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L’écuyer et les Ra’els

On m’a raconté un jour, l’histoire de l’écuyer et des Ra’els. Je vous la raconte à mon tour car elle pourrait vous sauver la vie un jour. Il s’agit d’un écuyer que l’on nommait William. William était jeune, ce n’était plus un enfant mais ce n’était pas encore tout à fait un homme. Il était au service d’un grand guerrier, un chevalier de renom parmi le royaume humain. William l’admirait et l’aimait beaucoup car c’est justement ce chevalier qui l’a sauvé de la misère quand un groupe de brigands avait mis le feu à sa maison. L’homme en armure avait tiré une flèche dans le dos de l’un des bougres qui allaient le tuer et combattu les trois autres seul. Il les a défait et, empli d’admiration pour ce guerrier plein de valeurs et de force, William prêta serment de le servir alors qu’il n’était qu’un enfant à l’époque.
Il suivit le chevalier dans de nombreuses aventures, dans de nombreuses batailles dont la plus glorieuse était celle où les humains parvinrent à repousser une horde d’orcs noirs avides de sang et de nouvelles terres. Ce jour-là ce fut à la fois extrêmement difficile, intense et à la fois extrêmement satisfaisant. L’écuyer se souvint longtemps de l’allégresse qui s’empara du camp ce jour-là lorsque les Nar Groghs battaient en retraite, vaincus. Il se souvint aussi de la fierté qu’il avait pour ce guerrier auréolé de gloire. Le chevalier était toujours souriant et rassurant malgré la fatigue du combat. Nombreux furent ses frères et sœurs d’armes à le féliciter. William était si fier, il voulait tant lui ressembler.
Suite à cette superbe victoire, le chevalier décida de retourner chez les siens afin de revoir ses parents, sa sœur et ses deux frères. Durant le voyage, il parla beaucoup à William de sa grande sœur. Il la lui décrivit grande, avec des cheveux bruns coupés courts, un regard malicieux et plein d’intelligence. Il lui disait qu’elle avait toujours été un modèle pour lui, que c’était elle qui lui avait appris à combattre étant enfant et qu’elle lui avait inculqué les vraies valeurs, celles de l’honneur et de la protection des faibles. Le grand guerrier raconta de nombreuses anecdotes à son sujet et William la visualisait de mieux en mieux et ne pouvait que l’apprécier à son tour.
Après une semaine de voyage, ils arrivèrent au village natal du chevalier. Les paysans exultèrent de joie en le retrouvant, la nouvelle de sa victoire se lisant sur son visage. Ils entourèrent le chevalier et l’écuyer, leur posant mille questions. William ne put s’empêcher de constater que le chevalier était de plus en plus aux aguets. Certes, il retrouvait ses proches, ses amis d’enfance et ses tuteurs mais il semblait chercher du regard quelqu’un dans la foule qu’il ne trouvait pas. Il revit l’un de ses frères ainsi que ses parents mais nul trace de sa sœur adorée. Fort de ses principes, il essaya de faire bonne figure et partagea les festivités avec autant d’appétit qu’il en était capable mais William voyait bien que quelque chose n’allait pas.
Alors que la nuit tombait et que les paysans retournaient dans leurs chaumières pour dormir, le chevalier posa enfin la question qui le hantait : « Où est ma sœur ? » D’un coup d’un seul, l’ambiance jusqu’alors festive s’assombrit. Personne ne répondit et le chevalier dû poser la question une nouvelle fois : « Où est-elle ? » De ses yeux, il suppliait qu’on lui réponde alors qu’il prenait conscience de ce silence signifiait comme réponse. Il rugit et posa une troisième fois la question : « OU EST MA SOEUR ?!!! » Sur ces mots, son père prit la parole d’une voix triste et lui raconta tout. Il lui raconta comment du jour au lendemain elle avait attrapé une mauvaise maladie et comment son état s’était aggravé de semaine en semaine pour décéder moins d’un mois auparavant. Les larmes coulaient sur les joues de tout le monde, même celles de William qui ne l’avait connu qu’à travers les histoires du chevalier. Celui-ci se leva en silence et quitta l’assemblée. L’écuyer le laissa seul et la nuit passa.
Le lendemain matin, le chevalier fit ses au-revoir à sa famille attristée de le voir repartir si vite mais qui respectait sa décision. Il enfourcha son cheval, reprit la route avec William et ils vagabondèrent sans réel objectif. Des jours passèrent ainsi où le chevalier devenait l’ombre de lui-même, ne s’illuminant que pour venir en aide aux gens qu’ils croisaient sur leur passage avant de s’assombrir de nouveau. Il ne parlait plus de sa sœur mais William savait qu’il ne pensait qu’à elle. À ce modèle perdu. Parfois, la panique le prenait en s’imaginant perdre le chevalier mais il se ressaisissait bien vite, au souvenir de qui était l’homme qu’il suivait et qui lui enseignait tout.
Un après-midi, ils aidèrent un vieil homme à réparer sa chaumine dont le toit avait été en grande partie détruit par l’effondrement d’un arbre. Le vieil homme fut très reconnaissant et les invita à dîner et dormir chez lui avant de repartir. Perspicace, celui-ci perçut que derrière le masque avenant du chevalier se trouvait une profonde tristesse. Il parvient à le faire parler et le chevalier, après des semaines et des mois à retenir son chagrin, l’exprima. William écoutait en silence et laissa les deux hommes parler. Les heures passèrent et alors que la nuit était tombée, le vieil homme sembla hésiter à ajouter une dernière chose. Le chevalier le pressa de parler, ce qui poussa ce dernier à acquiescer et, dans un soupir, à raconter une histoire qui marqua les deux invités.
Il s’agissait d’une histoire courte qu’il avait entendu ces derniers mois. Il était question d’êtres aimés défunts qui réapparaissaient sur le lieu d’une antique bataille. La seule chose qu’il savait de la bataille était qu’elle avait été sanglante et qu’elle s’était déroulée au pied d’une montagne non loin d’ici. L’histoire disait que depuis plusieurs mois maintenant, de nombreux témoignages se propageaient et faisaient mention d’êtres chers perdus qui reprenaient forme, emplis de lumière mais entourés d’obscurité. Le vieil homme reconnut ne pas savoir exactement ce dont il s’agissait mais ceux qui lui avaient rapporté cette histoire et ces témoignages étaient formels : cette obscurité est mortelle.
La morale de son histoire, bien mal racontée, était qu’il ne fallait pas s’infliger une douleur insurmontable quand il s’agissait d’êtres aimés car, malgré leur disparition, ceux-ci resteraient présents à jamais dans notre cœur tant que nous resterions en vie. Ce fut avec ces derniers mots qu’il essaya d’apaiser le chevalier mais William vit bien que cela n’avait fonctionné qu’à moitié; certes, il semblait avoir retrouvé un but et de la sérénité mais il semblait aussi avoir retrouvé… une sorte d’espoir. Mais un de ceux qui conduisent à la perte et qui ne sont pas rationnels.
Le vieillard se leva puis rejoignit sa couchette, laissant une paillasse près du feu pour ses deux invités. William jeta un dernier regard au chevalier qui semblait dormir puis ferma les yeux. Ce que William ne sut jamais c’est que le chevalier ne dormit guère et songea toute la nuit à cette histoire que l’on venait de lui raconter.
Le lendemain matin, ils repartirent après avoir remercié le vieil homme pour son hospitalité et coupé un peu de bois pour lui. En route, le chevalier se remit à parler et évoqua de nouveau sa superbe sœur. William en était heureux, il avait l’impression de retrouver l’homme qu’il connaissait et qui l’avait sauvé. Les propos du chevalier laissaient présager qu’il avait un dernier objectif à accomplir avant de retourner dans leur guilde. Il semblait chercher le lieu qu’avait évoqué le vieil homme et cela emplit William d’une crainte dont il ne parvenait à expliquer la raison. Certes, leur hôte les avait mis en garde à travers une histoire mais, comme le soulignait le chevalier : il ne s’agissait que d’une histoire. Celui-ci ajoutait d’ailleurs qu’un danger mortel pour un paysan ou un vieil homme ne l’est certainement pas pour un chevalier et un écuyer valeureux. William acquiesçait mais n’était pas rassuré pour autant.
Il leur fallu trois jours pour trouver le lieu décrit dans les témoignages. Il s’agissait d’un flanc de montagne où plus rien ne laissait suggérer qu’une bataille avait eu lieu ici. Cependant, le chevalier était sûr de lui car il trouva l’arbre carbonisé du récit ainsi que les rochers ressemblant à une gueule de loup à l’Est. Descendant de cheval, il se mit à faire le tour de l’endroit. Il y passa de longues heures avant de revenir à la tombée de la nuit vers William. L’écuyer avait profité de l’absence pour installer un camp sommaire, allumer un feu et chasser un peu. Seul un lapin dodu était au dessus du feu mais, ajouté à leurs réserves de voyage, cela suffirait. L’enfant presque adulte leva les yeux sur le chevalier qu’il admirait tant et fut assaillit de tristesse à son égard en voyant son visage. L’espoir d’alors semblait l’avoir déserté et le chevalier était accablé. Il ne mangea presque rien et s’allongea sans rien dire. William ajouta un peu de bois dans les flammes pour tenir la nuit puis s’enroula dans sa couverture.
Une heure passa. Puis une autre. Puis une autre encore. Et probablement une quatrième avant qu’un bruit ne tire William de son sommeil. Il s’agissait de frottement de cuir et de métal comme si un homme s’approchait du camp. Il se releva en sursaut, portant la main à sa lame posée non loin et fut stupéfait de constater qu’il ne s’agissait pas d’un guerrier qui s’approchait du camp mais d’un guerrier qui s’en éloignait. Son chevalier. L’hypothèse qu’il se soit relevé pour se soulager fut bien vite balayée quand ses yeux à peine réveillés distinguèrent une forme spectrale chatoyante. Il s’agissait d’une femme, grande, aux cheveux coupés courts et au regard malicieux. William arriva bien vite à la conclusion qu’il s’agissait de la sœur de son chevalier, la sœur adorée, aimée et décédée. L’histoire du vieil homme lui revint en mémoire et il décida de suivre à bonne distance le spectre et l’homme qui semblait débordé de joie à cette vision.
Ils marchèrent ainsi quelques minutes, à une dizaine de mètres l’un de l’autre, William avec sa petite cuirasse de cuir, et le chevalier avec son armure de cuir et de métal. Ils se rapprochèrent du pied de la montagne quand soudain la sœur fantomatique cessa d’avancer et se retourna pour de bon face au chevalier. Celui-ci tomba à genoux, subjugué par la joie, et quelque chose fit monter les larmes aux yeux de William qui partageait sa réjouissance. Ce sentiment d’allégresse ne dura cependant qu’un instant car quelques secondes suffirent pour que le rire du chevalier se transforme en cris de douleurs. William était terrorisé. Il observa sans pouvoir agir comme bloqué par un instinct de survie. Il vit son chevalier se faire entourer et transpercer par des formes spectrales d’apparence humaine mais dont les contours étaient bien plus rugueux semblables à de la roche. Il le vit essayer de se défendre mais succomber sous les assauts incessants et mortels des spectres. La vie qui quittait le corps du chevalier semblait se faire absorber par les spectres. Par tous à l’exception d’un : le fantôme blanchâtre qui avait tantôt l’apparence d’une jeune femme ressemblait à présent trait pour trait au chevalier qui venait de succomber. Son regard était braqué sur William qui eut un hoquet de terreur. Il se retourna, lâcha son épée qui le ralentissait plus qu’autre chose et courra à travers les fourrés qu’il peinait à distinguer à travers ses larmes. Le chevalier… son chevalier était mort. Sa mort était inconcevable, il représentait tellement de choses pour lui, il l’admirait tant… ses pensées étaient obscurcies par la tristesse mais sa volonté de vivre était plus forte et le portait loin de la montagne, loin de leur camp. Il courut, abandonnant les chevaux, abandonnant ses possessions, ne se raccrochant qu’à une seule chose : sa vie.
Il survécut.
Ce n’est que bien plus tard qu’il fut capable de raconter son histoire et d’apprendre que les spectres qu’il avait croisé étaient des Ra’els, des créatures aussi vieilles que le monde et plus dangereuses que n’importe quelle autre. Et quand il la racontait, il terminait immanquablement en disant que les êtres perdus vivent toujours en nous et qu’il ne faut pas chercher à tout prix à les retrouver. Qu’ils ne cesseront réellement d’être qu’une fois que plus personne ne raconterait leurs histoires, à l’instar du chevalier qui avait fait vivre pour lui sa sœur. Tout le monde savait, lorsqu’il racontait son histoire, qu’il pensait souvent à ces deux êtres, dont les noms se sont perdus au fil des années mais qui continuent d’exister à travers cette histoire.

inarlyth/lore/contes/ecuyer_et_ra_els.txt · Dernière modification : 2022/08/17 10:41 de alifarka