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Teambuilding à Rattle Canyon

Contexte

Système et univers : One-shot, Monster of the Week

MJ : Naeleh
Personnage interprété : Alex Walker, professionnelle, 34 ans.
Accompagné par :
- Edwige, expert
- Eleanor, divin

Date : 12 Août 2022

Ch. 1

Chapitre 1 - Bienvenue à Rattle Canyon

Il fait chaud. Cette idée de teambuilding est particulièrement ridicule et faire cela dans un endroit pareil… je suis sûr que Tony doit bien se marrer. Si c'est pour tester ma volonté, il va être servi. Je vais y participer, du début à la fin, sans rien dire. Je vais supporter cette foutue chaleur et je vais obtenir cette promotion bien méritée. Ce n'est clairement pas cette température qui me fera reculer.
Quel four…

Un bus arrive, c'est le troisième et le dernier si je ne me trompe pas. Au vu de l'agitation des organisateurs, j'ai la confirmation que j'ai raison. Je remets en place machinalement mon chapeau, je décolle mon dos du mur et je vérifie le port de mon manteau avant de quitter l'ombre bienvenue d'un bâtiment pour rejoindre le regroupement. 203 personnes, c'est le nombre de personnes réunies par nos supers dirigeants pour cet événement absurde. Ils ont déplacés deux agences entières pour passer une journée de cohésion d'équipe. Comme si j'avais besoin de me rapprocher des autres services… Je connais déjà toutes les personnes que je dois connaître dans le SS, le “Service Spécifique”, toutes les personnes qui sont au dessus de moi et comment grimper les échelons. Je n'ai besoin que des trois P : la patience, la persévérance et la performance. Mais visiblement, Tony, mon N+2, prend plaisir à me mettre des bâtons dans les roues.
C'est pourquoi je me retrouve paumée en plein désert de Californie, un mercredi, entourée d'inconnus pour un événement stupide.

Je me rapproche donc du groupe et patiente. Une bande de rigolos en gilet bleu et aux sourires commerciaux nous souhaite la “bienvenue à Rattle Canyon, une authentique ville de chercheurs d'or transformée pour notre plus grand plaisir”. On pourrait s'étouffer rien qu'à les écouter. Rattle Canyon est un de ces villes fantômes qui ont été désertées à la fin de la ruée vers l'or lorsque tout le monde s'est rendu compte qu'ils perdaient leur temps. Entre le saloon, la gare, l'église et le salon de barbier, il faut reconnaître que les bâtiments semblent encore en état. À part le staff de drôles, les N+1 pompeux qui essayent de se montrer sous un jour plus jeune et les employés qui forment un groupe hétéroclite, la ville semble déserte. Cela m'arrange.
La répartition commence, nous sommes appelés par ordre alphabétique pour être ensuite répartis dans des groupe de dix personnes. Bien.
Je patiente.
Le soleil tape en ce début d'après-midi.

Alex Walker”.
C'est à moi, je m'avance donc et rejoins les neuf autres personnes qui m'accueillent de façon fort différente. Les “collègues” de l'agence me saluent sommairement, le stagiaire manque de me lécher les bottes une fois la surprise passée et les autres ont un regard choqué devant mon accoutrement avant de se reprendre, par politesse, pour me saluer en essayant de me genrer correctement. “Bonjour Monsieur”, “Bonjour Madame”. Il faut dire qu'il est compliqué de m'attribuer un genre et que mon style vestimentaire détonne : en plus du chapeau marron clair assorti au long manteau taillé sur mesure de la même couleur, on peut discerner mon pantalon et une veste grise de très bonne qualité, le tout surmonté d'un masque alvéolé foncé qui recouvre mon nez et le bas de mon visage. À chaque nouvelle rencontre c'est la même chose : l'étonnement, la fascination puis le respect. L'étonnement est passé, vient donc le moment de la fascination où les gens essayent de me poser des questions auxquelles je ne prends pas la peine de répondre. Le respect ne tardera pas.
Pendant que je laisse couler les questions déplacées sur ma morphologie androgyne, j'étudie chaque personne une à une, de pied en cap. La plupart ont même un petit badge ridicule avec leurs noms, les autres se présentent. On retrouve Summer du service réseau et communications, une fille forte, blonde et énergique; Cori, un homme fin et sec mais tout aussi énergique qui travaille comme assistant en conseil recrutement; Glenn, le stéréotype de l'asiatique informaticien blasé; Eleanor, une grande femme du Service ergonomie qui semble conviviale et motivée par la journée; Jasper, un résidu d'humain du Service fiscal qui se croit drôle avec ses blagues dépassées et racistes; Marc, un stagiaire au physique avantageux mais clairement en attente de validation; Edward, un homme discret; Edwige, une petite experte comptable dont le charisme rivalise avec celui d'une huître gothique des années 80; et enfin Stéphanie, une personne métisse qui semble avoir la tête sur les épaules, reflétant le Service management auquel elle appartient. Neuf personnes avec qui je vais devoir passer la journée.
Je pensais avoir obtenu toutes les informations qui convenaient de récolter quand un détail attire mon attention. Sur le sac de la comptable mal vêtue se trouvent des pins et, en dehors d'un smiley dérangeant, je note des graphismes d'inspirations occultes. Je dévisage plus attentivement cette femme qui remet craintivement sa frange devant son œil droit et note mentalement cette information; tout ce qui est lié à l'occulte doit être correctement enregistré, rien n'arrive par hasard dans ce domaine.
Le contraste entre mes missions secrètes et la perte de temps que constitue cette journée met ma patience à rude épreuve. Mais j'encaisse. J'ai un objectif à remplir.

Ch. 2

Chapitre 2 - Début du jeu

Une petite femme au sourire commercial et au gilet bleu nous annonce qu'on a “la chance” de l'avoir comme référente pour toute la durée de l'événement. Cette Suzie ne me semble pas très intéressante et trop transparente : elle cherche clairement à combler son manque de confiance en elle par son travail. Quoiqu’il en soit, cette drôle nous explique sur un ton faussement enjoué que l'on doit retrouver des QR codes qui ont été dispersés en plusieurs endroits de la ville et que l'on doit les scanner à l'aide d'une tablette. Elle parle beaucoup pour exprimer fort peu d'informations utiles, répétant notamment que l'on peut compter sur elle en cas de besoin en appuyant simplement sur un petit bouton de l'interface qui ferait s'arracher les yeux à n'importe quel ergonome. Vient alors le moment de prendre la tablette qui révèle une carte de la ville et de commencer.
Un petit blanc fait suite à cette déclaration et je récupère donc la tablette. Tony veut que je fasse cette épreuve loufoque pour obtenir ma promotion, fort bien. Faisons-le bien. Performons.

Je me dirige donc vers le premier bâtiment indiqué, le saloon, sans me soucier ni des commentaires ni des questions que l'on me pose. L'objectif est clair pour tout le monde, je ne vois pas pourquoi je perdrais de la salive à leur expliquer que “Oui Summer, on va vers le saloon puisque c'est la première étape qui est clairement indiquée.” Cette femme me navre déjà. Le soleil quant à lui me donne quelques suées froides que je maîtrise avec la facilité mitigée de qui a l'habitude de le faire depuis des années, ce qui rend les cinq minutes de trajet désagréables mais supportables.
Une fois arrivée sur place, je vérifie que tout le monde m'a suivi. Les neuf sont là, bien ce sont des suiveurs. Sur la tablette, plusieurs informations attirent mon attention : la carte de la ville a laissé place au plan du Saloon, je réduis une popup avec “plein de petits faits intéressants” et énumère les trois énigmes qui sont sensées nous mener vers les QR codes.
Ce qui permet de danser.” - “Le piano !” la réponse d'Eleanor fuse et j'acquiesce simplement en lui indiquant à elle et un autre d'aller voir de plus près. Ils obtempèrent sans rechigner. Ce teambuilding a au moins l'avantage de conserver la hiérarchie naturelle.
La boisson emblématique.” - “Le whisky !” Étonnement, la réponse provient encore d'Eleanor qui semble plus que motivée. J'acquiesce à nouveau et envoie deux personnes pour regarder la rangée de bouteilles de whisky installée devant un grand miroir.
Le lieu où on ne dort pas forcément.” La réponse met un peu plus de temps à venir et c'est finalement le murmure de Edwige qui apporte une réponse : “Les chambres…?” son ton mal-assuré m'exaspère et je déclare simplement “Vous quatre, allez chacun examiner une chambre de l'étage”.
Ils y vont non sans avoir dû rappeler à Edwige que les chambres se trouvaient à l'étage et pas sous les touches du piano vers lequel elle se dirigeait. Ne reste alors plus que Cori avec moi et celui-ci se dirige naturellement vers le comptoir pour aider les deux qui inspectent les bouteilles.
Seule, je prends le temps d'ouvrir la popup des “petits faits intéressants” pour me rendre compte que mon instinct avait encore une fois eu raison : il s'agit uniquement d'informations inutiles, rajoutées pour donner une impression de contenu travaillé.

J'observe le groupe en action. Eleanor semble avoir trouvé une partition et, pendant que Glenn feint à peine de s'intéresser au piano, elle joue cinq notes. Le résultat ne se fait pas attendre, un mécanisme s'active et révèle le flashcode.
J'en ai un !” s'écrie la motarde. Je m'approche donc, lève la tablette et scanne le QR code puis la félicite sobrement : “Bien joué, Eléanor”. Et d'un.
Peu de temps après, c'est Marc qui s'exclame en avoir trouvé un autre au cul d'une des bouteilles vides d'alcool. “Bien joué, Marc.” Et de deux.
Je monte ensuite les escaliers en laissant les autres savourer leur victoire et passe la tête dans chacune des chambres pour vérifier que tout le monde s'affaire bien à chercher. Les quatre semblent consciencieux. C'est Edwige qui trouve le dernier code 2D, je m'approche et scanne celui-ci. Là, l'application se met à buguer et se ferme, une petite lumière rouge, à laquelle je n'avais pas fait attention jusqu'ici se met à disjoncter avant de se rallumer d'elle-même juste avant que l'application ne s'ouvre de nouveau. Les développeurs de l'application semblent avoir été aussi incompétents que les ergonomes. J'espère que ça ne va pas transformer en calvaire l'utilisation, il ne manquerait plus que cela pour rendre cette journée “inoubliable”.
La petite voix d'Edwige me tire de mes pensées quand elle me demande si “j'ai vu”. Je lui lance un regard perplexe. Elle me dit alors que l'application a changé. Je la dévisage sans rien dire. Derrière son t-shirt démodé noir où un loup hurle à la lune, sa jupe noire mi-longue aussi mal assortie que moche et ses Doc Marteens usagées, je commence à noter qu'elle n'a pas seulement un manque flagrant de personnalité et d'assurance, elle a visiblement un soucis d'attention. En effet, quand je lui demande de détailler ce qui a changé, la voici incapable de l'exprimer précisément. Trente secondes de perdu. Je regarde ma montre et quitte la pièce et ne lançant qu'un mot pour les quatre chambre : “Descendez.
Une fois en bas, je rassemble tout le monde et attend que ceux de l'étage nous rejoignent. J'attends quelques minutes puis exaspérée je demande ”Où est Edward ?”. Il était à l'étage et il n'est pas redescendu. Du moins je ne l'ai pas vu et visiblement personne d'autre ne l'a vu descendre. “Allez le chercher.
Summer, pleine d'entrain, monte.
Après quelques instants, elle redescend sans lui. ”Il n'est pas là-haut.
Cela me dépite de perdre du temps parce qu'un des employé a infantilement fugué. Je charge donc trois personnes de vérifier les toilettes, la cave et derrière le comptoir.
Aucune traces d'Edward.
Mon agacement monte un peu mais je relâche cette pression pour revenir au rationnel : en ai-je quelque chose à faire de lui ? J'appuie simplement sur le bouton pour prévenir Suzie et j'attends qu'elle arrive. Certains vont fumer dehors, d'autant remontent à l'étage. Je patiente.

Après quelques minutes Edwige et Eleanor redescendent. Cette dernière semble vouloir me parler en particulier, je m'éloigne donc du groupe pour lui laisser cette intimité. Elle m'explique que Edwige a “vu” la scène avec son pendule et que Edward aurait disparu au même moment où la tablette s'est éteinte puis rallumé. Sans répondre, je porte mon regard sur Edwige qui se ratatine encore un peu plus. Je connais les pendules et ce qu'il est possible de faire avec. Ça m'étonne qu'elle ait assez de courage pour en parler et pour l'assumer.
N'importe qui d'autre l'aurait pris pour une folle. Pas moi. La magie et les démons existent. Je la crois et alors que j'allais lui tendre la tablette pour qu'elle y jette un œil je l'entends me demander si elle peut la regarder. Cela me hérisse, je déteste que l'on me devance. Je déteste qu'une femme aussi effacée, aussi banale et… je déteste cela. Mais je me contrôle et lui tend la tablette. À sa réaction, mon regard a dû exprimer toute ma haine et ma frustration, tant pis. Je tâche de reprendre un visage impassible.
Je la regarde trifouiller l'interface quand soudain une nouvelle page s'affiche, rouge avec une autre carte, des petits points et un compteur qui indique “23”. Cela m'intrigue mais avant que je n'ai le temps d'y réfléchir, l'insipide voix de Suzie se fait entendre.
Vous m'avez demandé ? Que puis-je faire pour vous ?
Je récupère la tablette dans un mouvement brusque et la tient contre moi avant de me retourner pour voir la petite femme en gilet bleu descendre de son Segway et se rapprocher de nous. Un Segway, sérieusement ? Eurk, je n'ai pas de mot tant je trouve cet objet ringard et tape-à-l'oeil. Je prends sur moi puis répond à Suzie en lui annonçant que Edward est introuvable, qu'il a certainement quitté l'événement parce qu'il ne voulait pas y participer et que ce serait bien de passer une annonce pour le retrouver, au cas où. Oui, je lui mens sciemment parce que c'est clairement le genre de personne qui ne croit pas à la magie ou au surnaturel; de plus, je n'ai pas envie de faire paniquer tout le monde pour le moment. Suzie enregistre l'information, nous souhaite un ”bon amusement” avant de repartir sur son véhicule débile. Ce qui est cohérent avec le personnage après réflexion.

Alors qu'elle s'éloigne, je déclare simplement au groupe, qui s'est naturellement rapproché pour écouter mes instructions, que notre prochaine destination est la gare. Heureusement que j'ai bonne mémoire parce que je n'ai pas envie de cliquer sur le bouton “Retour à la page précédente” de cette interface bizarre. Je souhaite l'étudier or Edwige est incapable de se souvenir comment elle a enclenché ce changement.
Pendant que nous marchons en plein cagnard, je prends le temps d'observer plus en détail ce que j'ai sous les yeux. Il s'agit d'une carte qui est complètement différente de la carte de la ville, on y voit donc le nombre 23 et plein de petits points qui se déplacent sur une sorte de quadrillage. Difficile de dire ce dont il s'agit mais j'ai ma petite idée et je pense que le compteur va augmenter dans les heures à venir.
Le soleil me tape sur le dos, les épaules, le chapeau, partout et rend la lecture de l'écran compliqué.
Edwige qui marchait à ma droite murmure que ce serait bien qu'on ne se sépare plus, Eleanor à ma gauche suggèrent qu'on devrait faire des groupes de deux. À neuf, quelle idée géniale. Je ne réponds rien et continue de marcher.

Ch. 3

Chapitre 3 - Deuxième tour

Après sept minutes de marche, nous arrivons dans le lieu visé : une petite gare dans laquelle se trouve une locomotive et deux wagons.
Alors, alors ? Quelles sont les énigmes ?” La question comme la voix de Summer me hérisse, j'hésite un instant puis choisit de bluffer : “Il n'y a pas d'énigme cette fois, nous allons donc former trois groupes. Un par wagon, un dans la locomotive.” J'envoie alors Edwige, Jasper et Cori dans le wagon de queue, Eleanor, Glenn et Stephanie dans le wagon de tête, je prends Summer et Marc avec moi. Cette répartition est optimale car elle permet de profiter de la motivation exacerbée de Summer, Eleanor et Cori pour trouver rapidement les QR codes tout en ayant, pour chaque groupe, une personne au courant des risques démoniaco-mystiques. Summer se débrouille et j'indique de façon claire et concise au stagiaire où chercher pendant que je réfléchis à ce mystère de tablette.
Je dois cependant me résigner quand Marc, rayonnant de fierté, trouve le code 2D. Je manque d'indices et dois me contenter d'une foule d'hypothèses invérifiables. Summer s'impatiente et je l'interroge un peu rudement :
Tu vois cette interface bizarre ? Bien, l'ergonomie est déplorable et je sais qu'une fois qu'on reviendra sur la page pour scanner le QR code ce sera difficile de la retrouver. C'est dans tes cordes, non ? Vu que tu travailles dans l'informatique. Oui, les réseaux et communications, si tu veux. Tu en es capable ou non ?
Malgré une hésitation, elle me dit qu'elle va regarder. Je clique alors sur le bouton “Retour”, scanne le QR code puis refile la tablette entre les mains de la blonde pendant que je me dirige vers le wagon de tête, suivie de près par Marc.

J'entends gueuler quasiment dans mon oreille ”Hey, on a en trouvé un !” de la bouche d'Eleanor au moment où je franchis les portes. Pendant un instant ma déplaisance doit transparaître de mes yeux mais je choisis de laisser couler car il y a plus important. De plus, se mettre à dos une femme qui semble connaître le monde occulte est une mauvaise idée lorsque celui-ci nous menace. Or je suis convaincue qu'il nous menace.
Je récupère la tablette des mains interloquées de Summer, scanne le QR code puis lui refile avant de passer au wagon suivant. Entre deux râleries, j'entends que Summer demande à Glenn le glandeur s'il veut bien regarder la tablette avec elle.
Au moment où je pénètre dans la voiture de queue, je vois qu'Edwige allait imiter Eleanor et me casser les oreilles pour m'appeler. Fort heureusement elle se retient et m'explique simplement qu'ils ont trouvé le flashcode du wagon. J'apprécie un instant ma performance d'avoir eu le bon instinct concernant les QR codes sans avoir lu les énigmes. Mes mains récupèrent la tablette de celles du geek qui proteste.
Parce que je m'attends à une disparition ou à quelque chose du genre lorsque je vais scanner, je capture le regard de Edwige et lui intime d'ouvrir l’œil. Je partage ensuite un regard intense avec Eleanor pour m'assurer qu'elle ait compris le message puis je scanne.
Rien ne se passe. Les huit personnes sont toujours présent, je suis toujours présente.
Bien.
Je rends donc la tablette à Glenn. Celui-ci rouspète.
Alors que l'on sort tous du wagon, il finit par trouver comment retourner sur l'écran bizarre. Entre deux plaintes contre l'ergonomie et trois questions sur l'utilité de cet écran, il m'explique comment il a réussi. Visiblement il suffirait de faire un signe qui relie les différents bâtiments de la carte de la ville. Ce symbole ne me dit rien mais je le mémorise avant de féliciter Glenn et d'ignorer ses questions : “Bien joué, Glenn.” Edwige et Eleanor semblent elles aussi avoir bien retenu le geste.

En utilisant l'application classique, je nous dirige vers le lieu suivant tout en reprenant, difficilement à cause de la luminosité solaire exacerbée, mon étude de l'autre interface. Le numéro n'a pas évolué. Je me mets à compter les petits points rouges qui bougent et en dénombre 23, exactement le même nombre que celui indiqué. Mon regard se porte sur l'experte comptable qui n'avait pu s'empêcher de regarder et de dénombrer en même temps que moi. Elle rougit de gêne et déclare qu'il y en a bien 23.
Je me détourne d'elle puis continue de marcher en accélérant légèrement le pas : le prochain lieu est une église et j'espère secrètement qu'il y fera frais. Il est très désagréable de sentir son propre corps suer de tous les pores. Je tâche cependant de ne rien en montrer et au vu de l'absence de questions et de remarques je me dis que j'y réussis bien.

Suite à cette traversée, nous pénétrons dans une petite église et un soupir de soulagement m'échappe dès que le frais m'entoure et s'engouffre sous mes vêtements. Eleanor fait une remarque sarcastique à mon égard mais je je l'ignore en lisant les énigmes de ce lieu.
Trois énigmes, trois lieux à fouiller, je renvoie les groupes vers chacun de ces endroits. L'apparition de trois silhouettes qui entrent dans l'église me détourne de mon groupe un instant. Instinctivement, je passe une main sous mon manteau mais la ressort discrètement lorsque je réalise qu'il s'agit de membres de l'équipe précédente qui cherche une certaine Monnie qui aurait disparu.
Un regard sur ma tablette m'indique le nombre 28. Eleanor demande bêtement “Y en a pas un peu plus, là ?”. Je l'ignore et écoute les nouveaux arrivants expliquer la situation à Edwige.
A priori, la dénommée Monnie cherchait vers l'autel la dernière fois qu'elle a été aperçu. Je reporte mon attention vers le groupe d'Edwige qui était sensé farfouiller près du cœur de l'église. Je remarque alors qu'il n'y a personne. Les trois collègues de Monnie qui avaient suivi mon regard semblent effrayées par cette découverte. Eleanor les embrouille habilement avec ses mots et tâche de les rassurer en les raccompagnant vers la sortie. C'est un talent que je ne peux que reconnaître.
Que la timide et passive Edwige semble tout à coup complètement excitée au point de se lancer à corps perdu dans la recherche du QR code de l'autel m'interpelle. Sans rien dire, j'attends qu'Eleanor la rejoigne avant d'aller checker Summer et Marc qui viennent tout juste de trouver leur code 2D. J'apprécie ces timing.
Bien joué, Marc.” L'intéressé semble extrêmement flatté et comblé; ce jeune homme est beaucoup trop soumis à ce que pensent les autres de lui. Il va se cramer tout seul, j'en suis sûre.
Je scanne puis envoie les deux pour aider l'autre groupe. Lorsque je me rapproche d'elle, Edwige me montre le carré blanc parsemé de noir qu'elle a trouvé. Avec appréhension, je le scanne.
Rien ne se passe.
Les pièces du puzzle se multiplient mais ne s'emboitent pas correctement.
Je reporte mon regard sur les quatre de mon groupe qui cherchent le dernier code. Un plan se forme dans mon esprit. Il est temps de prendre les choses en main et d'arrêter de jouer.

Ch. 4

Chapitre 4 - Le jeu s'accélère

Pour résoudre ce problème, je dois acquérir plus d'informations. De ce que je comprends, tous les lieux ne semblent pas faire disparaître des gens mais il me faut une confirmation. J'envoie donc Edwige et Eleanor au saloon pour enquêter pendant que je me coltine la surveillance des quatre autres. Je jette un regard à ma Rolex.
Il leur faut bien cinq minutes avant avant de découvrir le flashcode. J'ai le pressentiment que rien ne va se passer, je le scanne.
Rien ne se passe, comme je m'en doutais.

Nous nous dirigeons donc vers le lieu suivant et je me crispe légèrement lorsque les rayons brûlants du soleil viennent frapper mon manteau pour le réchauffer. La fraîcheur de l'église me manque déjà mais je ne me laisse pas distraire et progresse dans le désert. Sur le chemin, je vois Edwige courir vers moi, je donne donc des instructions aux quatre qui m'accompagnent et j'appuie en particulier mon regard sur Marc lorsque je dis “Surtout, ne vous perdez pas de vue et restez ensemble.”. Le stagiaire acquiesce vigoureusement de la tête et il semble comme empli d'une mission. Parfait. Je m'approche alors d'Edwige sous la chaleur écrasante.
La comptable m'explique qu'il n'y a eu aucun soucis au saloon avec le groupe en cours. Eleanor arrive à sa suite et précise qu'elles ont pu voir que certains groupes n'avaient pas de tablettes “maudites” et que nous étions peut-être le seul groupe à en avoir une. Cela me semble assez peu pertinent et très étrange mais j'acquiesce pour enregistrer l'information. Je préconise alors de retrouver le groupe de Monnie à l'épicerie et d'étudier leur tablette. Je demande d'ailleurs à la blonde si elle a ramené la tablette et cela la met hors d'elle : “Non mais tu n'as qu'à y aller si tu n'es pas contente !” Plutôt que d'attendre une inexistante réponse de ma part, elle se dirige à grand pas vers l'épicerie. On dirait qu'elle commence à me connaître. Je darde mon regard dans celui de la comptable silencieuse puis fait un mouvement de tête en direction de l'épicerie. Elle comprend, en décalage, qu'elle doit suivre Eleanor. Pour ma part, je rejoins le groupe en espérant qu'il ne s'est rien passé pendant mon absence.
Sur le chemin aride, je consulte un instant la tablette et son interface étonnante en la protégeant d'une main pour avoir un peu d'ombre. Une fois de plus, le compteur a augmenté : 32. Le temps presse, j'agrandis mes enjambées. Des mégaphones, disposés un peu partout dans la ville, corroborent mes réflexions en annonçant de nouvelles disparitions.

Arrivée au salon de barbier, je grimpe les quelques marches puis patiente à la porte en observant mon groupe sans rien dire. Ils sont tous là et semblent affairés. Je jauge intensément le stagiaire, il semble investi et performant pour le moment. Il s'écoule moins d'une minute avant qu'il ne se retourne et ne me voit. “On a trouvé deux QR codes, le troisième n'est pas loin !” Son regard est à la fois satisfait et craintif. En attente.
Bien joué, Marc”. Une explosion de joie et de fierté le transcende. Il est vraiment trop émotif.
Glenn, montre moi les emplacements.” Comme je m'en doute, il bougonne, râle et traîne du pied mais cède finalement et me mène aux deux codes 2D que je flashe. Peu de temps après, Marc s'excite une nouvelle fois quand il découvre le dernier code. “Bien joué, Marc.” Je l'enregistre.
Rien d'autre ne se passe ici. Ce lieu semble donc ne pas avoir été ciblé.
Bien joué tout le monde, vous avez été efficace. Maintenant direction l'épicerie.
Glenn, Summer, Marc et Stephanie sortent et je leur emboite le pas en examinant de nouveau la tablette. Le nombre n'a pas beaucoup augmenté. Les petits points rouges continuent de bouger et la chaleur de m'oppresser. L'ombre du salon de barbier était finalement plus agréable que je ne l'avais noté.
Sur le chemin, nous croisons la comptable aux pins et la blonde conseillère en ergonomie. Elles m'annoncent qu'elles n'ont pas eu de nouvelles du groupe de Monnie. Cela ne m'arrange pas mais je n'en montre rien et acquiesce simplement en réajustant compendieusement mon plan. Je suggère alors aux deux femmes d'aller voir au saloon ou à l'église ce qui pourrait se passer avec les prochains groupes. J'espère qu'elles choisiront l'église et un fin sourire satisfait se dessine derrière mon masque quand elles m'annoncent se diriger vers le lieu saint.
Bien.
Pour ma part, je rejoins le groupe à l'épicerie, de nouvelles annonces se faisant entendre. La suite de mon programme est claire.

Je briefe de nouveau les quatre membres de notre groupe sur ce qu'ils doivent faire, chercher les QR codes et rester ensemble, puis je leur demande de me donner leur numéro afin que l'on reste en contact si nécessaire. Je mets quelques instants à débattre avec moi-même puis finalement c'est en pestant intérieurement que je leur donne mon propre numéro. Au cas où. Une fois tout ce bordel terminé, il faudra donc que j'en change ; j'en ai marre d'avoir à faire ça à chaque fois mais c'est bien moins déplaisant que la perspective de Marc ou Summer pouvant me contacter à l'avenir.
Suite à cet échange, je repars dans le chaud et me dirige précisément jusqu'au lieu d'accueil.
Des éclats de voix me parviennent et je bifurque légèrement pour les rejoindre. Je découvre alors que de nombreuses personnes se plaignent des disparitions et que le staff incompétent n'a aucun argument valide pour les rassurer. Je me fraie facilement un chemin dans la foule qui s'écarte pour moi et j’atteins le groupe de drôles en gilets bleus et aux visages décomposés. Plusieurs N+1 de la boîte sont présents et semblent tout autant embarrassés et dépassés.
J'élève légèrement la voix et leur assure fermement : ”Je me charge de la situation. Vous, passez une annonce et rameuter tout le monde ici puis restez ensemble là.
Je vois à leurs réactions qu'ils auraient envie de protester mais qu'ils n'ont clairement aucune autre solution. Ils deviennent donc, à l'instar du badaud des villes, de simples moutons. Ils acquiescent, balbutient je ne sais quelle stupidité et s'exécutent. J'ai fait ce que j'avais à faire pour protéger les civils, passons à la phase suivante.

Sur le chemin pour l'épicerie et alors que mon annonce est passée, je marche plus lentement, souffrant du soleil. Je m'arrête un instant à l'ombre et sort une gourde d'eau tiède. Après un regard autour de moi, confirmant que je suis seule, je baisse mon masque qui révèle un visage brûlé et particulièrement abîmé. Digne d'un film d'horreur dirait Tony. Quel connard.
Je bois.
Après avoir rangé la gourde, je reprends le chemin. Il est temps de finir ce jeu.

Ch. 5

Chapitre 5 - À notre tour

J'atteins l'épicerie et note très vite que le glandeur manque à l'appel. Je regarde sévèrement Marc et lui demande ”Où est Glenn ?”. Le stagiaire se met à le chercher puis balbutie en se décomposant. Je regarde tour à tour Summer puis Stephanie mais aucune d'elle ne sait où est passé Glenn. C'est décevant. Je darde mon regard sur Marc une dernière fois et il peut y lire toute ma déception. “Je t'avais donné une seule tâche.” Je le vois manquer de défaillir, je m'en désintéresse alors pour reporter mon attention sur les deux autres.
Vous avez entendu les annonces ?” “ - Oui mais on ne savait pas si on devait continuer de chercher ou y aller.” Cette petite phrase de Stephanie me satisfait car elle signifie que mon autorité au sein du groupe est placée au dessus de celle de l'organisation de l'événement. J'apprécie d'avoir pu les former en aussi peu de temps, il semblerait que je m'améliore.
Je réponds simplement : “Allez rejoindre les autres au point de rassemblement. Je vous y rejoindrai plus tard.
Sans protester, ils acquiescent, ramassent leurs quelques affaires puis quittent l'établissement.

Pour ma part, je prends la direction de l'église, il est temps que de rejoindre mes deux acolytes. C'est étonnant de les considérer ainsi et pourtant, c'est le cas. Il semblerait qu'elles se soient montrées suffisamment capable au cours des dernières heures malgré leurs caractères et que, inconsciemment, je les considère. Cela n'a pas vraiment d'importance, ce qui compte concerne leur savoir à propos de tout ce qui est occulte et leurs talents pour gérer ces situations. Elles font probablement partie de la même agence que moi sans que je ne le sache puisque provenant d'une autre ville. Je me renseignerai plus tard, l'église est là.
Je pénètre à l'intérieur puis m'assieds lourdement sur un banc, profitant de la fraîcheur si bienvenue… Je n'ai guère le temps de savourer ce moment que le ton sarcastique d'Eleanor me fait regretter mes pensées précédentes : ”Il fait moins chaud, ici, hein ?”.
Sans rien dire, je la fusille du regard puis reporte mon attention sur le plan et sur la tablette. Celle-ci indique 41. L'écart s'est creusé mais je suis quasiment sûre d'avoir empêché qu'il ne s'accroisse plus à l'avenir. Quant à elle, Edwige explique que d'autres personnes ont disparu dans l'église.
Je prends le temps de réfléchir à la suite et de laisser mon corps gérer la transpiration et le frais soudain. Durant leurs recherches, elles ont pu découvrir que nous n'avions pas la seule tablette “contaminée”. Le puzzle commence à s'éclaircir. De ce que j'en comprends, une sorte de démon utilise les tablettes pour capturer les gens et les envoyer dans un autre espace. Il utiliserait des sortes de portails que les tablettes déclenchent. J'ignore comment en sortir mais je me dis qu'au moins nous savons comment entrer et que c'est une bonne façon de trouver le démon pour l'occire. La mort du démon devrait, en toute logique, nous donner un moyen pour ressortir.
Edwige reprend la parole suggère d'aller récupérer toutes les tablettes et de voir quelles sont les infectées. Cette idée me paraît pertinente mais je redoute déjà de retourner dehors. Je propose plutôt de fouiller l'église et d'essayer de déclencher nous-même le portail. Cette idée ne semble pas les enchanter, ce que je comprends. Je suppose qu'elles sont moins armées et préparées que moi à gérer ce genre de situation. Edwige nous fait alors une révélation de ses compétences : elle propose d'entrer en communication avec une des personnes disparues ou d'essayer de voir par ses yeux.
Les yeux.” Cette deuxième option me paraît la meilleure : je n'ai pas envie d'entendre des suppliques paniquées qui occulteraient les informations importantes.
Edwige acquiesce puis va se mettre près de l'autel. Elle dessine une sorte de cercle et des symboles puis s'assied en tailleur, les yeux fermés. À un moment, je la vois réagir comme si elle venait de se prendre une décharge et un petit filet de sang s'écoule de son oreille. Malgré une grimace de douleur, elle semble en mesure de continuer, je n'interviens donc pas et continue de l'observer. La comptable sorcière nous décrit qu'elle voit des murs gris uniformes et qu'elle voit les gens de l'événement. De ce qu'elle voit, elle se demande s'il ne s'agirait pas d'un monde virtuel. Cette idée me semble saugrenue mais je me souviens que les démons peuvent se révéler très ingénieux parfois. Je ne pipe mot et patiente.

Une intuition me vient et le besoin d'éloigner les civils des tablettes s'impose à moi. Pendant que Edwige se relève, je compose le numéro de Stephanie.
Oui ?
- Passe moi le staff.
- Tout de suite, Alex.

Plusieurs secondes après, j'entends la voix d'un des organisateurs, celui que je suspecte être la personne en charge. Je le coupe dans son élan : ”Vous allez rassembler l'ensemble des tablettes et préparer les bus. Vous avez cinq minutes.” Sans attendre une plainte quelconque qui ferait perdre du temps à tout le monde, je raccroche.

Edwige qui s'est nettoyé l'oreille pendant ce temps explique à Eleanor qu'elle se rappelle d'un livre qui pourrait aider. “Maléfices et algorithmes”, un nom insolite pour un ouvrage occulte, ça ne m'étonne guère. Elle nous explique qu'il devrait être possible de faire un rituel pour sortir les gens de là-bas en créant une sorte de portail. “Ce rituel nécessite que treize personnes forment un cercle mais il faut savoir qu'il peut se révéler particulièrement risqué.” Cette dernière précision me pousse à n'utiliser ce plan qu'en dernier recours. J'ai bien trop connaissance des dommages que peut causer un sort non maitrisé… Plus le sort d'origine est puissant, plus les dommages d'un dérapage sont violents. Au vu de la décharge que s'est pris Edwige en lançant un sort basique, j'ai du mal à lui faire confiance pour un sort supérieur.
Finalement, Eleanor et Edwige acceptent de suivre d'abord mon plan et c'est donc en souffrance que nous ressortons dans la canicule ambiante. Eleanor ne peut s'empêcher d'envoyer une pique concernant mon accoutrement, je l'ignore une fois de plus mais veille à ne rien laisser paraître en ressortant au soleil. Celui-ci a amorcé sa descente mais bien trop lentement à mon goût.
Plusieurs minutes s'écoulent avant que nous ne rejoignons l'accueil. Je peux constater que les gens ont rassemblé dans une bassine en plastique l'ensemble des tablette. Je peste à ce sujet mais on m'explique que c'est mieux pour les tablettes qu'un sac. Ben voyons. Ce n'est pas grave, je prends sur moi. Je fais alors face à nos supérieurs hiérarchiques et aux membres organisateurs et leur déclare sobrement qu'ils doivent tous partir dès maintenant.
Lorsqu'on me demande ce que j'envisage de faire, je les regarde longuement sans rien dire. Lorsqu'on me demande comment je vais rentrer, je les regarde longuement sans rien dire. Quand l'une d'entre eux se rappelle que je suis venue en voiture de fonction et que tout le monde semble rassuré, j'acquiesce.
Voilà. Maintenant, quittez tous ce lieu.”.
Je récupère la bassine qui chauffe de tablettes puis tourne le dos en réponse à leurs éventuelles questions et remarques. Je reprends le chemin de l'église, Edwige et Eleanor me suivant docilement.

Le frais m'englobe de nouveau mais je n'en montre rien. Quand la pensée me vient que le saloon pourrait être un meilleur endroit pour scanner, je la repousse bien vite et me rapproche de l'autel où se trouve le QR code. Je vérifie que mes deux comparses sont prêtes. Eleanor semble motivée, Edwige semble un peu moins assurée. Je considère donc que c'est bon et je scanne la première tablette vérolée. Rien ne se passe.
Je la pose à côté, en attrape une autre puis recommence. Toujours rien.
Patiemment, j'en récupère une troisième et l'utilise pour scanner une nouvelle fois. Là, quelque chose se passe : Eleanor qui se tenait juste à mes côtés disparaît.

Ch. 6

Chapitre 6 - Fin de partie

Je note donc que les portails s'ouvrent pour un nombre aléatoire de personnes. C'est intéressant. Edwige me regarde avec de grands yeux interloqués et effrayés. Pensait-elle vraiment que mon plan ne fonctionnerait pas ? Je garde cette réflexion pour moi et lui demande plutôt : “Es-tu en mesure d'entrer en communication avec Eleanor ?
Elle met quelques secondes à comprendre ce que je lui dis et je patiente quelque peu excédée. Après avoir déglutit, elle me confirme que oui avant de s'installer au sol et de sortir un ouija. Décidément, cette femme est bien équipée. Une fois prête, son regard se lève vers moi comme pour me demander les questions à poser.
T'es là ?” L'accessoire en bois troué en son centre ne met que quelques instants avant de bouger sous nos yeux pour se placer sur le “oui”. Parfait.
Ça va ?” Une fois de plus, l'accessoire se centre sur le “oui”.
Là, je regarde la tablette et donne trois instructions à transmettre à Eleanor : “Avance”, “Stop” et “Recule”, chacune espacée de cinq secondes environ. Pendant ce temps, je cherche des yeux un des points rouges de la tablette qui se comporterait exactement comme je l'ai décrit. Il n'y en a qu'un seul, c'est parfait. Il est un peu excentré par rapport à la masse.
Es-tu seule ?” Le ouija indique clairement la réponse négative. Très bien.
Rassemble tout le monde.” Après ce dernier ordre, je vois le point représentant Eleanor se mettre en mouvement et s'approcher des autres points. Ceux-ci se mettent ensuite à la suivre ou se dispersent parfois pour rejoindre d'autres points. Il semblerait donc que toutes les personnes sont présentes dans le même plan et peuvent interagir entre elles. Ce sont des informations importantes.
Le soucis, c'est qu'arrivée à ce point, je n'ai pas d'autres idées. Je me dis qu'il serait facile de les rejoindre dans ce monde mais ça ne nous avancerait pas beaucoup plus. Nous ne savons pas encore comment en sortir. Le plus simple mais dont le résultat est le moins prévisible consisterait à invoquer le démon pour le buter, le plus dangereux et probablement le plus efficace serait d'utiliser le gros rituel dont nous a parlé Edwige. Je m'évente, frustrée, avec mon chapeau. Les solutions ne me plaisent guère, bien qu'il soit possible de les cumuler. Il y a plus de quarante personnes coincées. Plus Eleanor que j'ai envoyé. Il faut que je les sorte de là. Il…
Je crois que je me suis fait éjectée.” La voix de la petite comptable me tire de mes réflexions. “On était écoutées.” Ainsi au moins un démon espionnait notre communication. Intéressant. Il doit avoir peur pour se donner ce mal, ce qui suggère qu'il ne doit pas être si puissant que cela. Je passe une main sous mon manteau et caresse la crosse d'une arme. Le plan peut paraître téméraire mais c'est ainsi que je fonctionne : ma décision est prise.
Est-ce que tu es prête ?
- ”Euh… pour quoi ?
- ”On va rejoindre Eleanor, invoquer le démon et le tuer. Si cela ne suffit pas à nous sortir de là, tu utiliseras ton gros rituel. Tu t'en sens capable ?” Elle bredouille deux trois choses non assurées mais finit par opiner de la tête, pas très confiante. Un sourire carnassier se dessine sous mon masque. “On va massacrer du démon.
Sur ces mots, j'agrippe une nouvelle tablette et scanne le QR-code.

Ma vision se brouille pendant un instant et je vois des choses difficilement descriptible. Je cligne des yeux et l'instant suivant je me retrouve dans une vaste pièce grise aux murs uniformes qui me fait penser à la description qu'Edwige nous en a fait tantôt. Me voici donc dans l'espace du démon. Parfait.
J'entreprends de retrouver mes camarades et parvient rapidement à trouver Eleanor avec la foule rassemblée près d'elle. Edwige nous rejoint peu après. J'explique brièvement le plan à Eleanor et lui demande si elle est prête. Tout dans son attitude me le confirme. Je me tourne alors vers Edwige et je vois à sa mine déconfite que quelque chose ne va pas.
Je ne peux pas tracer de pentacle sur le sol, mon matériel ne fonctionne pas.
- ”Je m'en occupe.
Je me tourne alors vers le groupe de gens terrifiés derrière nous et leur explique la situation.
Nous allons invoquer le démon qui nous a piégé ici. Nous allons le tuer puis nous rentrerons chez nous. Ce sera probablement traumatisant donc n'hésitez pas à fermer les yeux et à vous boucher les oreilles. C'est clair ? Bien. Maintenant, donnez moi vos vestes. Allez, dépêchez-vous !
Mon discours fait son effet, malgré la terreur, ils se raccrochent à l'espoir et sont prêts à croire n'importe quoi. Je dois les presser encore un peu mais bien vite, Edwige obtient suffisamment de vêtements pour en faire un pentacle. Je tique au moment où elle sort son couteau pour entreprendre de les déchirer, ça ne me semblait pas nécessaire mais je n'en montre rien. Nous devons montrer front commun Eleanor, Edwige et moi pour éviter d'induire le doute dans l'esprit des andouilles derrière nous. Le doute n'amènerait que des comportements irrationnels suivi d'une panique et les pertes seraient plus élevées que celles que j'estime. Un tiers est largement dommageable mais reste acceptable.
Pendant qu'Edwige demande vainement des volontaires pour l'aider, je déboutonne mon manteau et en sors un fusil à pompe chargé. Le souffle coupé des spectateurs et leurs réactions étouffées me fait sourire sous mon masque. J'apprécie toujours ce petit effet. Je tourne la tête vers Eleanor et la voit munie d'une sorte de fouet hérissé de barbelé. Elle me fait un signe de tête, son sourire montre qu'elle est aussi enthousiaste que moi à l'idée d'occire une créature démoniaque.

Quelques minutes s'écoulent alors qu'Edwige termine ses préparatifs. Elle n'est pas très assurée quand elle nous informe que tout est prêt. Je retiens surtout que la chasse va pouvoir débuter.
Je fais un signe à la sorcière et celle-ci se met à psalmodier pour invoquer notre bourreau. Il ne faut pas bien longtemps pour voir des éclairs rouges envahir la pièce dans un bruit assourdissant. La silhouette d'une créature abject semble sortir du sol et prendre peu à peu consistance dans le pentacle vestimentaire. Preuve qu'Eleanor est expérimentée, elle attend le moment exact où les attaques physiques peuvent atteindre le monstre pour s'élancer avec son fouet mortel. Edwige essaye stupidement d'attirer l'attention de la créature pour aider Eleanor et, sans y parvenir, elles se font toutes les deux trancher violemment. Je m'avance à mon tour en tirant sur la bête mais ne parvient qu'à l'énerver d'avantage. Son attention se porte sur moi mais elle ne parvient pas à me toucher car j'esquive au dernier moment.
Le monstre qui vient de rejoindre, pour de bon, notre plan est rachitique avec des ailes membraneuses. Sa peau est grisâtre et il dégage une odeur pestilentielle. Concentrée sur le combat, je ne fais plus grand attention aux gens terrorisés et encore moins à leur cris. Je veille simplement à ce que le démon ne s'approche d'eux. Je tire donc une nouvelle fois au moment où je reçois une gerbe de sang sur le visage. Eleanor harangue, victorieuse et le fouet couvert de sang démoniaque, notre adversaire. La patte musclée du monstre m'atteins alors sur l'épaule mais mes protections tiennent bon.
Je hurle à Edwige ”Dégage de là ! Reste en vie et prépare le rituel !
Elle acquiesce et se replie.
Eleanor et moi continuons d'occuper la créature, la motarde en la tailladant violemment avec son arme redoutable et moi en attirant son attention et en encaissant des coups. Malgré sa taille, j'ai du mal à la toucher car je crains de blesser Eleanor en même temps. Je préfère donc crier et viser un peu à côté.
Le combat s'intensifie, j'ai l'impression d'y passer des heures tant il est intense. La bête faiblit et suite à une meurtrissure supplémentaire d'Eleanor, je vois la défense du démon s'ouvrir. Dans un sursaut d'adrénaline, je saisis l'occasion et lui explose de la mitraille à bout portant. La chair démoniaque laisse ainsi place à un trou béant qui draine le reste de vitalité de notre cible. Celle-ci s'effondre à nos pieds, inerte.

Ch. 7

Chapitre 7 - Retour à la réalité

Je souffle un instant avant de me redresser. ”Bien joué, Eleanor, tu as été efficace.
Je fais craquer une de mes épaules puis me retourne. Mes manteau, masque, chapeau et le peu de visage visible sont complètement ensanglantés. Lorsqu'ils s'en aperçoivent, les gens ont un sursaut, choqués. Je n'en tiens cependant pas compte : je sais très bien l'apparence que j'ai lorsque j'utilise le fusil à pompe mais là, il n'y avait clairement pas de meilleure arme. À l'exception de celle de la blonde, éventuellement, bien qu'elle n'ait pas été moins propre que la mienne en définitive.
Le plus dur a été fait. Il ne reste plus qu'à sortir maintenant.” Mes paroles se veulent rassurantes mais je ne suis pas certaine de l'effet obtenu. Je ne m'y attarde pas puisque la problématique d'être coincés dans un monde virtuel est toujours d'actualité. La mort du démon ne nous a pas expulsé de son monde et c'est regrettable. Je comptais à moitié dessus.
Eleanor et Edwige me rejoignent et nous discutons des possibilités. Elles sont hélas de mon avis : nous ne pouvons plus que compter sur le rituel d'Edwige.
Parce que je ne suis pas rassurée à cette idée, j'appelle Summer et Glenn qui se trouvaient parmi les disparus. Ils s'approchent, un peu craintifs et peu assurés. Glenn a perdu de sa flegme légendaire et semble quelque peut hagard. Je leur demande s'ils ont leur téléphone et s'ils ne pourraient pas essayer de hacker le système qui nous entoure. Bien entendu, ils ne comprennent pas du premier coup, Eleanor est donc obligée de leur donner des détails suite à quoi ils se mettent à réfléchir et à parler ensemble.
En dehors de cette piste-là, aucune autre ne me vient et cela me frustre quelque peu. Faute de mieux, je donne mon feu vert à Edwige pour préparer son rituel. Elle entreprend de découper de nouveau les vêtements et forme un cercle encore plus complexe que le précédent à partir des lambeaux de tissu.

Quelques dizaines de minutes s'écoulent avant que Summer ne revienne vers moi et m'explique dans le jargon insupportablement technique des informaticiens quelque chose d'incompréhensible.
Simplement.
Elle réexplique alors plus clairement qu'elle a peut-être trouvé des failles dans cette simulation virtuelle. C'est une bonne nouvelle, c'est justement ce que j'espérais comme réponse. Dommage que les techniciens informatiques ne puissent s'exprimer clairement du premier coup. Quoiqu'il en soit, je doute que nous puissions obtenir plus d'informations. Il ne reste alors plus qu'une seule chose à faire : se lancer.

Edwige explique aux gens coincés avec nous qu'elle va avoir besoin de treize personnes pour prononcer une formule avec elle. Ceux-ci ne sont pas très réceptifs mais plusieurs se présentent à elle. Malheureusement, je m'aperçois bien vite que certains individus sont complètement inaptes à ce poste. Je les renvoie du cercle sans vergogne et les remplace par d'autres. Nous n'aurons probablement qu'une chance et il est hors de question que des idiots incapables de faire le perroquet fassent tout capoter. Je dois faire cela plusieurs fois mais petit à petit, la treizaine finit par donner des résultats satisfaisant.
Je m'écarte donc et laisse la comptable mal-habillée opérer.
Concentrée sur sa tâche, elle commence à prononcer des paroles ésotériques pendant que je veille, avec un regard ferme et sévère, à ce que les treize fassent correctement leur travail. Les mots de pouvoir sont prononcés et, progressivement, un portail s'ouvre dans le mur en face d'Edwige. Contrairement aux autres portails, celui-ci est plus tangible et concret, une sorte de mare électrique verticale. Je m'approche pour l'étudier et ne remarque pas d'instabilité particulière ni d'arriver imminente de démon. C'est un bon point. Un regard à Edwige me confirme que c'est prêt mais qu'elle ne pourra pas le tenir indéfiniment.
J'y vais en premier.
Sans hésiter, je pénètre dans la substance magique et…

…apparaît dans le saloon. Du moins, c'est ce qu'il me semble reconnaitre avec le comptoir,les bouteilles de whisky vides et le piano. Un examen rapide de ma personne m'apprend que je suis indemne. Mon téléphone semble fonctionner de nouveau, j'essaye subséquemment d'appeler Summer.
Aucune réponse. C'était prévisible mais je me devais d'en avoir le cœur net.
Je décide alors de leur laisser un quart d'heure avant de retourner dans l'église pour essayer de me téléporter de nouveau dans le monde du démon afin de les informer que c'est sans risque. Je n'ai cependant pas bien longtemps à patienter que je vois des gens apparaître dans le saloon les uns après les autres. Ils n'apparaissent pas tous ici cependant : je peux noter que plusieurs personnes marchent dans la rue désertique sans avoir empruntées ce portail. Dès lors, je suppose que tous les portails d'entrées sont utilisés comme portail de sortie.
Pour rassembler tout le monde, je n'ai guère de choix ; je soupire donc d'avance puis sors dans la chaleur encore étouffante bien qu'amoindrie pour me mettre bien en évidence sur la place. Je compte un par un les retrouvés mais ignore complètement leurs réactions. Après tout : ils sont en vie et c'est grâce à notre intervention. Que m'importe qu'ils croient avoir rêvé, qu'ils soient terrorisé par mon arme ou ma tenue ou qu'ils pleurent de joie.
Quarante-et-un. Eleanor arrive vers nous, observe le groupe puis je la vois bifurquer vers l'église. Je l'aborde malgré son air préoccupé : ”Si tu peux ramener le paquet de tablettes, ce serait bien.
Elle me répond agressivement : ”Non, je cherche une personne, là.”. Hargneuse, elle repart en direction de l'église. Là, où se trouvent les tablettes donc. Le petit caractère d'Eleanor ne me manquera pas. Je préfère ne pas compter sur le fait qu'elle les ramène. Je prends le temps d'expliquer au groupe qu'ils doivent maintenant tous monter dans le dernier bus stationné à l'accueil puis je me dirige vers le lieu saint à mon tour.

Dès que je franchis les portes, je profite une fois de plus de la fraîcheur apaisante tout en notant avec soulagement que notre mission s'est conclue avec succès aujourd'hui : Edwige est là, vivante. Eleanor est penchée sur elle pour lui prodiguer des soins magiques, ce qui me révèle un aspect de plus de ses aptitudes. L'autre point positif est que cela m'évite de leur montrer mes propres capacités de guérisseuse. Je ne dis donc rien et me dirige vers les tablettes que je rassemble dans leur bac pour l'emporter. Ce seront autant de preuves pour l'agence.
Edwige s'est redressée et semble aller suffisamment bien pour marcher. Je m'approche d'elle pour la féliciter. “Bien joué, Edwige. Ce n'était pas un sort facile, tu t'en es bien tirée.
Suite à ça, nous rejoignons les autres au bus et tout le monde repart.
Après avoir déposé les tablettes sur le siège passager, je grimpe dans ma voiture de fonction puis pars la dernière de cet endroit dont la chaleur ne me manquera, elle aussi, aucunement. Le soleil a bien amorcé sa descente et le son de la clim s'ajoute à celle de la musique et du moteur qui vrombit.

Épilogue

Épilogue

La nuit s'est fort bien passée malgré quelques courbatures. La douche d'hier soir m'aura lavé de toute cette transpiration mais j'en ai pris une nouvelle avant d'aller au bureau.
En fin de soirée, j'ai eu un déplaisant message de Tony qui me félicitait pour ma persévérance avant de m'informer que ce n'était pas lui qui était en charge des promotions de ma section. Je l'ai pris très calmement en demandant le nom du responsable.
Il s'avère que c'est un homme antipathique et sévère, peu porté sur les discussions avec les subalternes. N'aimant pas les longues discussions, cela m'arrangeait.

C'est sereine, un sourire léger sur le visage que je masque toujours, que je descends de ma voiture devant le grand bâtiment du boulot. Je gravis les marches sans me préoccuper des gens qui s'écartent naturellement de moi. Mon masque est propre, en revanche j'ai conservé mon chapeau et mon manteau recouvert de sang et c'est d'un pas assuré que je prends l'ascenseur en direction des étages de la direction. Tony est un sombre connard mais il a fait en sorte que je puisse formuler ma demande moi-même au responsable ; c'est pourquoi je parviens aisément à pénétrer dans le bureau de l'homme qui va m'octroyer ce que je mérite.
La porte se referme alors que l'individu en costard à mille dollars s'insurge de mon entrée impromptue et m'interroge sur mon identité. Sa voix se casse sur ses derniers mots quand il me reconnaît. À moins que ce ne soit due à la petite touche “sanglante” de mon accoutrement. Je m'approche lentement de lui, le regard fixé dans le sien, résolue.
Alex Walker. Je travaille à la SS depuis plus de cinq ans. Tony vous a probablement parlé de moi. Il estime qu'une promotion serait mérité; puis-je conclure que c'est acté ?
Chacune de mes phrases semblent être un coup assené tant ses réactions sont grotesques. Il se met ensuite à bredouiller quelque chose d'assez peu compréhensible et qui ne va pas dans mon sens. Je durcis le regard, mes yeux bleus devant certainement ressembler à de la glace à cet instant. Il se tient à portée de couteau, si je voulais en venir jusqu'à cette extrémité mais, fort heureusement, il finit par simplement acquiescer et valider ma demande sur le champ. Il appelle Tony dans la foulée pour le lui confirmer.
Je repars alors qu'ils discutent encore. Les trois P auront payé, une fois de plus. Patience, persévérance et performance.
Le pauvre homme se donne de grands airs derrière son bureau et ses responsabilités, mais il n'est qu'un homme parmi les autres et il a très bien conscience de ma performance au sein du groupe ainsi que mes accointances. Tony savait qu'il ne faudrait pas grand chose pour le convaincre et il avait raison. Une bonne chose de faite.
Il ne me reste plus qu'à faire nettoyer mon costume et à changer de numéro avant de pouvoir poursuivre mon ascension sereinement.

Retours et commentaires

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2022/08/19 13:53 · elanndelh
cr_monsters_week_1.txt · Dernière modification : 2022/08/19 13:55 de elanndelh